1 novembre 2011

Roland CHEMAMA 17 10 2011 Elasticité de la méthode

Roland CHEMAMA 17102011 EPHEP

Les lacaniens s’étonnent parfois qu’on s’intéresse à Ferenczi. Freud cependant a répondu aux questions qu’il lui posait. Il a eu un rôle indéniable dans la formation du psychanalyste en affirmant la nécessité d’une analyse didactique. Avant lui, une brève analyse suffisait, parfois réduite à quelques promenades avec Freud, le but était de rapidement prendre conscience de l’inconscient. Ferenczi, lui, voulait une véritable psychanalyse qui ne s’arrête pas à quelque commodité, une analyse qui aille à sa conclusion naturelle. Pour raccourcir abusivement, il reste que Ferenczi voulait approfondir la psychanalyse au risque de devenir une psychologie des profondeurs, ce que la psychanalyse ne peut.

Lacan encourageait la lecture de Ferenczi, à ses yeux, le plus authentique interrogateur de la responsabilité du psychanalyste. On sait que la guérison vient de surcroît, c’est-à-dire qu’on ne sait pas, mais ça n’empêche pas la responsabilité.

Freud se réfère à Ferenczi en 1927, dans « Le problème de la fin de l’analyse », tome 4 des œuvres complètes chez Payot., à propos d’une intervention au Congrès d’Innsbruck. Il y assume sa responsabilité de thérapeute et cite le cas d’un patient dont la singulière caractéristique était que, depuis huit mois, il l’induisait en erreur alors que la règle impose de parler sans réserve et près de la vérité. Que dire quand on patient éprouve ce besoin de mentir ? Ferenczi constatait l’indigence de la technique dans ce cas et posait la question de l’analysabilité.

Depuis lors, cette question est omniprésente dans la psychanalyse. Au temps des débuts de Lacan circulait un ouvrage sur « Les indications de l’analyse », un répertoire de contre indication qui ne laissait pas grand monde dans ses prérogatives.
Exclure tout ce qui ne rentre pas dans la grille n’est pas le souci de Lacan et Ferenczi, déjà posait : Pas de certificat d’indigence. Au contraire, les exclus les intéressent. Pourquoi baisser les bras ? Nous pourrions, ensemble, y réfléchir et ne pas poser trop de cas inanalysable.

Cela implique qu’on imagine des innovations, pour répondre autrement à des situations où coince, par exemple, le rapport entre la libre association et le mensonge. Ferenczi s’interroge sur ces points de difficultés et sur quelques remèdes. Ses questions sur la pratique auraient été mieux comprises à travers le concept lacanien de jouissance.
Freud différenciait la satisfaction du principe de plaisir qui est de la dimension de la tension. Lacan situe le champ de la jouissance au-delà du plaisir. Ferenczi n’est pas très éloigné des idées de Lacan développée dans « L’envers du principe de plaisir », à propos de la cure.

Le premier texte où il propose des modifications est « Difficultés technique dans l‘analyse d’une hystérie », tome 3. Il cite le cas d’une cure qui n’est qu’une suite de protestation répétitive d’amour pour son psychanalyste? Comment avancer ?
Il envisage le transfert se constituant comme résistance. Mais pas en termes moraux. Pour Freud, la cure ne vise pas la satisfaction directe mais aide à obtenir quelque chose qui manque, sinon rien ne pousserais à ce travail pénible, qui impose donc un contexte de frustration et même d’abstinence dans lequel l’expression d’une affection compromet le traitement.

Ferenczi veut limiter les dégâts avec tact, mais comment ? En intervenant, de manière active. C’est l’aspect le plus connu des avancées de Ferenczi. Intervenir, mais sur quoi ? A cette époque héroïque, on a tout à inventer. Il remarque la position du corps de son analysante en rapport aux indications qu’elle donne. Il y voit l’équivalent d’une attitude masturbatoire et d’autorité, interdit ces positions de satisfaction. Son but était que, la satisfaction, qui porterait sur une satisfaction génitale, interdite, un travail soit possible.

Mais il est simplificateur de dire que si la technique est active alors la psychanalyse a des effets actifs. En fait, Ferenczi ne dispose pas du concept de jouissance et d’une conception nuancée de la satisfaction, à ses yeux, toujours sexuelle.
Dans une lettre du 17 octobre 1916, à Freud, il évoque l’idée d’un onanisme ininterrompu incomplet. Lui-même, mais c’est très discret, n’a jamais été satisfait de son analyse avec Freud.
A propos de sa patiente, il observait une excitation qui nourrissait inconsciemment une masturbation continuelle. A l’insu de la patiente, une masturbation inconsciente et ininterrompue. Sans limite ? Jouissance Autre ?
Il ne s’agit pas de masturbation génitale, ce n’est pas courant sur le divan, mais une forme de jouissance qui fait penser à une forme de satisfaction qui, elle, est moins rare et qui peut compliquer le déroulement de la cure.

Y a-t-il une méthode imposée ou des méthodes ? Il n’y a pas que les techniques actives qui étaient proscrites mais aussi toutes prescriptions, pour laisser actif l’analysant. Mais Ferenczi demande de se confronter au patient tel qu’il est, pour remettre du travail là où le non changement primait. Notons au passage que ce genre de position s’oppose au capitalisme et aux TCC.

Ferenczi avait une patiente victime de phobie, musicienne et chanteuse, elle ne pouvait plus chanter. Trac ? Emergence ? Souvenir ? Il lui demande carrément de chanter devant lui. Ca aurait pu ne pas fonctionner. Ca a marché mais ce n’est pas si simple. Dans un deuxième temps, comme chanter devenait presqu’une jouissance dont elle pouvait se contenter, il modifie a prescription.

Tout ça mérite notre intérêt car ces questions sont toujours d’actualité. Quand dans certaines cures, de toujours éviter la question de son désir engendre un ressassement sans conséquences au lieu d’un travail. Pareillement, la jouissance mortifère du même, répétition, dépression, justifie, non une solution, mais le questionnement de Ferenczi.
Il voit comme obstacle l’interférence du désir inconscient de l’analyste. Le courant de l ‘analyse du contre transfert a beaucoup investit cette question. Ferenczi va plus loin. Il veut éviter de perturber le déroulement de la cure par les motions inconscientes du psychanalyste laissées en friche. Contre la dissimulation et l’hypocrisie, il invente l’analyse réciproque. Le psychanalyste s’analyse lui-même par rapport à la cure du patient. Curieux ? Ca sent le souffre ?

Sans aller jusque là, ne soyons pas trop unilatéral, notons que Lacan, s’il critique la notion de contre transfert dans son séminaire « L’angoisse », dans « Les non dupes errent » il se réfère à Michel Nereau, qui a écrit un ouvrage sur le contre transfert, en l’approuvant : « Il n’y a qu’un transfert, celui de l’analyste ». Ca demanderait un développement spécifique ou une journée sur la fin de la cure.
Dans l‘article « Variante de la cure type », il y a trois pages très positive sur Ferenczi et ses propos dans « L’élasticité de la technique psychanalytique » du tome 3. Quand on commence à pratiquer, on laisse peu d’élasticité à la pratique.

En ce qui concerne l’interprétation, Ferenczi réclame de ne pas se figer dans une attitude narcissique, de ne pas se contenter de l’image qui nous correspond. Lacan non plus ne promeut pas une attitude figée et n’exclu pas de proférer des propos franchement malveillant. Lacan fait-il ici preuve de modestie ? Oui, il reconnait en Ferenczi de vrais enjeux qui, aujourd’hui, ont toutes leur importance.

Ne pas jouer les maître d’école, cette jouissance extraordinaire, surtout si on est maître d ‘école, est une règle qui, actuellement, doit être encore plus accentuée du fait que les formes reconnues d’autorité sont en grandes précarités, ce qui enclenche la recherche d’un maître sévère. Nous avons à questionner la direction de la cure et les formes de jouissance dans la cure.

Est-ce seulement d’un intérêt historique ? Comme si Lacan avait tout résolu et que nous n’en serions plus là. Charles Melman, aux journées de Madrid en 1994, à propos de la direction de la cure depuis Lacan, a fait un exposé sur « La bonne et la mauvaise interprétation ».
Il rappel que l’interprétation est dans la dimension du symbolique mais aussi (p84) que ce qui éclaire le choix, c’est l’instance phallique. Toute intervention s’oriente en ce sens, toujours plus phallique, en ignorant le refus, la révolte contre le bon sens. Or le sens n’est pas du champ symbolique.

Pour Lacan, il y a aussi le registre du réel. Il aurait aimé donner des coups de bâton comme les moines zen qui en distribuent quand on leur pose de mauvaises questions. Il ne l’a pas fait mais un narcissisme trop fort ne mériterait-il pas d’être bousculé dans le réel ?

Enfin, dans l’imaginaire, le registre du sens, exclu du symbolique, faut-il toujours le refuser ? Lacan choisit l’abstinence et pourtant, est-il impossible de se questionner face à ces patients pétrifiés, toujours dans la même plainte, le même objet, sans plus de place pour une intervention. La tentation est grande de leur dire simplement ce dont il retourne. Voilà ce qui vous fait jouir. Voilà la capture. C’est une explication. Mais faut-il la faire ou pas ? A vous de juger.

Lacan n’adhère pas aux solutions de Ferenczi mais il n’exclut pas un peu d’inventivité dans la méthode. Parfois, la pratique pose des questions inédites, mais il s’agit de ne pas récuser la vocation thérapeutique de la psychanalyse et, donc, son éventuel remaniement. En ce sens, nous pouvons avancer vers deux grands types cliniques qui rendent difficile la position de l’analyste : le sujet pervers et le sujet dépressif.

Avec un sujet pervers, qui pense avoir un savoir sur la jouissance mais accepte le savoir dans la société, avec eux, on peut maintenir la cure. Dire ça est un grand changement dans la doctrine car le pervers, dans son déni de castration est inanalysable, il en sait plus que vous. Freud à propos du fétichisme parle de déni de l’instance phallique et aussi de clivage, il ne délire pas.
Si clivage il y a, alors il est possible de barrer le déni de castration. Donc, patience. Je me souviens d’un jeune homosexuel dont le déni de la mort lui faisait se confronter au danger et au macabre. Il parvint à en dire quelque chose, lors d’un rêve, des drapeaux de pirates, des têtes de mort, des amants, l’érotisme et la mort pour se souvenir ensuite de son enfance où il fut très tôt confronté à l’érotisme macabre. Il se passe quelque chose par la voix du signifiant, même dans le domaine de la perversion, même si cela ne parait rien donner.

La dépression de longue durée, la « dépression essentielle » selon la Revue Française de Psychiatrie, qui se distingue de la dépression liée à un moment ponctuel, est une inhibition radicale du désir et de l’acte. Lacan la décrit dés 1938 comme la grande névrose contemporaine liée au déclin de l’image paternelle. La question du sens rejoint la question du traumatisme.
Le dogme lacanien de la séance, par exemple, peut être assouplit. Pour ceux qui ne peuvent se fier à une certaine continuité du temps attachée à leur propre être, pourquoi ne pas accepter des variations dans les laps de temps ?

Nous ne pouvons postuler qu’une méthode soit la méthode. Pour Lacan, la méthode est un outil qu’il faut faire à sa main. Nous pourrions inventer à chaque cure et cela concerne, non l’improvisation, mais l’élasticité. On verra si ça marche. Merci.

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