21 décembre 2011

Marcel GAUCHET 17 11 2011 histoire de la psychanalyse

Marcel GAUCHET, 17 11 2011.

Notre travail est centré sur la névrose, sur comment ce concept est, à partir de Freud, décisif, et cela sur plusieurs front. C'est ce qui est le plus éclatant même s'il y a quelque effet d'obscurité.
Sur le front de l'hystérie, une des premières obscurités est cet effet de captation de la lumière par l'hystérie, apanage de la neurologie naissante, qui eu un effet de relégation sur l'autre branche, celle de la psychologie, mise en demeure de questionner le rapport entre la folie et la conscience.
L'étude de l'hystérie fut facilitée par une unité de lieu dont le théâtre principal, familier aux parisiens de l'époque, est la Salpêtrière de Charcot. Freud s'y attache dés 1885, mais c'est la clinique neurologique de Charcot qui a pu séparer les deux hystéries. Ils ne sont pas seuls, l'Italie, l'Angleterre se consacre également à des études mais Charcot est le leader et la Salpêtrière, le foyer vers lequel convergent tous les regards. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle un jeune neurologue viennois, Freud, n'aura de cesse de batailler pour obtenir une bourse et monter à Paris, pour y trouver ce qui se fait de mieux en ce domaine. Charcot est exemplaire dans l'exploration de l'hystérie.

Cette unité de lieu a des avantages mais aussi des inconvénients. C'est le poids de la légende de Charcot vers 1870, 1880. A la lettre, il y a une hystérisation du travail de la Salpêtrière qui fait écran à la compréhension de son histoire et qui mériterait une étude à elle seule. Elle serait révélatrice de la dette de la psychanalyse à l’égard du travail de Charcot.
Un corpus littéraire, romanesque, événementiel, iconographique, à cette époque, 1880, au contexte particulier, constitue un théâtre de l’hystérie exalté, démultiplié, qui fait écran à ce qui serait de la réalité. Déterminant à ce point de vue, était la production iconographique de la Salpêtrière elle-même et le rôle qui jouait l’image au tout début de la photographie médicale. Précurseur en la matière, leur production fait écran dans la mesure où on croit y lire quelque chose mais qu’elle en cache quelque chose. Voir ce fameux tableau de Brouillet, « Une leçon clinique à la Salpêtrière », lithographié et distribué dans les manuels scolaire, devenu l’icône obligatoire pour les illustrés. Cela constitue un corpus à part entière et, pourquoi pas, un symptôme dont l’importance nécessiterait une étude.

Mais nous voulons retrouver les choses qui se sont réellement passées et qui expliqueraient cette légende. Il existe cependant une possibilité pour retrouver ces faits, ce qui rend plus mystérieux la persistance de cette légende. Une possibilité unique, c’est l’ensemble de la production bibliographique de Charcot, conservé et accessible à la consultation. En dépit de cet illustre sujet, il n’y a pas beaucoup de visiteur pour travailler dans le désordre, le fatras de ce stock sans inventaire. Nous y sommes allés avec Bénédicte Sven en 1984 et avons fait un séminaire à ce sujet avec Jean Louis Signant et Jacques Gacé de Lausanne, « Aux origines du cerveau moderne » qui décrit Charcot comme un grand explorateur. Après la mort de Sven, j’ai publié, en 1997, « Le vrai Charcot », sur ce séminaire. C’est un essai basé sur les papiers de Charcot, c’est à dire sur des dossiers médicaux. Charcot lisait tout, dans toutes les langues. Il faisait systématiquement des séries de manuscrits pour chacun de ses cours et qui comportaient un plan, un sommaire, une version lue et une version finale. Un vrai travail de bucheron.

Notre essai à reconstruit du chemin de Charcot un parcours éloquent. Il n’existait pas de doctrine à la Salpêtrière. C’est le grand péché des travaux à ce sujet. Ils cherchent une doctrine de la Salpêtrière mais il n’existe que télescopage d’étapes très différenciée dans la pensée de Charcot. C’est un clinicien, il ne connait que les cas, positiviste, les analyses de cas et c’est sur cette base qu’il évoluera dans sa théorisation. Il est d’abord un clinicien et, en vingt ans, son évolution est énorme.

Ce trajet comporte nombre d’étapes et de complications. Nous n’en choisirons que deux. Mais je veux d’abord attirer votre attention sur une illustration récente, anecdotique, pour vous montrer jusqu’où la fascination pour l’hystérie pousse à l’erreur.
Dans le tome 1 de « Histoire de la sexualité », page 73, Michel Foucault, dans une note, évoque le théâtre de l’hystérie à l’aide d’un document explicite illustrant la séance du 23 novembre 1877 où Charcot présentait une malade hystérique. A l’aide d’un bâton apposé sur les ovaires, il calme une contracture hystérique. Il retire le bâton, la crise reprend. Une citation manuscrite, au bas du document, stipule « La pensée disparait, l’hystérie continue ». Or, rien de pareil n’existe dans les archives de Charcot.
Ce document aurait été volé ? Non, car aucun texte ne le mentionne alors qu’un compte rendu extérieur était systématique quand Charcot faisait sa leçon, leçon qu’il déclinait lui-même, on l’a vu, en plusieurs supports écrits. De plus, Foucault n’a jamais mis les pieds dans cette bibliothèque.

La conclusion s’impose. Ce document lui a été communiqué par quelqu’un qui l’a fabriqué. Ce document possède des éléments de vérité mais surtout la marque de l’hystérisation du disciple. Il est totalement non plausible par rapport à l’époque et aux enjeux de l’époque. C’est une légende et en cela, matériau pour une histoire qui la mérite où l’on voit la force de l’hystérie en ce domaine.

Le devenir de la notion de névrose au 19e siècle comporte plusieurs axes de démembrement.

Le paradigme anatomo-clinique va faire reculer la démarche nosographique où elle s’inscrivait. Les névroses du début du 19e siècle, telle qu’un Pinel les voyait, laisse place aux névroses au sens étroit du triptyque constitué par l’épilepsie, l’hystérie et l’hypocondrie. Il y a un resserrement du cadre de Cullen.

Il y a la disparition progressive de l’hypocondrie corrélative au progrès de la médecine. L’hypocondre est le centre vital de l’organisme. Il s’agit d’un viscère sous les côtes où sont concentrées les humeurs et les coctions. C’est de cette anatomie imaginaire que le vitalisme déduit les centres épigastriques qui préfigurent les centres nerveux auxquelles Pinel, premier aliéniste, rattachera la racine de l’aliénation mentale. Cette notion, en tombant, laisse une place pour l’inquiétude psychologique et culturelle, sans plus le support d’un substrat organique. L’hypocondrie sera supplée en 1860, 1870, par la neurasthénie, qui remplira la brèche, le vide, laissé par l’ancienne hypocondrie.

Axe crucial, l’appropriation, par la neurologie, de l’épilepsie. Cette maladie est spécifiée pour en faire une classe à part entière grâce notamment aux études fines de J.E. Jackson en 1860, 1870. C’est l’élaboration de l’analyse moderne du système nerveux en termes de fonction, à la base, entre autre, de la psychologie organo-dynamique d’un Henry Ey. Un texte charnière de 1830 expose en trente pages une méthode qui constitue une étape entre deux époques et le point de départ d’une ère positiviste. C’est également le point de départ de Charcot dans le domaine de l’hystérie mais avec des résultats un peu différents.

Le quatrième axe est ce débat interminable entre les anciens et les nouveaux. L’hystérie utérine et féminine contre la théorie nerveuse. L’effervescence autour de ses études relance le vieux débat. La suffocation de cet animal qu’est l’utérus, la suffocation de la matrice ne relève plus désormais de la lecture du système nerveux mais on accepte, pour les organes génitaux, ce qu’il convient pour laisser cette maladie, spécifiquement, aux femmes. C’est la fin de la maladie « utérine » qui a été remplacée par la maladie « ovarienne », mais c’est pareil. Cela ne change rien puisque ce n’est pas là que ça se passe.

Charcot débutera par cette théorie ovarienne mais accompagnée d’une théorie cérébrale de l’hystérie qui la rend susceptible d’être une maladie pour les hommes aussi. Il est néanmoins ridicule d’interpréter Charcot dans le sens d’un progressiste ou d’un réactionnaire car il est enfermé dans le souci de l’époque. Les études sur hystérie provoquent une double appréhension des symptômes. Les accidents locaux, périphériques, contractures, paralysies, et les symptômes généraux, convulsions, anesthésies, oblige à imaginer un support cérébral. Le vieux débat peut durer toujours, il faut donc changer la donne. Voilà ce qui constitue la toile de fond du travail de Charcot.

A ces éléments s’ajoute un élément supplémentaire qui explique la construction de cette légende. Quand Charcot s’intéresse à l’hystérie, ce n’est pas par choix. Il se passe quelque chose dans la culture des années 1870, 1900, qui agit comme un aimant vers l’hystérie et dans laquelle Charcot est pris. C’est une véritable explosion, on n’en a jamais autant parlé que dans ces années-là.
Nous partons de ce domaine des névroses où il n’y a pas qu’une hystérie mais quatre, prodigieusement actives à ce temps-là.

Il y a l’hystérie des spécialistes des maladies des femmes. C’est le gros du corpus, un sujet énorme qui se portera très bien jusqu’en 1914, 1918.
Il y a l’hystérie des spécialistes des maladies nerveuses qui se prolongera dans notre neurologie.
Il y a l’hystérie des aliénistes dont l’objet est la folie hystérique qui était massivement comme jamais en cette fin du 19e siècle.
Il y a enfin le discours social sur l’hystérie que l’on observe lors de procès retentissants où le discours médico-légale devant les tribunaux défend les thèses de responsabilité ou d’irresponsabilité.

L’hystérie est un thème dominant la culture populaire, la culture générale et la culture scientifique de l’époque. Mais il y a derrière cette explosion de la question de l’hystérie, la question du féminin et de la dé-symbolisation de la position féminine. C’est cette question qui permit le mouvement de libération des femmes dont la libération socialiste ouvrière est le fer de lance.

La clé symbolique de la domination masculine tenait dans la question de la parenté dans son aspect anthropologique fondamental. La question de la reproduction de la société, biologiquement et culturellement. Nous, pour qui la famille s’est dés-institutionnalisée et se réduit au couple, avons du mal à comprendre cette institution de la parenté. C’est à cette époque qu’il y eu crise de l’ordre symbolique ancien qui a fini par craquer et dont la décomposition a traversé tout le 20e siècle.

L’institution de la famille est ce nœud où sont attribuées la reproduction et la biologie aux femmes, et la culture aux hommes. Cela semble simplificateur mais le but est de montrer l’enjeu. La reproduction biologique est sous la domination de la reproduction culturelle, ce qui implique la domination masculine. Aux femmes, la nature, aux hommes, la culture.
Le souci est que cela provoque un clivage. La femme est double, clivée du fait de son appartenance à la fois à la biologie et, à la fois, à la culture. Elle est dans le social et elle est mère. D’où son statut spécial, les forces impersonnelles du vivant, qui assure la reproduction, représentent quelque chose qui la dépassent et qui la submerge, c’est la maladie. La prise du pouvoir de la nature, de la force vitale de la matrice sur la personne porteuse de cette puissance. C’est la révolte de l’animal qui fait de l’hystérie le symbole de la femme par excellence, qui se soustrait sous l’effet des forces vitales qui l’habitent.
Un Michelet, par exemple, a écrit un « La femme » qui est un hymne à la femme tout entier dans ce fantasme millénaire qui justifie le prix prodigieux à accorder aux femmes et la nécessité de la protéger. La protéger c’est à dire aussi lui attribuer un statut subordonné.

L’hystérie vient à cette charnière où cette symbolisation archi-millénaire du féminin, le statut juridique, les représentations sociales et les avancées dans le domaine du système nerveux, commence à se décomposer au cours des trois dernières décennies du 19e siècle.
Le moment Charcot est la jonction de ces configurations de la notion d’hystérie où l’ancienne ne tient plus. Il est contemporain de l’approche scientifique qui permit la construction du système nerveux sur laquelle nous nous fondons encore actuellement.

Voici quelques traits encore pour situer les grandes lignes du parcours de Charcot. Il y deux temps distincts sur le front de l’hystérie.

Sa première publication date de 1865. En 1883, il est élu à l’Académie des sciences. Excusez du peu, c’est mieux que la médecine. Et cela, un an après la création d’une chaire des maladies nerveuses à l’Académie de médecine. 1865 est le moment où se rattache la légende, le moment triomphal du positivisme en neurologie. Il est mort en 1893.
Ses dix dernières années, de 1883 à 1993, sont les moins connues de son histoire alors que c’est au cours de cette période que Charcot a été littéralement le créateur de l’hystérie en ce sens qu’il a ouvert la notion d’hystérie à la psychologie que nous connaissons actuellement.

Mais avant d’analyser le travail de Charcot, voyons ses conditions de travail.
Charcot a opéré un tour de force institutionnel. C’était un personnage complexe que ce monsieur. Il est arrivé à la force des poignets. Il est nommé en 1962 à un poste peu glorieux de responsable d’un hospice pour vielle femme où l’on recueille également des malades et d’autres personnes âgées. C’est un poste peu enviable, dont personne ne veut, un poste ingrat dont on hérite en début de carrière et qu’on s’empresse de quitter. Mais Charcot le transforme en hôpital moderne, au sens actuel, sur la base de spécialité médicale, en précurseur. Cette organisation n’existait qu’en chirurgie mais à l’hospice, on soignait tous les gens qui ne pouvaient pas se soigner chez eux. Charcot à inventer la pédiatrie, la neurologie dans le service hospitalier ce qui nous semble familier mais nous cache les détours de son tout premier frayage.

On meurt énormément à cette époque. On pratique beaucoup d’autopsies et il y a une grande hétérogénéité des maladies. Charcot a conscience de cet avantage, surtout en ce qui concerne les maladies chroniques, celles qu’on connaissait le moins et dont, à la différence des maladies aigues, on ne meurt pas. Voire Lelouch pour un Charcot pionnier de la gériatrie.

C’est dans ce contexte que Charcot rencontre l’hystérie avec ses symptômes neurologique et ses attaques convulsives. Petit à petit, il se construit une clinique des maladies nerveuses ainsi qu’une clientèle qui afflue pour se faire soigner.
Son bras armé, sans lequel il ne pourrait rien, est un certain Bournonville. Aliéniste hors du commun, c’est un véritable entrepreneur médical et notamment dans la presse médicale, il crée ce qui constituera l’iconographie de la Salpêtrière, pionnier dans les nouvelles techniques photographiques. Son journal « Le progrès médical » et ses archives de neurologie étaient considéré comme le top de l’époque. Militant républicain radical pour le Paris rouge, il sera élu député.

Charcot sait travailler en équipe, il sait se faire entourer et, grâce à aux relations politiques de Bournonville, il transforme son hospice en hôpital et fait financer par la ville un amphithéâtre, des salles d’examen, etc. Une raison idéologique est à l’œuvre. La question sociale y est ressentie comme telle et l’institution engage le politique. L’hystérie est une arme de combat pour l’anticléricalisme qui ôte au miraculeux pour confier à la science les réponses à la maladie. C’est ce qu’il faut retenir pour comprendre cet investissement autour de la Salpêtrière. C’est la prise du scientifique dans l’idéologie qui produira la légende de Charcot.

Nous verrons comment, modestement au début, se déroulera un itinéraire qui aboutira à la notion moderne d’inconscient, mot que l’on trouve déjà sous sa plume et de manière significative. Merci.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Qui est Bournonville? J'ai entendu dire qu'il était à l'origine des salles de repos dans les hôpitaux et du service gynéchologie. Je ne sais pas si c'est vrai, je ne trouve aucune information et je n'arrive pas à les dater.
Merci de votre aide
cordialement