27 novembre 2011

FIERENS 10 11 2011 Logique de la psychanalyse

FIERENS 10 11 2011 Logique

Nous continuons nos questions à propos de la logique en psychanalyse. Il s'agit de reprendre les différences entre la logique formelle et la logique pour la psychanalyse, le problème de l'identification avec le carré d'Apulée, le problème de la causation du sujet et de son aliénation. De la logique en psychanalyse, on tentera d'en voir la cohérence, sa clinique spécifique et ses indications.

Il y a opposition entre la logique classique, formelle et la psychanalyse. La logique formelle suppose un univers partagé en une multitude de petites cases. Le petit bout de jouissance purement local auquel s'attache la psychanalyse est à l'opposé de l'univers et de sa condensation.

La logique classique pose que s'il y a S1 alors S1 = S1, qu'un terme répété reste ce terme. La logique formelle du S1 x S1 = S1 s'oppose au S1 x S1 = S2 de la psychanalyse. Pour elle, un signifiant ne peut se répété à l'identique. Le formelle et l'atemporel, axe a-a', s'oppose à l'objet et au temporel, axe S barré-A, de la psychanalyse.



Le carré d'Apulée, qui articule les quatre propositions aristotéliciennes est le cadre de la logique formelle que nous utilisons toujours actuellement quotidiennement.



A E : Contraire Universelle Affirmative vs Universelle Négative.

Au moins un est faux, A ou E ou les deux ("ou" inclusif)

I O : Subcontraire Particulière Affirmative vs Particulière Négative.

Au moins un est juste

A O : Contradictoire Universelle Affirmative vs Particulière Négative et
E I : Contradictoire Universelle Négative vs Particulière Affirmative.

C'est A ou O ("ou" exclusif). Principe du tiers exclus.

A I : Subalterne Universelle Affirmative vs Particulière Affirmative et
E O : Subalterne Universelle Négative vs Particulière Négative.

On déduit I de A et O de E. Si A alors I nécessairement. Flèche d'implication logique.

Par exemple, on prend l'ensemble des névrosés, on en détache une partie pour l'articuler à l'ensemble. Cette manière de procédé est d'une logique purement formelle et, par mimétisme, on retrouve cette démarche jusque dans la psychanalyse. Il faut être attentif et s'en rendre compte.

Abordons la notion de temps logique que Lacan décrit dans l’article « Temps logique ». Je présente ce texte de manière simpliste car mon but n'est pas d'exposer la notion de temps en psychanalyse mais la logique. C'est qu'il y a bien, dans ce qui y est décrit, constitution d'un objet, une identification, un objet qui est en fait déjà constitué mais pour comprendre il vaut mieux partir d'un point de vue minimaliste. C'est sa la psychanalyse, partir non d'un univers mais d'un petit indice, un lapsus, une lettre et pas plus, bien que l'objet soit déjà constitué.

Voici l'exemple minimaliste que Lacan nous expose. Un directeur de prison convoque deux prisonniers. Il leur montre trois disques, un noir et deux blancs. Noir et blanc, c'est bien le minimum qu'on puisse. Il leur dit qu'il va coller un disque de son choix au dos de chacun d'eux, soit de tel manière qu'ils ne peuvent voir le disque qui est dans leur dos mais seulement celui de leur compagnon. Et leur donne cette consigne : Le premier qui devinera sa propre couleur et qui pourra expliquer comment il l'a déduit sera libéré. Ensuite, il colle à leur insu deux disques blancs.

Comment vont raisonner les prisonniers ? Chacun des deux voient blanc et en déduisent que si l'autre avait vu noir, il aurait immédiatement déduit qu'il est blanc. En trois secondes, ils se précipitent tous les deux pour donner leur raisonnement. Lacan explique pourquoi ils se hâtent pour conclure après une hésitation. Pourquoi trois secondes est le temps qu'il leur faut pour s'impliquer.

Mais notre question est, non comment ils découvrent leur couleur mais ce qu'il en est de la production d'associations complexe équivalentes, ici, aux associations libres de la règle psychanalytique. Donc, non l'identification du moi, mais ce qu'implique cette structure dualiste qui passe par la question de l'autre. Non le fait d'être blanc ou non blanc mais toute la mécanique de l'identification.

Le prisonnier se reconnaît comme blanc dans une suite de jugement caractéristique dont les types sont nécessaires :
Hypothétique : Si j'avais été blanc, il aurait immédiatement reconnu qu'il était blanc.
La quantité dans le jugement : Tous, quelques uns, un seul, aucun, c'est l'universelle et le particulier.
La qualité dans le jugement : Négatif ou affirmatif.
La catégorie de la relation : Catégorique (Je vois que l'autre disque est blanc) ou hypothétique.
La catégorie de la modalité : Possible ou réel (Il est possible que je sois noir mais réel que je sois blanc).

Ce qu'il faut noter, c'est que si vous vous servez du carré d'Apulée pour identifier votre patient, vous êtes dans la logique formelle, vous le mettez nécessairement dans des cases.
Un signifiant n'est pas identique à lui-même. Le tiers exclu ne fonctionne pas en psychanalyse. Cela veut dire qu'il n'y a pas une simple séparation entre la gauche et la droite du carré d'Apulée. Il n'y pas seulement l'affirmation et la négation mais aussi un jugement plus complexe qui contient une négation à l'intérieur même du sujet, le sujet est barré. La forme est négative mais le contenu du jugement est différent. La différence est que cette négation forme une limite, une barrière mais qui ne sépare pas forcément seulement deux champs.

"Ce n'est pas ma mère". Il ne s'agit pas d'une négation de la mère mais d'une limite à l'intérieur même du concept "mère". Nous sommes donc obligé d'introduire entre l'affirmation et la négation une coupure qui n'appartient ni à l'une ni à l'autre.

Un signifiant entre dans la catégorie de l'universelle : Tous les signifiants. Ou dans la catégorie du particulier : Un signifiant. Évidement, ça vaut pour tous, mais ce n'est pas universel. C'est aussi plus que particulier, c'est singulier, en lui-même et non en rapport à une batterie de signifiants. Entre l'universelle et le singulier, il y a quelque chose de nouveau : Le singulier. En logique formelle, le singulier fait partie de l'universelle alors qu'en psychanalyse, il aurait plus ou moins trait au particulier. Or, ce n'est ni l'un ni l'autre, c'est "autre". D'où l'obligation de modifier le carré d'Apulée pour un carré en neuf cases.



Il y a du travail pour la psychanalyse avec ces cinq nouvelles cases. Qu'est-ce qui fait limitation et qui est singulier ? Le trait unaire. Le trait qui fait coupure, limite. Un "un", singulier.
Il est possible d'opter pour une logique classique. L'identification œdipienne au père, par exemple. Ou au contraire, l'identification au trait unaire, à quelque chose de singulier, de l'ordre d'une jouissance particulière, spéciale, très simple mais qui contient une coupure, une différence. Le S1 barre S2. La toux de Dora, par exemple, n'est pas celle du père. Il y a une coupure dans le trait unaire lui-même.

Pour imager ces cinq nouvelles cases, on peut placer y placer des traits. Pour S1, des traits verticaux. Pour S2, des traits non verticaux, par exemple obliques. Au centre, oblique et vertical, laissons-le vide.



Vous y reconnaissez le cadran de Peirce.



Donc, nous pouvons écrire :



A quoi ça sert, me direz-vous.
On peut y voir comment se constitue l'identification où le grand Autre, affirmative universelle, se constitue par adjonction du particulier singulier.



Concrètement, une identification se fait. Elle est construite. Donc, nous n'avons pas à enfermé quelqu'un dans une case puisqu'il se construit.
Par exemple, Lacan nous soumet : Tout père est Dieu. Mais si tout père contient un ordre de contradiction alors aucun père. Donc tout père est dieu puisqu'il n'y en a pas.
Il n'y a pas lieu de refuser cette construction car la psychanalyse ne consiste pas à éviter les universaux et à s'en tenir au pas-tout (ici, ce pas-tout n'est pas celui du schéma de la sexuation), elle ne consiste pas non plus à contredire l'universelle affirmative, mais elle vise à questionner la mise en jeu c'est à dire le formel en psychanalyse et à tenir compte du trait unaire et de ce qu'il engendre.

Troisième et dernier point : Avec notre carré, nous n'envisageons que la qualité du jugement. Mais si j'ajoute le catégorique et l'hypothétique ainsi que le réel et le possible, alors nous aurons d'autres caractéristiques.



Tout part du catégorique et du réel. L'avantage ? On peut tout en tirer par implication. C de B, D de B, F de C. La pensée substantialiste est un gros avantage car un chat est un chat, un psychotique est un psychotique, etc.

Le problème en psychanalyse est qu'il n'y a ni catégorie de substance, ni hypothèse qui permettraient de déduire quoi que ce soit. La substance-cause, nous ne l'avons pas. Par contre, nous avons, comme limite, le concept de pulsion qui n'est ni substance ni cause, qui est un concept limite, un entre deux, âme ou corps. De même, pour le jugement, nous n'avons ni catégorie (pas de "c'est comme ça) ni hypothèse mais du disjonctif. D'où, à nouveau, nos trois colonnes.



Ce qui nous arrive, est-ce réel ou est-ce une nécessité ? La nécessité n'est ni réel ni possible, d'où la troisième : Le nécessaire. C'est comme avec le carré d'Apulée, c'est l'expérience de la psychanalyse qui oblige à cette modification à partir de laquelle on construit une logique propre à la psychanalyse.
Qu'est-ce qui est nécessaire-disjonctif ? La structure lacanienne, qui n'est pas une classe de la logique formelle mais, la structure de l'être parlant, du schéma L qui vaut pour tout le monde.
Disjonctif ? Oui, car nous n'avons pas de définition catégorique, nous n'avons pas d'élément qui se définit par lui-même positivement ni par un élément extérieur, mais seulement des définitions par actions réciproque, par sa différence par rapport aux autres éléments de la structure.

Voir le mythe d'Aristophane où les hommes primitif furent séparé en deux et où chacun ne vaut que par rapport à l'autre. Si pour Lacan, l'inconscient est structuré comme un langage, c'est qu'il parle de la création de deux éléments qui n'existe que l'un par rapport à l'autre, le S barré et l'Autre. Ce qui ne veut pas dire que l'inconscient se joue dans les signifiants mais qu'il est une structure d'opposition aux éléments non préétablis mais qui ne valent que par disjonction les uns avec les autres, de façon nécessaire. La structure est au centre.
Voir aussi le mythe de la lamelle. Un tout mythique, l'œuf, se sépare en deux. Chacun se définit en fonction de l'autre. L'œuf se divise, disjonction primordiale sujet-fœtus et Autre-membrane, placenta.

Comment spécifier cette structure ? Il y a deux opérations de causation du sujet. L'un se définit par rapport à l'autre. La causation, l'origine, est cause non extérieure mais qui appartient au sujet qui se cause. C'est l'opération aliénation-séparation, le disjonctif ne se résume ni au "ou" inclusif, ni au "ou" exclusif.



Dans le carré d'Apulée, le quantitatif est l'affirmation et la négation. L'écriture formelle de l'aliénation pose que la proposition est aliénée à la quantité et que la quantité est aliénée à la proposition. Or, pour Lacan, c'est incorrect. Pour lui, il n'y a rien de formel en ce domaine.
La bourse ou la vie ! Ce n'est pas la formule qui est déterminante. Ce qui vous prend la vie, c'est la bourse elle-même, la chose, le contenu lui-même. Il n'y a pas d'aliénation sans contenu, ce n'est pas quelque chose de formel.
S'il y a fonction, c'est à partir du contenu. Donc pas de formule. A partir du contenu c'est à dire de la structure, qui est plus importante que toute formule mathématique. En psychanalyse, il y a toujours le sujet ou l'Autre en jeu, le schéma L est toujours en jeu.
En psychanalyse, le sujet et l'Autre interagissent pour donner un sujet écorné et un Autre écorné. Cette interaction éloigne de la logique formelle et donne le sujet barré et l'Autre barré de l'aliénation.



Le nécessaire, c'est la séparation. Le manque du sujet barré et le manque de l'Autre barré qui sépare ce qui est différent du sujet et différent de l'objet. C'est la question du "Che voi", le nécessaire d'être là, chacun, à partir du manque, nécessairement.
Cette logique fait fonctionner le poinçon <> dans la logique du fantasme. C'est à partir des quatre positions du <> que Lacan démontre son tétraèdre, la logique des quatre discours dans "L'envers de la psychanalyse"

Il s'agit d'une logique qui n'est ni sèche ni aride car elle se fonde sur une petite chose par rapport à laquelle on est comme des dieux non créateur de l'univers mais ouvert sur de nombreuses pistes pour la pratique spécifique de la psychanalyse, pratique très différentes de celles qui inscrivent leur objet dans une logique formaliste. Merci.

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