20 décembre 2011

Jean BRINI 14 11 2011 Surface

14 01 2011 Jean BRINI Surface

De commencer par les surfaces, comment le justifier ? Par un extrait du cours de De Saussure par de L. Gerris, 1910, qui est au cœur de la question. Cette citation contient tout le reste qui suit. Au chapitre 4, il définit la pensée comme une nébuleuse, non délimitée, pour laquelle il est nécessaire qu'il n'y ait pas de distinction avant la langue. Pas de moule mais une matière souple, plastique, qui fournira le signifiant. D'où ce dessin, les deux continuums :

Comme l'air et l'eau, si l'atmosphère change, ça fait des vagues : C'est l'idée de l'accouplement de la pensée à la matière phonique.
Cette métaphore a quelque chose de puissant. Qu'est-ce qu'une vague ? C'est là mais elle se déplace. Une vague n'est rien d'autre qu'une différence qui se ballade. Un signifiant, c'est un peu comme une vague, il ne vaut que par la différence baladeuse.
Néanmoins, une vague, ce n'est ni l'air ni l'eau. C'est discret mais cependant désignable. Il y en a une ou pas. Il n'y a pas plus ou moins une vague. Voilà pourquoi le signifiant se déploie en un lieu que De Saussure appelle une interface, entre deux continuum, quelque chose qui se déploie dans ou sur une surface.
Cette métaphore nous introduit à cette question. La surface, en quoi consiste-t-elle ? Pour le parlêtre surtout, quelle est sa forme ? De Saussure, du fait de cette découpe, dit du langage que ce n’est pas une substance mais une forme. Cela dit, il ne va pas plus loin. Pour lui, le langage est comme une feuille de papier, avec un recto et un verso, dépendant l’un de l’autre, c’est à dire une combinaison dont se produit une chaîne signifiante.
Mais est-ce qu’une surface est nécessairement une feuille de papier ? Il y a une objection. Le langage se déploie en un lieu fini car le signifiant est limité. Il s’agit d’une dune de vie limitée. La finitude critique la métaphore de la feuille.

Pourquoi s’intéresser à la surface ? Dans « Fonction et champ de la parole et du langage », Lacan dit que le langage est un champ. Est-ce sérieux ? Oui, si nous définissons ce champ.
En mathématique un champ se définit avec deux choses. Un espace et une fonction qui associe à chaque point de cet espace un truc. Par exemple, un nombre. Pour la température d’une pièce, nous associerons un nombre à chaque point de l’espace de la pièce pour décrire qu’il fait chaud en haut et froid en bas.
On peut trouver plus compliqué qu’un nombre. Par exemple, un vecteur. Lorsqu’un fleuve rencontre une pile de pont, le champ de la vitesse décrit à Tt la surface du fleuve.

Autre exemple, le champ attractif du soleil, où ce n’est plus la vitesse de l’eau mais la force qui attire chaque masse.

Dans la Traumdeuntung, quand Freud analyse un rêve, il s’aperçoit qu’il est très difficile de demander au patient de recommencer son récit. C’est toujours différent. En fait, ce sont les différences qui sont les plus importantes. Le patient traduit à nouveau son rêve, pour se défendre et déguiser, pour Freud, ce qu’il en est.

Le récit est une trajectoire dans un espace où la répétition observe des déviations appelées centre répulsif en physique. D'où cette idée que le langage est un champ, idée que l'on trouve déjà chez Freud. Il y a cette expression importante de Freud : "Le patient remplace une expression par une autre plus éloignée". On y entend la notion de distance. Dans toute langue, il y a des proximités et des distances qui appartiennent, non au sujet mais, à la langue, des écarts entre les mots, les sonorités, les significations.
Ici, il est possible de faire une critique de la topologie. La géométrie est sans distance. Une déformation n'empêche pas l'identique. Une sphère percée n'est qu'un disque, par exemple, ce qui n'a rien à voir avec le proche et le lointain. Néanmoins, avec Lacan, lorsqu'on approche l'objet petit a, de quelle nature est cette approche ? Je me pose la question.

Une autre justification de cette question des surfaces est cette assertion de Lacan : Quoi d'étonnant à parler comme d'une surface de l'appareil nerveux tel que Freud le décrit dans l'Esquisse, car tout ce qui est réseau s'apparente, est réductible à, une surface et peut s'écrire sur une feuille de papier. Ce dernier point est faux. Mais que le réseau soit une surface, ça c'est vrai. En mathématique, c'est la théorie topologique des graphes, dont la question est, si un ensemble de points sont reliés par des traits, sur quelle surface ce graphe peut-il s'écrire ? Cette question est sous-tendue par ce théorème : Tout graphe, c'est à dire la place d'un réel, un circuit électrique par exemple, tout graphe peut s'inscrire sur une surface qui est nécessairement un tore comportant un certains nombre de trou.

Voici une question classique en topologie : Comment relier trois maisons à trois usines en évitant que les conduites se croisent ? C'est impossible. Il y a toujours quelque chose qui coince sauf à l'établir sur une surface torique. Les liaisons peuvent passer par le trou du tore. Ce qui veut dire qu'il y a plus de place sur un tore, du fait du trou, que sur une sphère. Le graphe de surface est une sphère. Et plus on a de trou, plus on a de place.

Quand Lacan évoque le réseau de neurones, comme Freud dans l'Esquisse, il note que, neurone ou signifiant, ça ne fait aucune différence pour Freud. Dans l'oubli du nom de Signorelli, par exemple, la raison de l'oubli dégage un réseau : Trafoi, Boltraffio, Signorelli, etc. Et ce réseau questionne la topologie des graphes. Quel est la surface sur laquelle ce réseau peut se déployer ?

Je n'ai pas l'intention de développer ici une théorie topologique des surfaces mais simplement, de développer quelques surfaces, les plus utilisées, pas trop abstraites, mais quand même, c'est assez touffu, alors n'hésitez pas à me poser des questions.

Il y a de nombreuses définitions d'une surface. Nous laissons les définitions intuitives pour les mathématiques. Une surface est un espace topologique. Ceci suppose un voisinage car cet espace est séparé des autres espaces. Un espace topologique dont chaque point possède un voisinage homéomorphe à R2. Qu'est-ce à dire ? Si on fait un zoom avant sur une surface, vous avez quelque chose comme un plan. Et si R est un ensemble de nombre réel et si R2 est un couple de R, alors un plan est descriptible à R2. Si je m'approche de deux points, A et B, il existe deux voisinages dont l'intersection est vide quelque soit la surface.

Tous, nous percevons ce voisinage bizarre dans une langue étrangère, par exemple entre Brwed et Bred. La perception d'un voisinage différent montre que ce qui est séparable pour les uns ne les pas pour les autres. Si le langage est une surface, la séparabilité de tous les éléments du langage est une question personnelle.

Après ce préalable, passons à quelques surfaces familières. Brièvement, la sphère. Et cette questions : La feuille de De Saussure, a-t-elle un bord, va-t-elle s'arrêter à un endroit ou va-t-elle à l'infini ? Le langage a-t-il un bord ? C'est difficile à imaginer. Une surface sans bord, c'est une sphère. Le langage est-il sphérique ? La sphère est une notion peu évidente car c'est fini sans être limité. C'est tout différent d'un pays avec des frontières et une surface limitée. Pour une sphère, pas de frontières cependant que le nombre est limité à sa surface. Sa surface est finie mais sans limite appréhendable. Ses frontières sont introuvables. Aucun moyen, comme on le voit dans les problèmes liés à la mondialisation, ce sont des problèmes de limites.

Prenons comme exemple un syllogisme célèbre : Tous les hommes sont mortels. Socrate est un homme, donc Socrate est mortel.
Nous pouvons le représenter en "extension". Dans l'ensemble des mortels, il y a un sous-ensemble constitué par les hommes, qui contient lui-même un ensemble constitué par Socrate. En extension désigne un ensemble qui contient entre autre quelques x.

Et nous pouvons le représenter en "compréhension". Socrate est, entre autre, un homme. Les hommes sont, entre autre, mortel. En compréhension désigne que parmi les étiquettes, il y en a une qui x.

Il s'agit de deux façons très différentes de se représenter le syllogisme. Utiliser les petites lettres d'Aristote n'y change rien, c'est pareil. Il n'y a pas de contradiction entre elles si ce n'est qu'il faut choisir. Sur une sphère, les deux dessins sont les mêmes.

Les syllogismes font parties de notre champ du langage. Ils délimitent des territoires sur une surface. Si les signifiants sont représentés sous forme de coupure, non sur un tableau noir, mais sur une sphère, alors leurs effets logiques sont autres que leurs effets sur un tableau noir.
L'idée de départ est que les signifiants, les vagues de De Saussure sont comme une découpe sur une certaines surface. Et cette découpe est ce qui se découpe lors de mon énonciation, quand je dis quelque chose comme là, devant vous, je dis quelque chose, maintenant. Donc, il n'y a pas de modèle de ce qui se passe mais un modèle qui rend compte de ce qui se passe. Cette découpe est ce qui me fait advenir en tant que sujet de l'énonciation.
C'est la question de la découpe de la surface comme primordiale qui engendre la question sur la façon dont on habite le langage.

Avant d'aborder des surfaces plus complexes, notons que le syllogisme, les hommes, les mortels, Socrate, et les petits ronds, c'est ce qu'on utilisait pour l'éducation des princesses mais c'est insuffisant pour rendre compte de la logique du signifiant car l'extension et la compréhension constitue des logiques qui convoquent l'univocité du signifiant. Or, nous l'avons vu, un signifiant est différent de lui-même. L'auto-différence est une des méthodes de Lacan pour en rendre compte, en le représentant par une coupure entre le blanc et le non blanc de la logique booléenne, par exemple. La guerre et la guerre. Tout signifiant a la possibilité de glisser par rapport au signifié.
Il y a une instabilité fondamentale du signifiant. Lacan propose la double boucle qui sera à la base de notre topologie.
Au lieu du blanc ou non blanc, le blanc a des fuites :

Pour Lacan, s'inspirant de Frege, le concept a quelque chose de futile au sens où il fuit comme un tonneau. Begriff, agrippement, il rate toujours un peu son but.
La double boucle encercle quoi ? Ca dépend. De quoi ? De la surface sur laquelle c'est tracé. Mais essayez ça sur une sphère, ça ne passe pas, comme tout à l'heure avec l'exemple du raccord de trois maisons à trois usines. Il faudra comme tout à l'heure un trou pour faire passer, il faudra que ça se coupe.

Il y a un axiome à respecter : La coupure signifiante ne se recoupe pas elle-même. Donc il faut aller chercher un peu plus loin, c'est à dire, plus loin dans la spécification des surfaces. Les surfaces, ça se place, c'est cela qui est merveilleux. Chacune peut être spécifiée, décrite, car une surface est toujours une sphère à laquelle on ajoute un certains nombres de anses. Ca donne une tasse, un tore à un trou. Une tasse à deux anses, c'est un tore à deux trous. Une tasse à n anse, c'est une tasse à n trou. On rajoute un certain nombre de cross cap, un certain nombre de trous.
Avec ça, vous décrivez toutes les surfaces. Il y a des galeries de surfaces sur internet mais ce n'est pas ça qui nous intéresse. Lacan, lui, travaille sur un nombre réduit de surface.

Les surfaces simples de Lacan sont au nombre de quatre. La bande de Moebius, le tore, la bouteille de Klein, le cross cap.
La bande de Moebius est une surface à bord, une ceinture retournée recousue. Elle exprime l'inconscient et le conscient, le désir et la réalité, qui ne s'opposent que localement mais qui restent en continuité sur une bande de Moebius. C'est une réponse à la double inscription, à la levée du refoulement, inscrit toujours à la même place ou ailleurs. Pour Lacan, cette bande représente le refoulé mais aussi la continuité, donc la trajectoire pour aller de l'un à l'autre.
Un premier moyen de la représenter est la ceinture :

Ou un extrait de cross cap :

La bouteille de Klein est un cercle qui s'auto-traverse. Vous trouverez des exemples sur internet. C'est une forme de bande de Moebius mais sans bord. Voici une vue en coupe :

Si sur une surface donnée, la double boucle est impossible sur une sphère, elle est possible avec un trou. Dans le séminaire sur l'identification, il y a des passages très importants sur la découpe signifiante sur telle ou telle surface.

Un autre moyen simple et schématique de représenter les quatre surfaces est de faire un rectangle avec des flèches et que je roule :

Pour la bande de Moebius, les bords sans flèches sont les bords de la ceinture.

Un jeu de couture permet aussi d'appréhender le problème. On cout A et A', 2 et 2', 3 et 3', etc. Au début, tout va bien mais on s'aperçoit vite que ça ne passe pas. Une seule solution, il faut traverser :

Aucune de ces surfaces ne sont des sphères. Elles accueillent chacune la double boucle du signifiant dont l'impact est différent sur chacune d'entre-elles. Merci.

1 commentaire:

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