2 novembre 2011

Marcel GAUCHET 20 10 2011 histoire de la psychanalyse

Marcel GAUCHET 20 10 2011 EPHEP Histoire de la psychanalyse.

Notre question est : Qu’en est-il de l’émergence de la psychanalyse, dans sa pratique et sa théorie de l’inconscient, en tant qu’elle ne serait intelligible qu’en tenant compte d’un de ses objets cliniques particuliers, la névrose.

La névrose est ce qui va cristalliser la théorie et elle est l’opérateur de cette pratique liée à l ‘avancée freudienne.
Son exploration nous emmène loin :
Du point de vue de la théorie, la névrose est un opérateur, un accélérateur, qui regroupe des apports de différentes directions mais en particulier celle de la théorie de l ‘évolution.
Mais aussi dans le domaine social et culturel, la névrose est le révélateur d’une crise identitaire du 20es.
Enfin, l’objet névrose est le point d’articulation de la découverte de Freud, de l’inconscient et de l’avènement du sujet.

L’entrée en cette matière que constitue l’objet « névrose » est le moyen d’échapper à l’effet d’optique qui, comme je le suggérais la dernière fois, nous conduit au déni d’inscription historique.
La rupture de Freud est cette discontinuité radicale, cette nouveauté ne devant rien à l’illusion d’optique qui attend, bien entendu, toujours sa démonstration.

Admettons la nouveauté, mais comment la mesurer ?
Cette discontinuité radicale est créée par la coalescence d’élément du contexte. La névrose est ce point de cristallisation des données culturelles, sociales et scientifiques de son temps qui peut nous servir de repère dans la confusion que provoque l'idée que le nouveau ne se rattache à rien.

Il faut les bons outils pour comprendre comment s'articule les différents apports. L'outil le plus humble, le plus pratique, dont Freud s'occupe en praticien, mais en praticien soucieux d'un nouvel objet, c'est : la névrose.

La névrose posait un problème théorique et pratique au thérapeute. La réponse de Freud est une tentative de réponse à ce souci thérapeutique. C'est la révolution psychanalytique.
Comment une situation donnée est capable d'attirer les éléments historiques qui favorisent sa compréhension intellectuelle ?
La névrose est l'opérateur concret pour aborder la fusion de ces éléments historiques mais aussi, la compréhension du psychisme, du psychique. Notre méthode sera l'inventaire lié à cet objet.

Qu'est-ce qu'on pouvait faire des névroses avec l'arsenal thérapeutique d'un Freud au 18e s ? De quoi disposait-on pour résoudre les questions que la névrose posait ?
En fait, il y avait trois directions :
Ce qui appartient à la tête de Freud, sa formation, ses choix théoriques.
Ce qui vient de l'objet, ce qu'il comporte comme théorie "incorporée" dont Freud, et d'autres après lui, n'ont pas conscience.
Ce qui vient du contexte, par le truchement de l'objet "névrose", qui anime le social et l'histoire.

La névrose est une espèce d'entonnoir. Une époque entière est convoquée par cette question minuscule de la thérapie spécialisée de ces troubles psychiques non repérés jusque là.
Partir des névroses, c'est partir du raz du sol, quand Freud, jeune praticien, de retour de Paris, médecin spécialisé dans les espèces nouvelles de maladies nerveuses inconcevable 30 ans avant, quand jeune praticien, il reçoit cette clientèle nouvelle, avec une nouvelle demande de soins et une souffrance qui ne relève d'aucune spécialité médicale.
La maladie nerveuse était une entité floue et ses particularités transgressaient les frontières des disciplines de l'époque. La neurologie ne s'en occupait pas même si son étude faisait partie de la formation médicale. La psychiatrie, pas plus, bien qu'elle s'en mêlât. L'hystérie est de la prérogative des deux sans être d'aucun, d'où l'embarras.

Le signe de cet embarras est qu'il suscite nombre de créations institutionnelles, d'établissement nouveaux, d'établissement médicaux "hydro-thérapeutique" orienté sur les préférences de l'époque. Nous en avons gardé dans notre mémoire, les hydropathes. Il se multiplie partout à partir de 1870.

Ces malades ne relèvent pas de la maison de santé, à la différence des aliénés. Il n'y a pas besoin d'internement, il vienne d'eux-mêmes. Ils ne relèvent pas de l'hôpital général qui est en pleine réforme vers ce que de nos jours, nous connaissons, la spécialisation, etc. Dehors !
Donc on a créé, à l'époque, des établissements ad hoc, qui ont disparu ensuite. La névrose était définie par les thérapeutiques jugées adéquates à l'époque. Outre l'hydrothérapie, l'électrothérapie était à l'avant garde du mouvement. Un pionnier en Allemagne, Erbe, en 1882, appliquait cette thérapie aux patients victimes de maladies nerveuses. Freud lui-même a commencé sa carrière en comptant, parmi ses outils, l'électrothérapie. Il s'agissait d'un champ de vives activités à l'intérieur duquel on ne savait à peu près rien, ce qui est encore le cas actuellement. Et avis aux amateurs !

Voilà le fond de peu d'évidence sur lequel se développe la psychanalyse, de non évidence y compris pour le spécialiste. L'ancienne névrose persistera jusqu'en 1914, reconnue mais incomprise.
Le mot névrose vient de très loin mais le sens a changé, il a été révolutionné dans sa délimitation et dans son unité. Nous verrons les sens anciens et leur passage à un autre point de vue.

Nous disposons d'un repère ferme : Le moment, pour nous, de la naissance de l'idée de la névrose au sens moderne, on peut le dater. 1894, l'article de Freud "psychonévrose de défense" en même temps que "L'état mental des hystérique" de Pierre Janet dont le sous titre est "Les accidents mentaux".
Freud publie avec Breuer des "Etudes sur l'hystérie" et les mécanismes psychiques, dont les communications préliminaires seront reprises encore en 1945 par Freud. Janet cite cette communication de Freud et Freud cite Janet dans son premier ouvrage. Ils sont tous deux sur la première ligne de départ et ils ont une parenté intime au niveau de leur démarche. Cela est crucial pour comprendre en quoi la démarche de Freud a été plus féconde.

Le fait envisagé par ces textes consiste en la réunion de troubles de même nature aux manifestations différentes. La phobie et l'hystérie dans leur jonction alors que ces deux catégories étaient jusqu'alors séparée, elles relevaient de spécialités médicales différentes. La psychiatrie tenait la phobie et l'obsession, la neurologie s'occupait de l'hystérie.

Il y a un sous titre que l'on oublie "Essai de théorie". D'entrée modeste. "De nombreuses maladies". Pas toutes. "Et des hallucinations". Il y a une certaine confusion et aussi un sentiment, que ce sous titre dégage, de prolongement possible à ces entrecroisements. L'étude des obsessions a conduit des tentatives d'explication et des observations qui ont contribué à la théorie de l'hystérie et c'est ce dont il faut tenir compte dans l'histoire de la névrose.

Freud, dans ce style qui lui est propre, où il mélange l'audace et la prudence, ajoute "J'ai eu l'occasion de pénétrer les mécanismes de la maladie mentale et les connexions entre l'obsession et la névrose".
Janet est-il dans le même ordre de questionnement ?

La définition de l'hystérie connaît un élargissement et ensuite, on la retrouve partout, au-delà de la clinique, dans le public, dans la culture de cette fin du 19e siècle. L'hystérie est synonyme de désagrégation mentale et de dédoublement de la personnalité.
Sur cette base, Janet conclut en rapprochant l'hystérie de sa création, la psychasthénie, p292 de l'édition d'origine. Il vise une frontière de la folie où les symptômes, variés, ont un point commun. Les doutes, obsessions, impulsions, phobie, etc. sont d'origine psychique.
C'est une piste importante car elle s'ouvre sur la psychologisation de la neurasthénie, terme très répandu à l'époque, et qui loge la maladie dans le système nerveux. Janet, lui, la loge dans le psychisme.

La différence qu'on supposait entre l'hystérie, comme somatique, et la psychasthénie, comme morale, Janet la résout en posant qu'en réalité, les deux ont des origines psychiques. Cependant, même psychique, elle comporte des différences importantes. Le défaut, la désagrégation ne se présentent pas de la même manière dans les deux cas.

Ceci est essentiel pour notre problème, et présente deux versants : La nature des obstacles à vaincre pour parvenir à cette réunion et le modèle qui permet cette jonction.

Janet voulait un remaniement entre ces deux domaines de la psychiatrie qui s'occuperait de l'hystérie, comme physique, et de la psychologie, qui s'occuperait des obsessions et des phobies comme morales, liées à l'esprit, sans substrat organique.
En fait, la dislocation des anciennes névroses a induit un partage des maladies mentales entre psychose et névrose. Elle a transformé le point de vue de la neurologie qui détachera l'hystérie de la notion d'hypocondrie, ainsi que le point de vue de la psychiatrie qui détachera des maladies mentales un groupe de troubles, le syndrome épisodique des dégénérés, qui deviendra ensuite par simplification les impulsions, obsession, phobie, etc.
De morceaux arrachés à la psychiatrie et à la neurologie, de leur jonction, il résulte l'objet névrose. Une compréhension nouvelle engage, du côté de l'hystérie, un questionnement sur la différence entre le psychique et le somatique, et du côté de la phobie, de l'obsession, sur la différence entre névrose et psychose. C'est à dire un questionnement de structures psychologiques, pas seulement centré sur le symptôme mais sur les mécanismes psychiques en général.

Si la solution de Janet consiste à distingué l'hystérie du syndrome dégénéré, Freud quant à lui propose le cadre innovant du clivage dans les contenus de la conscience, la dissociation. C'est cette terminologie nouvelle qui établira notre concept psychanalytique de névrose, franchement du côté de l'hystérie et de son étude à la Salpêtrière, avec Charcot, avec l'hypnose.
Il introduit la question de la personnalité et de son unité, qui devient une question majeure et qui implique que la personnalité peut se diviser. C'est ici, en cela, que Freud et Janet diverge.

Préalablement, ils étaient d'accord sur la délimitation du phénomène mais d'emblée en désaccord sur les explications qu'ils en donnaient. Dés 1814, leur divergence s'exprimait en regard du champ de l'économie psychique, champ non crée par la psychanalyse mais par l'avancée de la notion de neurasthénie qui était une transposition, dans le comportement nerveux, du problème plus global de l'énergie. En effet, en 1948, Orswald invente le terme de thermodynamique. L'idée simple fut que si l'énergie est d'un aspect aussi fondamental, alors le psychisme aussi est une énergie nerveuse.

Janet reprend cette idée, l'appliquant à la neurasthénie, comme perte d'énergie, affaiblissement. Pour l'hystérie, il s'agit de faiblesse ou d'épuisement cérébral qui se traduit par la faiblesse de la synthèse psychique. Les troubles sont dû à un défaut de la synthèse psychique du au manque d'énergie psychique.
Freud, d'emblée, inverse cette logique dés son article sur les psychonévroses de défenses. Ce qui est impliqué dans ces aspects de défenses, ce n'est pas l'insuffisance mais le trop plein d'énergie qui est posé comme origine d'un retournement du sujet contre lui-même. Non un déficit mais une défense contre des forces menaçantes dont il n'a aucune idée mais qu'il cherchera.

Non voyons dans ce premier repérage la fécondité de cette matrice engagée avec cette objet heuristique dont sa circonscription clinique témoigne.
C'est cependant simplificateur de se concentrer uniquement sur la névrose car le mouvement concerne un champ plus large de remaniement à l'origine de cette nouvelle discipline qu'est la psychopathologie et qui fera place à d'autres cliniques telles que les perversions sexuelles. On dispose d’une date repère connue, la publication en 1886 de Kraft Ebing, "Psychopathia sexualis". Il y a aussi la psychologisation de l'alcoolisme, bien avant son abord somatique, et l'apparition de la notion de toxicomanie sur laquelle Freud en savait un bout. Également investie, une série de comportements délinquants et criminels avec l'apparition de ce terme paradoxale de psychonévrose et déjà, la figure du psychopathe, toujours en cours actuellement et qui se cherche encore.

La grille de lecture se transforme selon une ligne qui départage le normal du pathologique avec en toile de fond la domination de Claude Bernard, médecin expérimentaliste, précurseur d'une véritable conquête intellectuelle.
Pour nous, la névrose est un support privilégié, un point d'application de la réinterprétation du normal et du pathologique mais les retombées de cette idées sont larges. Il s'agit d'éclaircir le domaine de la névrose tenant compte que cette recherche concerne un champ beaucoup plus large.
Le point d'aboutissement est un point de commencement de la réponse aux questions théoriques et pratiques que son identification pose.

Pour la question de savoir comment on en est arrivé là, il faudra repartir des névroses au sens ancien du terme, à partir du 18e siècle; Terme ancien et pourtant resté jusqu'à nous alors qu'il aurait pu disparaître comme il a disparu de la psychiatrie officielle actuelle. S'il a survécu, c'est à la notion d'hystérie, notion renouvelée mais qui s'est imposée, que nous devons l'objet névrose. C'est à partir de cet objet que nous continueront le questionnement des cadres anciens médicales et culturelles de son déploiement. Merci.

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