23 décembre 2011

Jean Paul HILTENBRAND 21 11 2011 Identification

Jean-Paul HILTENBRAND 21 11 2011

Identification. Ce mot dérive du latin. Sa racine veut dire "le même". Idem pour l'identité que nous verrons la prochaine fois. Très tôt pour Freud, l'identification désigne cette relation complexe à l'autre qui tend vers une certaine ressemblance.

En français, on parle d'identification de l'auteur d'un vol, de l'identification d'un processus subjectif. La notion est déclinée sur l'identité. Avoir une identité de vue ou de croyance avec quelqu'un, ce n'est pas imiter. Cela semble évident dans la langue alors que, dans la cure, c'est complexe.

Il y a de multiple raison d'aborder ce thème essentiel. Dans l'histoire proche, nous avons vu l'explosion du processus d'identification avec le cortège dérangé, déplacé, défaillant de la pathologie ordinaire. Actuellement, ces faits, liés aux mutations de notre culture, du déclin du Nom du père, de la désintégration du lien social et familial, de montée de l'individualisme et aussi de l'immigration, qui pose des problèmes spécifiques dans le champ de l'identification, tous ces faits posent une question d'ordre général :
Où et comment trouver une assise subjective pour moi-même ?

Je suis à côté de mes pompes. Je n'ai pas de relations durables. J'ai un titre mais pas d'inscription. Je ne suis pas responsable. Je suis ailleurs, à côté. Autour de qui suis-je ? Ce questionnement est ancien mais il est actuellement de plus en plus crucial.

A propos de l'identification du sujet, il y a des difficultés à préciser et un embarras sémantique pour définir les hommes et les femmes par l'identification comme telle. Freud se plaint de l'ambiguïté du terme. Les hommes et les femmes, par exemple, diffèrent en dehors des éléments d'anatomie, mais le rapport entre les hommes et les femmes. Voilà l'identification des signifiants masculin et féminin.

Etre humain ? Il est possible de les subsumer sous ce terme mais il n'empêche qu'un être humain n'est pas l'autre, ce qui nous mènerait à une anthologie et ce n'est pas notre intérêt.

La personne ? Même souci. Persona veut dire erreur chez les romains. En Grèce, c'est un masque.

Individu ? L'individu n'est pas la plus petite partie isolable d'un ensemble social mais la forme avec laquelle est possible une identification du sujet.

Le sujet, comme sujet du désir, ou du discours mais par défaut, est un sujet clivé. Upokaneimon, refoulé, en-dessous, c'est le sujet de l'inconscient.

J'essaie d'avancer de manière didactique pour vous faire sentir les difficultés. Lacan nous en délivre partiellement en identifiant le sujet au parlêtre. Avec cet exemple : L'impact de l'article défini ou indéfini.
La mère ? A entendre comme tel ou l'amer ? Il est très courant lors d'une cure qu'une mère idéale, qui n'a pas eu lieu, se fasse entendre.
Ma mère ? Personnage ou organe de mammifère ? On ne sait pas très bien ce qu'on dit ni ce qui se dit. L'équivoque est constante et c'est pourquoi, en psychanalyse, ce terme concept sera plus tard formalisé par Lacan.

Quelques remarques préalables. Dans le processus de construction de la subjectivité, l'identification est un temps décisif. Qui suis-je ? Le même. Moi-même, c'est à dire ce qui s'est précipité au stade du miroir dans toute sa densité narcissique. Cependant, dans ce procès imaginaire, quelque chose reste voilé. Un objet est en jeu, situé du côté du petit autre, mon semblable.

Deuxième remarque. Un signifiant isolé ne veut rien dire par lui-même. Homme et femme sont des signifiants et un signifiant représente un sujet pour un autre signifiant.

Enfin, pour l'homme, la partition est guidée par sa jouissance et c'est dans et par la culture qu'il en trouve les modalités plus ou moins satisfaisantes. Voire Malaise dans la civilisation, 1929. Le rapport à l'autre primordial, l'Autre social, est décisif. Narcissisme, objet, jouissance.

Dans Masse et psychologie, Freud distingue trois aspects de l’identification. L’identification au père, l’identification hystérique, Dora, et l’identification au symptôme de l’autre. Trois types de mise en place des sédiments constitutifs du moi. Dans ce chapitre, la difficulté réside dans ce fait qu’il isole l’identification en tant qu’elle se fait sur un fond d’empathie et d’amour, sur le mode œdipien.

Cette référence est partiellement exacte. Il est vrai que l’amour facilite l’identification. Mais ce lien affectif n’est pas si décisif car autant que l’amour, la haine ou l’indifférence obtiennent les mêmes effets. Le seul point valide est que l’identification, dans tous les cas, profite à la constitution du moi. Il faut relire Lacan et le stade du miroir, cette précipitation où a lieu cette identification à l’autre, reflet dans le miroir qui n’est autre que le reflet du moi du sujet qui regarde, ce lieu déterminant des processus d’identification.

Lacan prend l’exemple du criquet Pèlerin pour mettre en exergue le rôle de l’image spéculaire. Ce criquet n’est grégaire qu’à la condition de percevoir, chez son congénère, un détail visuel, une image dont, du face à face, il est obtenu un effet organique.

L’identification se constitue avant la constitution du sujet, de manière extrêmement précoce. Dés les premières minutes, l’enfant est un être actif qui s’approprie le monde dans lequel il arrive. Nous le savons par la clinique mais aussi par la neurologie que, déjà, s’installe, non le processus d’identification mais, les éléments susceptibles d’être ceux du procès à venir.

Voilà pourquoi, des commentaires de Freud, Lacan isole l’Einsigerskrange, le trait unaire, qu’il exploite au niveau de l’identification hystérique. Ce trait « hautement limité », restreint, compartimenté. Shrange veut dire barrière, limite, compartiment.

A ce stade, une question : Qu’est-ce que ce trait unaire ? Quelle est sa nature ? Est-ce un signe, un symbole, un signifiant ? Est-ce une inscription chez le sujet ou un simple sédiment dans le moi ?
Lacan reprenant cette thèse de l’Einsigerskrange l’illustre de l’encoche sur la lance d’un chasseur primitif. De tué un animal, il se déclare chasseur, il s’identifie comme tel. A la vingtième encoche, bon chasseur. Du moi, il y a non seulement l’image idéale mais l’idéal du moi. Don Juan, pourquoi pas, ce qui n’est pas rien.

On sait Sade, enfermé dans un appartement à Marseille, dont les serviteurs lui apportaient des femmes. Pour chacune, il faisait une encoche dans le bois du lit. Il ne s’agit pas ici de sommation de traits mais de répétition. Un trait plus un trait plus un trait, etc. Voilà la dimension logique du trait unaire. Peu importe qu’il soit un signifiant car ce qui se répète n’est qu’un, identique à lui-même. Invariable, le caractère du trait unaire est neutre dans sa signification.

C’est la toux de Dora, la toux répétée que la lettre de la voisine réactive. Le trait unaire constitue des cas, de fait, hétérogène. C’est la répétition de tous ces « un » différents qui signe le signifiant. Dans l’automatisme de répétition, les actes différent mais le trait unaire est constant, c’est un facteur stable que ce signifiant refoulé, inaccessible et inconscient.

La logique du trait unaire est associée à l’automatisme de répétition depuis 1914, avec « Remémoration, répétition, perlaboration », où Freud découvre les limites à la remémoration. Quelque chose au-delà, insiste sans parvenir à être énoncé et qui pousse le sujet à répéter, ce quelque chose s’oppose à la remémoration et fait butée à la cure.

Le mérite de Lacan est de reprendre le concept de répétition en tant qu’un des quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. La répétition devient poussée de la fonction du « un » dans son ambiguïté du « un » qui rejette, au niveau inconscient, et du « un » du sujet, de l’individu.
Pour s’y retrouver, Lacan reprend le « un » de la demande et du désir et utilise la figure du tore dont voici la découpe.

Ce tore représente la mise en place de la subjectivité, de la demande articulée au désir. La répétition de la demande, notée grand D, va tracer les spires qui vont constituer l’enveloppe du tore. Nous le représentons découpé pour le rendre plus évident. Ce faisant, les pires de la demande répétée vont définir, ménager, un vide central, le vide du tore. Le trou du tore est réel, inconscient, on ne peut le refouler. C’est dans ce trou du savoir que s’organise le fantasme.

Des tours de la demande, en voici les mathèmes :

Le sujet élidé. La parole de la demande. La nature du besoin éventuellement évoqué.
Les tours de la demande tracent ses spires sur l’ensemble de la surface du tore mais il est un tour que le sujet ne peut pas compter, qu’il ne peut pas reconnaître. Pour autant que le sujet ne reconnait pas qu’il peut, ou qu’il a, parcouru la totalité du tore, il est marqué du « moins un » constitutif. Toute demande ne peut articuler les termes de la demande sans défaut dans l’expression dont l’effet est que l’objet exprimé n’est pas l’objet véritable. Toute demande échoue, c’est aussi la marque du -1.

Les spires, c’est la répétition d’une lettre qui fait défaut, c’est la demande qui n’arrive jamais à sa complétude. Quelque soit la demande, il persiste un reste. L’essentiel est que le tore trace son rond autour de petit a, cet objet métonymique de toutes les demandes. Par ce biais, par la répétition de la lettre perdue, le désir inconscient apparait comme la métonymie de toutes les demandes. Le désir prend le relais de la demande, comme dans la cure, parfois, avec cette évolution caractéristique : On y entre avec une demande, on en sort avec un désir.

Cependant, le désir ne prendra le relais de la demande qu’à la condition que petit a soit circonscrit par le cercle des demandes. La cause du désir résulte de la répétition de la demande, un, un, un, un, etc. Il se constitue de cette manière un plan logique et métonymique pour l’ensemble des demandes là où les constructions signifiantes sont toujours opposées du fait de leur stricte différenciation. Le sujet vient à s’établir pour autant que le désir s’est constitué sur le chemin de la demande.

L’identification du sujet est d’autant plus claire et rationnelle que lui-même met en œuvre le trait unaire. Il y a le T1 qui compte pour le sujet, qui compte pour lui-même, et qui contribue à son trait idéal, à donner réalité au sujet, à tout ce qui va du réel au sujet symbolique. Le réel du sujet, c’est le désir à condition qu’il prenne le chemin de la demande.

Ce qu’il saisit, c’est que de la demande au désir, il y a un franchissement. Toutes les demandes faites à la mère finissent par produire le désir, éventuellement pour une femme. Une mutation, une transformation se fait de la demande au désir, qui est central au niveau de la cure.

Ce processus de l’identification à partir de cette construction du trait unaire, ce trait qui représente tout le travail du sujet, concerne la deuxième et la troisième identification. Identification de Dora à la toux, identification de la petite pensionnaire. Lacan n’a pas repris la première identification car il fut dramatiquement empêcher dans un conflit avec l’IPA alors qu’il projetait un séminaire sur les Noms du père dont nous ne disposons que de la première leçon sous forme d’ébauche.

Il faut donc revenir sur cette identification première qui, comme les deux autres de structure métonymique, traverse le trait unaire. Mais la première identification, au père, se déroule dans le registre de la métaphore. C’est une différence considérable, le cheminement est complètement différent.
Toute l’œuvre de Freud tourne autour de l’enjeu de la fonction paternelle, depuis la horde primitive, Totem et tabou, jusqu’à Moïse, en passant par Masse et psychologie. Lacan très tôt, 1953-1955, s’est attaché à la métaphore du Nom du père, que nous verront la prochaine fois.

Je suis passé d’une identification à l’autre comme d’une identification du sujet à un autre mais néanmoins, le sujet reste lui-même identifié à un petit autre, c’est à dire une image. C’est celle de la jouissance de I(a). Grand I de l’idéal, du moi idéal tel que Freud l’a décrit. Petit a du petit autre, du schéma Lambda du début de Lacan, mais aussi l’objet petit a, cause du désir.
C’est l’identification du sujet au stade du miroir plan et l’identification au stade du miroir concave où la double image d’un vase apparent se superpose des fleurs qui apparaissent. Il y a là aussi le trait de l’image et le trait de l’objet. I(a) est le rapport constitutif de l’homme à l’homme dans son identification à l’autre. Le trait unaire amène le sujet dans sa constitution symbolique et réel en même temps, simultanément.

Il y a carence d’harmonie entre l’objet de la demande et la demande elle-même, comme il y a carence d’harmonie entre la demande et ce qu’il en advient. La réponse de la mère éventuelle est, elle aussi en carence. Il y a double carence.

L’objet qui en découle, petit a, cause du désir, résulte de l’impossibilité de l’Autre symbolique, éventuellement de l’Autre primordial, de répondre à la demande. La psychanalyse ne s’interdit pas de répondre mais elle y échoue. L’Autre symbolique est sans pouvoir au regard de la demande.

Cette carence va se transmuer du côté du désir qui répétera indéfiniment cette carence. C’est là, la signification du trait unaire qui s’exprime sous la forme de l’objet petit a et de la fonction phallique.
L’identification au trait unaire est essentielle car c’est le sujet qui met au monde ce trait. Il n’est pas reçu passivement. C’est toutes ces demandes et tous les désirs, toute cette poussée à la jouissance, c’est là ce qui amène le sujet à se créer de toute pièce cette fonction décisive, ce trait unaire. Merci.

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