30 octobre 2011

Charles MELMAN 13 10 2011 Le réel habité

Charles MELMAN 13 10 2011 EPHEP Séminaire

Le besoin et la satisfaction du besoin dés les premiers rapports de l’enfant est autrement complexe pour l’animal humain que pour d’autres.
Dans de nombreux documents écrits et jusqu’aux dessins dans les grottes et les gravures sur les os, précocement, l’homme semble s’attacher au déchiffrement de son environnement. Ainsi de l’astronomie, dans la pensée grecque, l’étonnement que provoquaient la régularité et le retour périodique aux dispositions initiales.
Lacan était fasciné par ce retour du même, ce voyage lui-même identique quoiqu’avec de légères variations, comme les saisons. On y voit s’écrire la méthode première de la science. Bizarre ? Cependant, notons qu’un Ptolémée, même avec une théorie fautive, malgré tout rendait compte des phénomènes.
Ceci est important car elle éclaire la question qui engendre toujours un malaise chez les scientifiques : Vous vous réclamez de la science mais qu’en savez-vous, en regard du fait que la science apparente évolue et se révèle partielle ou fausse ? Vous, si rigoureux, qu’entendez-vous par science ?

Pour nous, avec une audace que l’on pardonnera peut-être par son heuristique, ce qui se range comme science est une démarche organisée par consécution ordonnée d’éléments inscriptibles excluant toute participation subjective à l’établissement de cette écriture en chaîne qui s’impose au sujet, sous la forme d’un « c’est comme ça ».
Beaucoup de démarches miment la science et s’en réclament. Les sciences « humaines » sont en ce sens à récuser de s’intéresser non à la biologie mais à la psychologie avec une construction qui semble scientifique, qui ne peut être contredite, mais qui varie selon les éléments subjectifs du protocole.

En psychanalyse également, aucune thérapeutique ne peut vérifier son bien fondé par ses résultats éventuellement heureux. Est-ce un paradoxe ? Une rumination désagréable entoure ce débat lourd et pesant : Est-ce que la psychanalyse est une science ?
Freud a tenté d’y répondre avec un appareil psychique ordonné qui s’impose quelque soit le sujet, donc susceptible de mimer la science, quoique Freud se plaignait du langage de la psychologie, selon lui, mal définit et baveux.
Les successeurs de Freud ne pourront qu’aggraver ce déficit même quand Freud lui-même affirmera qu’il n’y a pas de progrès à attendre de ces recherches. Ses successeurs se sont engagés dans le dogmatisme et Lacan dénonçait le caractère religieux de l’école de Freud qui se résume aux enseignements du maître et au rejet de ceux, subversif, qui s’écartaient du dogme.

Ce même processus se poursuit avec Lacan et ses soi-disant dogmes qu’il s’agit de propager pour le Bien de l’humanité. Ce qui est démenti par Lacan lui-même. Pourquoi ? Le trait caractéristique chez Lacan est cette idée que la science forclos le sujet. La démarche lacanienne, décisive, inclut de bout en bout cette idée. Pour la première fois dans l’histoire des sciences, il y a adjonction systématique, dans l’ordinaire, de l’impossibilité de conclure. Théorème de Gödel, etc. Il y a un trou dans tout système constitué. Il n’y a pas de tout de la pensée, pas de dogme valable, et donc pas de cercle fermé. D’évidence logique, il n’y en a que de troué.

Avec ce progrès de Lacan, le réel est devenu justement ce à quoi il importe de tenir éminemment compte, car ce réel est, non ce qui résiste à la formalisation mais, ce réel, il est pollué, habité, par ce sujet que la science forclos.
Ce que révèle la psychanalyse est que chaque sujet a des dispositions singulières liées à des formalisations singulières.
Œdipe, par exemple, est l’histoire générale de l’impossible. Le père prive de la maman et crée de l’impossible sous la rubrique de l’interdit. Il relève de la position subjective qu’elle relève d’une singularité même si toutes les singularités viennent s’endormir car elles sont les avatars d’une instance uniques, le Nom du père, départ d’une déclinaison clinique.

Hystérie : Défi, provocation mais aussi bien le plus grand amour.
Névrose obsessionnelle : Substitution du Nom du père par la figure de la Dame. Voir l’Homme aux rats et la mise en place d’une dame inapprochable qui le pousse à ne se satisfaire qu’auprès des petites couturières. La Dame est le substitut du Nom du père. Elle est d’une telle bonté qu’elle ne peut rien refusé à ses amants. Pas de coupure. Mais ils ne peuvent que garder la distance s’ils ne veulent que le système s’effondre.
Perversion : Ce « au moins un », justement, cette instance phallique, est objet de jouissance, avec comme conséquence ce rapport particulier à ce qui fait loi.
Psychose : Forclusion du Nom du père. Absence de référence au nom de cette instance dans le réel. Il faudra le courage et la dignité d’un Schreiber, son humanité dans sa folie, pour qu’on sache. Il nous donne les éléments authentiques, à partir d’un transfert sur un neurologue, dés l’accès à une place d’autorité supérieure, qui l’ont privé d’assise. La rencontre avec le professeur Flezig va déclencher la psychose. Elle sera guérie au prix de ceci qu’il s’identifie lui-même au « au moins un »  dans le réel mais sous les traits de la Dame, sans cesse soutenue grâce au miroir. S’habillé en femme, seule voix qui apporte la sédation de cette intolérable psychose.

A la question, la psychanalyse est-elle une science, notons qu’elle porte un éclairage essentiel du fait de sa recherche propre, qui inclus ce que la science forclos, le sujet présent dans le réel.

L’environnement de l’animal humain n’est jamais innocent, il est pollué et habité par les déchets dont le retranchement, hors réalité, cause le désir et entretient la jouissance du sujet. Pour Lacan, la civilisation c’est l’égout. Hors réalité car supposé achoppé au champ perceptif malgré, c’est caractéristique de la modernité, les tentatives de l’art contemporain dans ces présentations trash.

Lacan, sans se l’approprier, explique la naissance de la psychanalyse à Vienne au début du 20e par un effet d’angoisse, dans cette culture, cette monarchie à double tête, l’aigle austro-hongrois, engendrée par la montée de cet « objet a », cause du désir, dés lors que la faiblesse du pouvoir politique, sa duplicité avérée, et l’incertitude des mœurs, ne puissent plus décider le tranchement de cet objet a. Comme s’il n’avait pas à être là. Le pied, dans cette Vienne 1900, avec son remarquable foisonnement d’idées, c’est justement la levée des limites qu’il autorise, cette intelligence.
Notons que les surdoués ont cette fonction de faire péter les limites du bon sens. A l’opposé d’un Moore pour qui un chat est un chat et qu’en dire de plus. Vienne, à l’époque, ressemble à notre situation actuelle.
Nous ne remarquons pas ce fait extraordinaire qu’est l’écologie en tant que politique. C’est du jamais vu cette invitation à traiter les déchets. En Italie, l’enlèvement des ordures est un enjeu politique. En réponse, le sentiment de l’apocalypse, actuel, attend le tsunami qui nettoiera toute l’affaire.
C’est formidable comme les jeunes chez le psychanalyste se demandent comment se débarrasser de cet objet. Comment s’en soulager ? Il arrive qu’ils y parviennent par un effet d’adresse.

Donc notre environnement n’est pas l’environnement des animaux. Le notre est bruyant et polluant. (Le téléphone du Docteur Melman sonne dans sa poche. Rire). Ces téléphones, ça bip de partout.
Mais surtout aussi, il est habité par un être dont on suppose l’identité à soi-même. Il ne s’agit pas d’un rapport aux éléments mais d’un retranchement : Etre habité par le réel qui commande.

Lacan choisit « il pleut ». Qui ça, « il »? Alors il nous pleut dessus celui-là ? Et avec le vent, il est susceptible de caresse, il nous chauffe. Ici, pas de semblant mais des intuitions telles que les relations de familiarité. Elles peuvent se produire hors de la famille et garder cette impression de familiarité qui donne prise dans le sacrifice en vue de la satisfaction dont l’objectif est d’empêcher qu’on s’en détourne. Avec cette crainte que la personne rencontrée s’éloigne et devienne un étranger, celui qui est là, dans le réel.

La psychose est une modalité où le réel envahit le champ de la réalité avec cette continuité qu’on retrouve dans le nouage borroméen. La continuité du réel et de la réalité Est-ce qui définit la névrose.

L’étranger dans le réel, on peut le visiter en rencontrant un étranger. Ou un explorateur. Tous manifestent un réel non familier. D’où le plaisir d’un lectorat énorme, on a diffusé des millions de volume, dés Homère, le succès de ceux qui n’ont pas peur de l’instance étrangère du fait de plaisir nouveau, inattendu, auxquelles nous sommes si sensibles quand on sort des frontières du pays natal. C’est en sortant des frontières, paradoxalement, que le sentiment d’identité est totalement perçu, sans ombres ni division.

Un sentiment identitaire accru, donc, et aussi l’abolition du sexe des éléments de l’étranger. La dimension autre est abolie. Il n’y a plus d’autre mais seulement la figure de l’étranger. D’où la nostalgie pour le colonial, pour une société divisée entre maître et esclaves, où les hommes et les femmes sont départagés, où le sexe est sollicité par l’esclave et moins les nationaux.
Notre rapport à l’environnement, à la nature, est comme un grand livre à déchiffrer. Ce déchiffrement concerne les phénomènes présents et également le texte, attribué d’être sacré. Dans le réel, il est inscrit ce texte qui a un effet identique aux écrits scientifiques : C’est comme ça. Même s’il y a une syntaxe, ces écritures ne tolèrent aucune partition : C’est comme ça, on ne te demande pas ton avis, c’est écrit.

Le texte sacré forclos le sujet, avec, comme conséquence sur la vie quotidienne, les effets de la loi, que tu ne peux que suivre. Sauf que, l’usage de la syntaxe n’est pas de consécution logique, on y retrouve le signifiant qui semblait dans l’éclipse de la lettre.
Dés qu’on tient le sens, on n’a de cesse que de l’éclaircir, de l’établir pour toujours. Le sens appelle l’interprétation du texte. Ce sujet, aboli par le texte, renvoie dans le réel le sujet qui devra contester l’aspect définitif du texte. Les conséquences non quelconque de la religion, quand le texte est établit et sans commentaires, ont des effets repérables dans la subjectivité.

Où en sommes-nous? Nous en sommes à nous dire que cela mérite réflexion. Lacan prétendait que Descartes a été la condition du sujet de l’inconscient dans le réel.
C’est que l’écriture est scientifique si elle doute systématiquement de toute écriture. La vérité, elle, est dans ce lieu, forclos par la science, c’est-à-dire dans le sujet. C’est lui qui doute mais ne peut douter que de lui-même.
Cela opère un curieux renversement d l’histoire où les accidents, les manifestations du réel, dés lors ne sont plus parasites, creux, approximatif, mais occasion de pouvoir supporter la vérité du locuteur dans le système de formalisation singulier qui est le sien.

Une cure psychanalytique est une mise en doute des certitudes car, dans le réel, il y a cette instance énigmatique d’où sort la chaine signifiante jusqu’à émergence de la vérité avant dernière dont la mise en place dans le fantasme vient éclairer ce qu’il en est de l’objet pour le sujet.

Vérité avant dernière car, au-delà de Freud et du mythe œdipien universel, dés lors qu’Œdipe et le Nom du père n’est qu’un accident de l’histoire né de l’émergence de la religion, existe-t-il une structure universelle dont les formalisations singulières ne seraient que les avatars ? C’est ici le lieu d’où surgit la référence aux droits naturels, ce n’est pas vraiment moderne.

Avec ou sans droits naturels, partout pour l’animal humain se pose le même questionnement sur le bien et le mal, le juste et l’injuste. Avec ou sans Œdipe, on s’en fout, il y a du bien et du mal c’est-à-dire de l’impossible, il y a « Tu dois » et « Tu ne dois pas », il y a une même mise en place.

La question du droit naturel répond au débat sur le genre, le gender, photo à l’appui, avec les androgynes à l’esthétique raffinée. Rappelons que le langage tient sans l’autorité du Nom du père. Le droit naturel, en excluant le Nom du père, permet qu’on puisse décider de son statut sexuel au gré de son caprice, voire au gré du moment.
Contredire cet opinion est difficile, il faut une pensée de réac pour s’y opposé. Pourquoi d’ailleurs s’y opposer alors que nous sommes tous, plus ou moins mais de plus en plus, soulager de la référence paternelle. Les familles peuvent s’organiser autour de deux partenaires qui s’équivalent. Papa joue à la maman et vice versa et le gosse regarde la télé.

La distinction des sexes, référées à la naissance et symbolisant le Nom du père, est destinée à la procréation, à la satisfaction de celui dont on vient. Que le troupeau croît, tel est son plaisir. Si nous sommes à l’écart de cette référence au Nom du père, dans le droit naturel, qu’est-ce qui contredit la volonté de faire carnaval ? Là où les hommes s’habillent en femme et les femmes en homme, pour leur plus grand plaisir. Pourquoi pas le carnaval permanent ?
Dans la mesure où le sexe est destiné à la jouissance du procréateur originel, s’il vient à s’effacer, pourquoi le sujet ne s’approprierait-t-il pas cette jouissance, en jouissant lui-même c’est-à-dire en la consommant ? Il n’y a pas d’opposition.
Pas d’opposition sauf à remarquer que si tout ça est si stimulant, c’est parce que ça vient niquer le père. Cependant qu’une fois la chose faite, la machine ne peut que s’arrêter. Il n’y a plus d’intérêt puisque l’intérêt provient justement de l’interdit. Quand il n’y a plus de gardien à défier, ça devient plutôt fatiguant d’assumer l’autre sexe et ça complique la vie quotidienne.
Cela illustre que plusieurs formalisation du réel sont possibles et qu’aucune ne peut être tenue comme la vraie, la bonne, dés lors qu’il y a mise en place d’un impossible. Est-ce que le gender met en place un impossible ? Sans impossible, c’est la psychose.
Une dernière remarque à propos de l’enseignement et du plagiat. Il y a dans l’enseignement un problème horrible, gênant et farfelu, dans la possibilité offerte de s’approprier par assimilation de savoir, une identité pour laquelle on n’a pas payé. C’est le fruit d’un travail d’incorporation, miam, miam.
Au terme de mes études, je fais quoi ? J’écris un article à mon nom, d’auteur. Le souci c’est qu’il s’agit de petits morceaux pris à l’un et à l’autre, assimilés, et qui ressortent sous « mon » nom. Où commence et où finit le plagiat ?
Piqué, ça arrive, c’est courant, mais il suffit de tournebouler la phrase verbe-sujet-complément en sujet-complément-verbe et nous participons déjà aux mondes des idées. Ce problème c’est toujours posé pour Lacan quoique son enseignement, crypté, donne quelques difficultés ou impose de l’audace aux plagiaires. Rien n’empêchât de récupérer ses avancées mais les plagiaires, ils ramaient.
Aucun de nous ne peut l’éviter. L’appropriation consiste en l’adoption d’une identité usurpée, remâchée. Dans l’enseignement, il n’y a rien à assumer, c’est tout bénéfice. Alors qu’une identité, de l’assumer, ça coute.

C’est pas une mise en garde mais ça éclaire le procédé qui nous concerne et nous intéresse. Cela rejoint de manière latérale et non évidente nos incursions de tout à l’heure. Lacan pour la revue de l’EFP avait posé « Pas de nom d’auteur » à l’exception du sien qu’il a payé dans le social, l’amical, le familiale, le filiale, c’est pas du miam, miam.
A l’époque, mon salon hébergeait l’école et les réunions de ceux qui ne signeront pas dans cette revue « Scilicet », qui veut dire « Tu peux savoir », il est permit de savoir, on y reviendra. Lors d’une réunion des élites de cette école, Lacan demande : Qui veut s’en occuper de cette revue ? Personne.
Sans le bénéfice du nom ? Et le sien y sera en plus ?
Alors, vous connaissez mon gout pour le sacrifice, je suis devenu le directeur de cette revue. C’est curieux, elle eut un tirage exceptionnel et deux ou trois éditions. Il fut ensuite prévu de mentionner la liste des noms. Au 18e siècle, on publiait sans nom d’auteur, non par peur de la police, mais tout le monde reconnaissait, par exemple, Diderot. En dehors de ce qui fait événement, qui est le patron, qui est le propriétaire ?

Le réel est habité, peuplé, on en déchiffre le texte et la question de l’auteur mérite ici d’être posée. Merci.

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