1 novembre 2011

Claude LANDMAN 17 10 2011 Symptôme et métaphore

Claude LANDMAN 17 10 2011 EPHEP Symptôme et métaphore.

La gerbe de Booz. Si j’insiste sur la métaphore, c’est que le symptôme est une métaphore. Que dit Lacan dans « L’instance de la lettre » ? Un passage montre le lien essentiel entre la structure de la métaphore et la fonction paternelle. Nous y reviendrons pour établir la distinction structurelle entre névrose et psychose ainsi que pour le statut du symptôme.
« L’étincelle ne jaillit pas de deux images » dit-il. Soit de deux signifiants actualisés. Lacan définit l’image comme un signifiant actualisé. « L’étincelle jaillit de deux signifiants dont l’un s’est substitué à l’autre, l’occulté restant présent de sa connexion métonymique au reste de la chaîne ».

Deux remarques :
Il doit subsister un écart entre les deux signifiants pour rendre compte de l’étincelle créatrice de sens et génératrice de signification que sont la métaphore et la métonymie. On différenciera plus tard le sens et la signification, ce n’est pas simple.
Il y a dans cette référence à la métonymie conjointe à la métaphore, l’idée pour Lacan, d’une présence maintenue dans la chaîne, mais en dehors de la phrase, « occulté », refoulé, du signifiant, qui reste présent dans ce qu’on prononce effectivement mais qui n’est jamais prononcé.

« Un mot pour un autre », voilà la formule de la métaphore. Un mot à la place d’un autre. Les termes « à la place » sont importants. Et si vous êtes poète, vous produirez des jeux, des effets poétiques liés à la métaphore. Poiesis, faire, fabriquer, créer.
D’où la référence à un Dieu potier, créateur comme l’artisan est producteur. Voir Heidegger, son texte sur « La chose ». Le pot ne se fabrique qu’autour du vide qui le constitue dans son essence. Le Dieu potier est capable de créer à partir du rien qu’est le signifiant. Ex nihilo.
Que la lumière soit. L’idée même de la création, non à partir du néant mais de rien, ne se soutient que de l’étincelle productrice de sens de la métaphore. Fiat lux, le sens jaillit tout à coup.

Dans les vers de Victor Hugo, il est manifeste qu’aucune lumière ne jaillit des termes gerbe, avare, haineuse. Ce sont de simple attribut et Booz qui en est le propriétaire n’a pas à leur faire part de ses sentiments.
Si « gerbe » renvoie à Booz, c’est que ce terme se substitue à lui dans la chaîne signifiante. A sa place : Là où Booz était attendu, c’est sa gerbe qui vient.
« Mais dés lors, c’est de Booz que la gerbe a à faire place net ». La gerbe a rejeté Booz, exclu, rejeté dans les ténèbres du dehors où l’avarice et la haine l’accueillent dans leur négation. Place net pour ce x dont la gerbe a usurpé la place. Mais Booz ne saurait y revenir, le « sa » de « sa gerbe » est l’obstacle de plus. Sa générosité affirmée se voit réduite à moins que rien.

Premier temps : Aucune lumière ne jaillit.
Deuxième temps : On situe « gerbe » à la place de Booz et sa nature généreuse, etc. Mais qui n’est pas celle de Booz, c’est-à-dire qu’il y a un transfert de signification.
Lacan insiste sur le terme « place » : Avec la métonymie et la métaphore, un signifiant prend la place d’un autre. Ce mode de relation entre signifiant définit un espace qui ne peut être définit qu’uniquement par des places. Voilà, ce qui est important, qui intéresse Lacan, est, au sens propre, une topologie.

La topologie est la science des relations entre les éléments d’un espace indépendant du métrique. En psychanalyse, elle s’établit grâce à l’écriture qui rend compte de la relation entre les signifiants. C’est avec cette topologie que Lacan rendra compte de ce qui se produit dans les relations entre les signifiants. Dans son article, on trouve parfois trois ou quatre occurrences du mot « place » en quelques lignes seulement.

« Mais si de cette profusion (de la gerbe) le donateur a disparu avec le don, c’est pour ressurgir dans ce qui entoure la figure qui l’annihilera, la gerbe ».
« Le rayonnement de la fécondité ». Surprise ! L’avènement du vieillard. Il y a un lien intrinsèque entre la métaphore et la « fécondité », la référence paternelle.
Il y a une étincelle qui produit le mystère paternel. Freud le fonde du meurtre du père. Mais Lacan, lui, remplace le mythe meurtrier par l’abolition métaphorique, ici, du sujet Booz. Il sous-entend qu’il n’y a pas nécessité de penser le mythe meurtrier, il suffit de ce qui se produit dans une métaphore induite, comme c’est souvent le cas, par une référence au père.

Nous y saisissons de quoi se paie l’accès à la puissance paternelle. « Une race naîtrait de moi ? » Comment se pourrait-il ? Un vieillard, un enfant ?
L’instance paternelle se paie du prix de l’abolition, au profit de la fécondité et de la paternité, d’une abolition métaphorique de Booz en tant que sujet. Pour Freud, elle a un nom : La castration. Et celle-ci pour Lacan n’est pas seulement une menace imaginaire.

Le dernier quatrain d’Hugo le confirme. Ruth se demande quel Dieu a négligemment jeté cette faucille d’or dans le champ des étoiles.
J’insiste : L’abolition de Booz comme sujet, par la métaphore, n’est pas au service des relations sexuelles entre Ruth et Booz. Ils n’en savent rien. « Booz ne savait pas qu’une femme était là ».
L’abolition du sujet est nécessaire pour que se perpétue la chaîne paternelle. Que cela fasse sens pour un homme, se paie du prix de sa singularité et c’est ce qui se produit de la métaphore.

Pourquoi la névrose comme structure du sujet ? Car à l’abolition de sa singularité, au profit de l’engendrement d’une signification qui vaudrait pour tous, c’est l’instance phallique qui veut que l’on s’y range. Le névrosé s’y refuse. Voilà contre quoi il se défend. Tout mais pas ça.
On ne peut pas lui donner entièrement tort. Il paie chèrement son maintient dans la singularité du sujet qui dés lors ne se trouve pas entièrement au service du sexe et du travail, c’est-à-dire du phallus.
La conséquence est la mise en place, par le sujet, sous la forme du symptôme, d’une signification privée, singulière et énigmatique pour le sujet comme pour les autres.

Il y a peut-être d’autres voix que la névrose pour se faire entendre. Le symptôme peut se substituer au signifiant phallique, qui ne se voue qu’au sexe et au travail. Avec la nouvelle économie psychique, Melman montre la tentative, à grande échelle, de se passer de la référence au Nom du père et à la signification phallique dont il résulte un impact sur les symptômes et sur les structures cliniques qui se distingue comme mécanisme différencié à l’endroit de la castration. Névrose, déni. Perversion, refoulement. Psychose, forclusion.
« Se passer du Nom du père à condition de s’en servir ». Une réponse à la question du Nom du père est possible, autre que nostalgique des derniers enseignements de Lacan.

La première formule de la métaphore dans « L’instance de la lettre », est :
F (s’/s)S º S(+) s. Le signe º étant le signe de la congruence. F est une fonction.
Et la suivante est S/s f(S) 1/s.

Ces formules sont dérivées de S/s qui se transforme en f(S) 1/s. C’est le même algorithme mais mis en fonction. Elles donnent la structure de la métaphore et indique que c’est la substitution (S se substitue à S’) du signifiant au signifiant que se produit un effet de signification, de poésie, de création. C’est l’avènement de la signification qui était un mystère pour le sujet.
Le signe plus (+) manifeste ici le franchissement de la barre. Il est la valeur de ce franchissement pour l’avènement de la signification (s). Ce franchissement veut dire qu’il faut que le signifiant (S) s’injecte dans la signification. C’est la condition de l’effet de sujet.

Ce franchissement est la condition de l’effet de sens et du sujet comme effet. Nous conserverons provisoirement le s comme sujet. Comme Booz, ce sujet aboli métaphoriquement, est à situer, non du côté du nom propre mais, à la place du signifié « père », où il perd sa singularité. Le S est barré de se diluer dans la signification.

Dans ces pages, Lacan ne distingue pas effet de sens, sens et signification.
Le sens ne se produit que si la barre est effectivement franchie, induisant pour le sujet, l’intelligence des propos auxquelles il accède. Il faut situer le sens dans le moment où le franchissement a lieu, franchissement qui spécifie la métaphore.
La signification serait ce que n’importe quelle phrase peut produire à condition qu’elle ait une structure grammaticale. Dans « Problèmes cruciaux pour la psychanalyse » Lacan questionne la structure syntaxique et choisi une phrase que Noam Chomsky déclare sans signification. « D’incolores idées dorment furieusement, etc. »
Lacan montre que cette phrase peut avoir autant de signification que l’on veut dés lors qu’elle a un référent. Par exemple, si le référent est la psychanalyse, elle peut avoir le sens des pensées qui sont dans les rêves. Une phrase construite grammaticalement, qui respecte le sujet, verbe, complément, a toujours une signification, dés lors qu’elle se rapporte à quelque chose.
La métaphore a donc une double détente.
Premier temps : Le non sens. Un signifiant s’arrache à ses connexions lexicales habituelles. Une gerbe devient avare et haineuse.
Deuxième temps : Émergence de sens, nouveau et poétique.

Il y a donc toujours signification mais non forcément toujours effet de sens. Un exemple ? Quand les métaphores poétiques sont passées dans le langage courant et répétées pendant des siècles, échangées comme la monnaie usée de Mallarmé, l’effet de sens, et bien, il disparaît. « L’aurore au doigt de rose » ne nous fait plus le même effet qu’à Homère.

Quant à distinguer le sens de la signification, notons que le sens constitue ce qui donne sa densité à la signification, en y donnant la dimension du sujet. L’effet de sens est l’effet d’un sujet mais disparu, un S barré, aboli dans sa singularité.
Voilà pourquoi provisoirement Lacan confond sens et sujet. Plus tard, il précisera que « le signifiant représente un sujet pour un autre signifiant ». On reprendra ça.

Qu’en est-il du symptôme comme métaphore ? « Le mécanisme à double détente de la métaphore est celui qui détermine le symptôme au sens de la psychanalyse ». « Entre le signifiant énigmatique et le signifiant de la chaîne actuelle, passe l’étincelle qui fixe le symptôme, inaccessible au sujet conscient ».

Emma subit un symptôme dont la signification lui échappe mais qu’elle reconnaît comme sien. Elle évoque l’endroit « où il peut se résoudre ».

Lacan maintient longtemps cette identification de la structure du symptôme, inhérent au sujet, à la structure de la métaphore. L’intérêt est que le signifiant de substitution est un élément du corps, de la chaire, le signifiant de substitution est prélevé au niveau du corps.
Le sens du symptôme est inaccessible au sujet et c’est dans cette mesure que le jeu du signifiant et de la lettre est susceptible de se produire indépendamment du signifié, comme dans le rêve ou l’association libre. Ce n’est pas la même approche quand Freud, à partir d’un signifiant inaccessible, cherche à déployer, par le jeu des signifiants, quelque chose qui puisse être réintégré de la signification du symptôme.

Dans « Les formations de l’inconscient », Lacan définit le symptôme au sens, non de la psychiatrie ou de la psychologie, mais au sens de la psychanalyse. « Le symptôme est ce qui est analysable comme tel ». Soit l’ensemble des formations de l’inconscient qui, du fait d’être de structure dans l’inconscient, peuvent se résoudre pour le sujet à partir du jeu des signifiants.

La prochaine fois, à partir de « Tout traitement possible de la psychose », j’essaierai, avec la métaphore paternelle, de déplier la différence entre névrose et psychose.
Merci.

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