26 novembre 2011

Claire BRUNET 07 11 2011 Kant et Lacan, à propos du Beau

Claire BRUNET 07 11 2011 Kant et la question du beau

L'intitulé m'a été demandé par Jean Christophe Cathelineau. Psychopathologie et philosophie, qu'en est-il ? Kant et la question du beau, et du laid, va nous demander de rester près du texte et surtout du séminaire "L'éthique de la psychanalyse", 1959 - 60, de Lacan. Il y annonce un topo sur Kant qui ne viendra jamais, sauf une reprise tardive sous la direction de Kaufman.

Lacan est moins restrictif que Cathelineau car il ne voit pas, chez Kant, de déliaison entre le beau et le sublime. Pour Lacan, ces deux notions sont nécessaires au discours de Kant. Ce qui nous intéresse chez Lacan, par rapport à Kant, est que ce dernier présente l'esthétique comme une défense contre la pathologie, le beau, et comme une possibilité de dépassement du moment pathologique du sensible, le sublime. Pour Lacan, cette nécessité pathologique est corporellement, sensiblement, "désirément" déterminée comme défense contre les dérèglements des facultés de juger.

Les facultés de juger sont abordées dans la troisième théorie de Kant, après sa Critique de la raison pratique et participent, selon lui, du domaine de l'esthétique. Trois distinctions nous montrent ce que la doctrine kantienne a de proche de la notion freudienne d'appareil psychique.
Il y a cet inédit, chez Kant, de penser l'esthétique à partir d'une tripartition structurelle des facultés de l'esprit. Il n'est pas équivalent mais précurseur de l'appareil psychique tel que Freud pourra l'articuler.
Deuxio, il y a que l'exercice de la sensibilité dépasse le physiologique.
Enfin, la doctrine du sublime peut se saisir comme une forme de l'angoisse.

La philosophie de Kant est une doctrine de l'expérience, elle décrit les conditions structurelles de l'expérience et s'interroge sur les conditions de la légitimité du déroulement de l'expérience. De l'expérience en général, notion empruntée à la science telle que Newton en a marqué définitivement la place. Kant formalise les conséquences philosophique de la physique newtonienne au niveau de la banalité. Le pas au-delà de Descartes sera la doctrine de l'espérance esthétique dont il forge le concept et la figure. Ce faisant il dépasse un siècle de réflexion empirique sur le beau.

Mon hypothèse est que le jeu des facultés chez Kant est une approche structurelle de la subjectivité. Sa distribution en trois catégories, la sensibilité, l'entendement et la raison, est à la base de la modernité :
Les idées sur le fonctionnement subjectif à partir d'une partition des fonctions sont contemporaines du projet anatomique qui consiste en une description raisonnée de la vie et de l'âme. (Voir « Naissance de la clinique » de Michel Foucault).

Dans sa critique du jugement et de l'esthétique, il propose une matrice, qui reste à mathémiser, pour classer les formes de l’expérience esthétique. Lacan, (p332) posera l’analyse catégorielle comme de haute portée pour mener aux structures topologiques qu’il dressera.
Voir Deleuze, « La philosophie critique de Kant », dans le chapitre I, la notion de faculté comme source spécifique de représentation impliquant autant de faculté que d’espèce de représentation. Intuition, concept, idée, autant d’effort de structuration de l’expérience. Trois figures qui, à leur source, renvoient à une faculté.

La sensibilité, domaine de l'intuition, est la faculté de réception, du divers, de pure passivité.
L'entendement, domaine du concept, est la faculté de la répartition conceptuelle, du classement, des limites, qui catégorise le divers éprouvé, recueilli, par la sensibilité.
La raison, domaine des idées, est en nous l'aspiration à l'infini, postulation au-delà du physique, métaphysique. La raison est le soutien d'un vœu illimité.
Il s'agit de détermination de trois fonctions subjectives, ce qui nous affecte extérieurement, ce qui nous a affectés en nous-mêmes, le désir de repousser la limite. C'est simple. Kant vise le simple. Il en vient au beau.

A l'occasion d'une expérience du jeu harmonique entre la raison et l'entendement, nous éprouvons le sentiment du beau, rare et bienheureux, une paix de l'âme, une harmonie des facultés qui se traduit, pour Kant, par l'absence de tension, l'équilibre.
L'expérience du beau est essentiellement une expérience de la forme, le libre jeu du sens et de l'entendement engendre la belle forme, équilibrée.
Le sublime n'est pas le beau. Le sublime est le sentiment, la réverbération subjective que nous éprouvons lorsque se produit en nous une tension dysharmonique entre la sensibilité et la raison.
Face à la mer déchaînée, au tonnerre, aux volcans, nous éprouvons le déséquilibre entre notre capacité de résister et la nature, nous nous éprouvons comme impuissant. Mais si nous sommes à distance, en sécurité, face à la tempête mais non au cœur de la tempête, nous pouvons éprouver de la peur, et, ou, une expérience esthétique. Un face à face qui libère les forces de l'âme et donne le courage pour se mesurer aux forces de la nature.

Dans un premier temps, de déplaisir, nous nous sentons infiniment petit, frappé d'incapacité, face à la nature dans son infinie puissance.
Le deuxième temps est de plaisir. Au moment de la déprime, nul, non avenu, mort, nous nous souvenons de notre aspiration au sublime. Idée proche du roseau pensant de Pascal. Quand je regarde la tempête, je ne suis rien mais je suis susceptible de penser la puissance de la nature.
Notre possibilité de penser cette infinité, notre capacité, nous élève. Nous sommes comme supérieurs au spectacle, supérieur à la nature dans son immensité car nous sommes comme indépendants par rapport à elle. De sorte qu'il n'y a pas de rabaissement devant cette nature enragée même si on y succombe. A la différence des animaux, nous nous rappelons notre capacité à l'infini.

C'est par le déplaisir, le sentiment d'impuissance, c'est en cela que s'initie par la raison et l'entendement, la joie. L'occasion du sublime réside dans l'échec de la sensibilité mais, dans le même temps, cet échec lui-même signale que, si je suis incapable de sentir l'infini, je suis capable de le penser. Je ne suis donc pas limité par la science. Je suis habité par l'infini. Le sublime est la pierre de touche de la philosophie de Kant, le moyen de prouver notre destination supranaturelle, en nous, notre aspiration à l'infini.

La philosophie ne s'apprécie pas, bien entendu, comme s'apprécie la psychanalyse. Si Kant se réjouit d'attester par le sensible l'effectivité de la raison, en clinique, l'aspiration à l'infini du patient ne réjouit pas d'emblée le psychanalyste.

L'impuissance se dénote de notre capacité à l'évaluation de la grandeur, que sont les mathématiques, l'intuition et l'esthétique. Comment évaluer la grandeur d'une pyramide ? Nous sommes impuissants à en compter toutes les pierres. Il faut n'être ni trop près ni trop loin. Comment évaluer la bonne distance ?
Si je suis trop loin, des parties restent obscures, on en voit pas le détail, elle ressemble à une montagne.
Si je suis trop près, je ne saisis, de la base au sommet, qu'un parcours, qu'un fragment de la totalité.

Dans la cathédrale Saint Pierre à Rome, même embarras, même impuissance à l'imaginer en un tout, ce qui, soit dit en passant, était le but des maîtres d'œuvre. Elle dépasse nos capacités, elle nous déprime, l'imagination s'abîme, mais en même temps, il y a cette satisfaction émouvante. Qu'en est-il ? On peut penser l'infini comme un tout. Voilà une idée bizarre cette possibilité de totaliser l'infini.

Le beau est le jeu harmonieux de la sensibilité et de l'entendement. Dans un sens inverse, il a la forme d'un cadre. C'est cadré le beau, le divin.
Le sublime est ce sentiment éprouvé de cette satisfaction paradoxale dans l'après coup de la déprime où la reconnaissance de la raison en moi l'emporte sur l'impuissance.
Le beau est maîtrise de la représentation. Le sublime est quand l'objet se présente comme non reprise possible. Nonobstant l'impuissance, je sais ma faculté de comprendre, en raison, l'infini que je ne peux me représenter.

Il est possible de traduire dans la topologie lacanienne de l'Imaginaire, du Symbolique et du Réel, le beau, maîtrise de la forme, comme image du Symbolique et symbole de l'Image, ce qui nous arrache à l'idée que l'art est imaginaire.
Le sublime, discord entre l'Imaginaire et le Réel, marque l'impossible symbolisation du Réel, l'impuissance face au sans borne.
Cette petite matrice permet d'identifier l'expérience du beau au calme, et l'expérience du sublime à l'angoisse.

Kant, son esthétique, et Lacan qui se préoccupe de sa mise en jeu, posent le problème de la limite, borne, bordure, de la frontière, de la forme, du trait. Ce rapport étrange que nous entretenons, qu'en est-il ? Si le beau est l'expression de la saisie heureuse d'une totalité, le sublime est l'expérience inquiétante de l'impossible fermeture d'une frontière. Fermeture toutefois relative car du haut comme du bas de la pyramide, on ne voit pas tout.

La question est : "Moi, sujet dans tel espace, quelle est ma place"? Quelle est la place que m'assigne Saint Pierre à Rome, pensée pour m'écrabouiller, ou la tempête, non pensée ?

Le beau allie l'imaginaire et l'entendement. Pas la raison.
Le sublime n'est pas une réflexion formelle car celle-ci nécessite ce jeu libre de l'imaginaire. Le sublime est éprouvé devant l'informe ou le difforme, comme si l'imagination, portée à sa limite, était forcée, à son maximum, d'une compréhension simultanée.

Si le sublime, comme le dit Lacan dans le séminaire "L'angoisse" à propos du cauchemar, est la jouissance de l'autre, dont on repère la mise en acte dans le rêve, sa mesure est un micro répertoire de situation de cauchemar, non balisé par une limite, le phallus.
Pour Kant et Lacan le trait d'impuissance propre au sublime et le trait de satisfaction propre au beau, montre le souci de la bordure qui nous anime. Mais s'il y a accord sur le sublime, l'expérience du cauchemar, il y a en revanche une différence sur l'expérience du beau.
Pour Kant, elle concerne la maîtrise d'une forme close. Lacan fait de cette harmonie un équilibre instable et lui assigne une fonction de défense. Voir le beau pour ne pas voir la mort, Antigone.
Si le beau, pour Kant, est la paix intérieure de l'âme, pour Lacan, elle est l'abîme de la dialectique de l'outrage qui invite au blasphème et au franchissement.
Kant définit une limite entre le beau et le sublime. Lacan, opérant un basculement, trouve dans le beau une limite instable toujours sur le point de s'arracher à elle-même. En fait, Lacan opère sur Kant une opération kantienne.

Pour Kant, l'illusion transcendantale est inévitable. Lacan tient le beau pour une limite illusoire, pour un terme illusoire de la limite. Pourquoi ? Il faut saisir ici une différence majeure entre Kant et Lacan mais aussi le génie de Kant : La satisfaction du jugement de goût est désintéressée.
Lors d'une expérience esthétique ou si on me demande si quelque chose est beau, je suspends mon rapport à l'objet. Si on me demande si ce palais est beau, je peux répondre que je m'insurge contre la vanité des grands ou m'émerveiller comme au retour d'une image que j'ai habité, etc. Mais toutes ces raisons sont frappées de nullité car on ne me demande pas de raisons politiques, on me demande autre chose. On peut les approuvé ou les réfuter mais là n'est pas la question. Il ne s'agit pas d'idioties mais cela ne répond pas à la question. La vision de l'objet, l'expérience du beau est indifférente aux représentations, libre des représentations. Elle n'est pas dépendante de l'objet.
Le désintéressement implique, non l'objet mais sa représentation, son miroitement entre sensibilité, entendement et raison de la pure forme de l'objet.

Dans l'Ethique, Lacan évoque la disruption de l'objet chez Kant, et p304, les formes à l'œuvre pour Kant traduit son intérêt pour le beau sans que l'objet soit concerné. La perspective de Kant ignore l'objet dans sa matérialité, dans sa réalité.
Chez Kant, le point de vue esthétique du beau marque un deuil. Voilà ce qui donne raison à Lacan quand il associe l'expérience du beau et l'expérience de la mort. Antigone, tragique, est aussi banale.

En cure, une patiente dit : J'aime rester chez moi où la question de l'image que je donne ne se pose pas. Un patient, ingénieur du son : Quand je vais au cinéma, je me demande toujours si la place à côté n'est pas mieux et ça m'empêche de profiter du spectacle. La question de l'image est une question de bordure. Voir Melman, son article sur l'espace phobique dans le Trimestre psychanalytique consacré à la phobie.

Quelle est la bonne place pour voir si ce n'est celle qui vous dote du sentiment du pouvoir ? L'esthétique et la clinique ne se recoupe pas mais nous inspire se qu'en dit Lacan p279, 280, le beau reste insensible à l'outrage. Quand l'esthétique surgit dans une séance, elle masque une destructivité, une agressivité.
La première patiente pose une question qui peut se formuler comme suit : Comment éviter la compétition ?

Il faut ramener dans la banalité les leçons de Kant sur le beau et le sublime. Le sublime a quelque chose de l'hystérie mais l'intérêt de la philosophie kantienne est d'établir les coordonnées, de différencier les deux expériences et de voir que ce qui oriente ces expériences est leur rapport à la limite. Il s'agit donc, non de l'esthétique de l'art mais, d'un lieu pour la philosophie et la psychopathologie du surgissement de la limite sous des formes sublimées mais aussi dans le questionnement le plus quotidien. Voir "Le syndrome de Stendhal" et aussi les premiers paragraphes de Kant qui sont très accessibles.

Une extension possible de notre réflexion réside dans la critique lacanienne de l'esthétique transcendantale de la fonction du temps et de l'espace dans notre subjectivité selon un premier axe, l'espace kantien contesté par la psychanalyse et, deuxième axe, selon l'idée que Kant ignore radicalement l'incidence du langage (voir dans les écrits le rapport sur Lagache), qu'il s'agit d'une philosophie extérieure au langage, Hegel la dira anhistorique. Pour nous, le langage, la phrase existe non dans son fait mais dans sa grammaire et sa fonction de nomination. Merci.

10 commentaires:

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