27 novembre 2011

Claude LANDMAN 07 11 2011 Métaphore

Claude LANDMAN 07 11 2011 Métaphore

Nous continuons à déplier la reprise en deux temps de la formule de la métaphore telle que Lacan la propose dans ses Questions préliminaires à tout traitement possible de la psychose, article paru en 1959 dans la revue La psychanalyse, repris ensuite dans Les écrits, qui est le résumé de la première partie du séminaire de 1955-1956, intitulé Les structures freudiennes de la psychose.
Dans cet article, Lacan reprend la formule générale de la métaphore, c'est à dire de la substitution signifiante, qu'il avait avancé dans l'Instance de la lettre, en insistant sur son effet sur la chaîne signifiante inconsciente.



"Les grand S sont des signifiants, x est la signification inconnue et s le signifié induit par la métaphore, laquelle consiste dans la substitution dans la chaîne signifiante de S à S'. L'élision de S', ici représenté par sa rature, est la condition de la réussite de la métaphore" p35 des Écrits II.
Pourquoi petit x ? C'est qu'en tant que métaphore non effectuée, la signification reste inconnue du sujet bien qu'elle soit ce à quoi le sujet est nécessairement confronté. Ce n'est qu'avec la métaphore que le sujet a accès à la signification qui, au départ, est inconnue.

Quelques remarques d'ordre général. A plusieurs reprises, j'ai insisté sur l'idée que les mathèmes de Lacan relèvent, comme les mathématiques, d'un pur effet de signifiant, d'une écriture littérale sans signification en elle-même, indépendante du signifié. La lettre est un effet du signifiant. Le mathème de la métaphore que nous étudions, est un mathème comme les autres, pur effet signifiant, écriture littérale.

Le mathème, c'est sa voie à lui, Lacan, pour faire valoir que la psychanalyse n'aurait pas vu le jour sans la science moderne, Galilée, Descartes, qu'il ne peut y avoir aucune pratique psychanalytique sans référence au sujet de la science. Et à ce point que Lacan identifie strictement le sujet du désir inconscient de la psychanalyse au sujet de la science, soit un sujet acéphale, sans tête ni figure. Nous reviendrons sur ce point surprenant. D'ores et déjà, posons que c'est cette référence qui distingue la psychanalyse des diverses psychothérapies.

Je vais reprendre, mais autrement, les arguments de la journée du 3 décembre prochain où Melman nous invite à réfléchir sur le thème "Psychothérapie vs psychanalyse". Sans vouloir trop anticiper, j'annonce que je soutiens que le procédé de Freud, la règle de libre association, est solidaire de cette référence de la psychanalyse au sujet de la science car ce procédé permet de laisser aller le signifiant à son jeu indépendamment du signifié. Laisser aller les jeux de mots, les incongruités, le jeu.

C'est en ce sens que Lacan dit que la Traumdeuntung anticipe De Saussure, anticipe l'algorithme fondateur de la linguistique moderne qui distingue le signifiant et le signifié par une barre qui résiste à la signification, qui en elle-même n'a aucune signification, écriture d'un simple trait qui instaure deux places différentes dans le système langagier.



Là encore, Lacan y va fort. Pour lui, Freud a inventé la linguistique structurale, ses conditions de possibilité. En effet, dans ses premiers textes, à propos de la vie quotidienne, la libre association permet le libre jeu du signifiant et c'est cela qui intéresse Lacan, qui le pousse à le suivre à la trace. Sans le formuler explicitement, il différencie le jeu du signifiant de la signification dont le jeu se trouve séparé, au moins pour un temps.
Ce qui a mené Freud à cette idée, c'est que le rêve et le symptôme ont des significations complètement énigmatiques. Pour tenter de restituer une signification accessible au sujet, Freud a pris le parti, le parti pris scientifique, de laisser le jeu du signifiant se libérer de la signification. Ce procédé, fondamentalement, se différencie de la psychothérapie et se réfère explicitement au sujet de la science. Voir les premiers paragraphes de Triste tropique de Lévy Strauss.
Cependant la psychanalyse est différente de la science. Elle ne peut que se référer au sujet de la science mais, contrairement aux mathématiques, les formules de Lacan se prêtent à cent lectures différentes. Les mathèmes relèvent de l'interprétation au même titre, on va le voir de suite, que les propos de l'analysant dans la cure.

L'interprétation de Lacan des formules de la métaphore pose qu'il existe une condition de réussite de la production de signification. Que se substitue le S’ inaccessible au S' accessible, l'élision du signifiant S', avec la rature qui le barre, auquel S se substitue.

Ici, deux remarques. L'interprétation qui rature le grand S' ou le grand S peut se lire à la fois comme signifiant et comme sujet. Ma lecture, il y en a cent, est qu'il est possible de lire la barre comme ce qui rature le sujet. Et c'est ce qui se produit avec le Booz de Victor Hugo. Booz se trouve barré comme sujet dans l'effectuation de la métaphore au profit de la fécondité paternelle, signifiant phallique, qui indique à Booz sa gerbe, soit ce S barré qui permet l'accès à la métaphore paternelle.

Deuxième remarque. S'il y a une condition de réussite, c'est qu'un ratage est possible. La métaphore peut rater et laisser la persistance de la signification inconnue pour le sujet, ce qui ne peut que le laisser perplexe, voire dans l'angoisse. Les symptômes névrotiques, par exemple, sont des ratages de la métaphore. Le sujet connaît son symptôme mais n'a pas accès à sa signification. C'est d'ailleurs ce qu'il vient chercher dans la cure psychanalytique. Il sait que ça signifie, pour lui, en tant que sujet, mais ça reste inconscient. Le symptôme est une métaphore qui n'a pas réussi.

Cette signification inconnue, on la rencontre dans les différentes structures cliniques. Quelles sont les modalités de l'échec de la métaphore ? Doit-on rapporter les différentes structures cliniques à l'échec de la métaphore paternelle, sachant qu'elle constitue un donné ? Existe-t-il un ratage de la métaphore paternelle spécifique à chaque structure clinique ?

La réussite, l'accès à la signification phallique, est aussi un symptôme car elle est dans un rapport symptomatique au langage. Simplement, ce symptôme là est partagé par la majorité alors que le symptôme névrotique reste énigmatique pour le sujet et d'ordre strictement privé.

C'est une deuxième formule, la formule de la métaphore du Nom du père, dite aussi métaphore paternelle, que Lacan utilise.





Lacan commente : La formule générale (la première) "s'applique ainsi à la métaphore du Nom-du-Père", c'est à dire que celle-ci exemplifie, avec des lettres et des barres, la première formule, "soit la métaphore qui substitue ce Nom à la place premièrement symbolisée par l'opération de l'absence de la mère" p35.

Mère avec M majuscule, pourquoi ? Pour moi, il s'agit de la mère symbolique. Qu'est-ce à dire, Mère symbolique ? Comment, de réelle qu'elle est pour le petit, devient-elle la mère symbolique ? Qu'est-ce qui permet à Lacan de nous le suggérer ? C'est le désir de la Mère. On y reviendra.

Lacan laisse entendre que l'accès au symbolique, le premier symbole pour l'enfant, serait en rapport avec l'alternance présence-absence de la mère. Ce qui serait symbolisé primordialement, c'est le trou au bord de son berceau du fait du départ de la mère réelle.

Poursuivons avec cette formule. Grâce à la substitution signifiante, où le signifiant du Nom-du-Père prend la place du Désir de la Mère, se révèle le signifiant inconnu qui est le Phallus, avec une majuscule car il est symbolique.

Désir de la Mère. Pourquoi Désir ? Pour signifier que la mère, de seulement réelle pour l'enfant, devient aussi, par l'alternance présence-absence, symbolique. S'ouvre alors un au-delà de la mère, c'est à dire une référence à ce qui lui manque.
Le désir, par définition, se situe toujours dans un rapport au manque, manque d'un objet qui le cause, ce désir. Quel est l'objet qui manque à la mère et qui cause son désir ? Voilà la question que l'enfant se pose. Cet objet, l'enfant, dans un premier temps, va tenter de le situer dans la dimension de l'imaginaire, avec différentes formes susceptibles de le manifester. Cet objet multiforme, Lacan l'appellera le phallus imaginaire, avec p minuscule. La première triangulation n'est pas constituée du père, de la mère et de l'enfant, nous dit Lacan. Il est constitué de la mère, de l'enfant et du phallus imaginaire.



Le premier tiers, qui manque à la mère, n'est pas le père mais le phallus imaginaire. Cette triangulation se manifeste concrètement en acte dans les jeux avec sa mère, dans les échanges avec elle. Ces échanges se différencient des objets devant lesquelles ils s'extasient, avec des exclamations devant chaque nouvel objet, avant de manifester, toujours de manière ludique, que ce n’est pas ça, que cet objet n'est pas le bon.

Ce triangle concerne la clinique, notamment des perversions. La perversion est fondamentalement à situer dans cette triangulation. Lorsque l'enfant, souvent un garçon, réalise que ce phallus imaginaire se réduit pour la mère au manque du pénis réel et qu'elle ne l'attend pas du père de l'enfant, alors il s'imagine l'être. C'est le travestissement. Ou encore, il investit un fétiche, un objet qui s'interpose entre lui et sa mère et le protège contre la castration maternelle. Ou encore, suite à la perception violente de la scène primitive, l'exhibitionnisme, où l'imperméable est une seconde peau. Le sujet s'identifie à l'égide, à la tunique, censée protéger la mère contre les agressions du phallus imaginaire. On y reviendra. Donc, deux modalités de l'identité du sujet, à la mère ou au phallus imaginaire. Ce n’est pas si compliqué la perversion.

La formule du Nom-du-Père nous intéresse également car elle permet de différencier la névrose de la psychose. La névrose, où la métaphore paternelle s'est produite même si elle échoue, si le sujet refuse d'entendre la signification phallique de la métaphore paternelle, s'il refuse sa singularité.
La psychose où il y a forclusion de la métaphore paternelle, soit la persistance, au-delà d'un certain délai, d'un défaut, d'une carence du Nom-du-Père, du signifiant qui nomme le père. La métaphore paternelle n'a pas lieu.
Conséquence : Il y a production, à la place du Phallus symbolique, de cette signification phallique qui fait défaut, à cette place, se produit un trou à partir duquel vont se succéder des remaniements en cascades jusqu'à ces significations qui se stabilisent dans le délire. Le délire est ce qui permet au sujet de s'orienter. Sans délire, tout est fait d'énigmes angoissantes.

Quel est le statut du Nom-du-Père, de ce signifiant qui nomme le père ? Pourquoi, contrairement aux autres signifiants qui nomment, qui sont des noms, pourquoi le Nom-du-Père a-t-il une signification particulière ? Pourquoi faut-il du Nom-du-Père ?
Pater incertus ! Et cela dans toutes les cultures. Pour prendre en compte et dépasser cette incertitude, a émergé dans le judaïsme une foi particulière qu'on ne retrouve pas dans toutes les cultures. Une foi accordée à un nom, ce nom qui nomme le père et, comme pour l'accentué, ce nom est imprononçable.
Depuis la destruction du Temple, les voyelles qui servaient à phonétiser le tétragramme du nom du père, cette connaissance s'est perdue. Mais s'il est imprononçable, il est en revanche possible pour un sujet, dans certaines circonstances symbolique de la vie, ayant trait à l'autre sexe et, ou, à la figure de la paternité, de faire appel, ce qui n'est pas prononcer, de faire appel au nom du père et d'en attendre la production d'une signification qui permet au sujet de faire face à ces circonstances symbolique de la vie et de les assumer. C'est ce qui s'est passé pour notre aire culturelle et cela continue dans l'inconscient même si la foi accordée à ce nom semble moins vivante. Merci.

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