22 décembre 2011

Charles MELMAN 17 11 2011 Fille-ation

Melman 17 11 2011

Fille-ation, voilà mon titre. La femme vient à la fille. Comment s'intéresser à la filiation sans qu'il semble que la fille-ation soit d'un grand intérêt. Nous y sommes tous dans la même difficulté mais les filles ont une difficulté particulière à appréhender leur filiation et qui se présente non comme une difficulté mais comme un présent. Pour l'aborder, nous avons Freud et Lacan. Je commence par du général.

C'est un sentiment de déréalisation qu'éprouve la créature humaine face à l'espace, ce domaine vierge, apparemment muet mais qui inspire un sentiment de bienveillance. La déréalisation en vient à légitimer une présence bienveillante et à délégitimer sa propre présence. C'est à l'origine du sentiment de rencontre, avec un semblable, où chacun est illuminé par l'image de l'Autre, et donc rassuré quant à sa présence dans cet espace.
Ce qui est remarquable dans l'hypomaniaque de cette rencontre, ce "Nous y sommes, ah!", est qu'après cette phase étonnante ne s'ensuit pas une phase de collaboration fraternelle pour l'affronter cet espace.
Il en résulte une division, un conflit entre celui qui est en position d'un supposé idéal, et l'autre en position non insatisfaisante, rabougri, racorni. Un petit autre qui n'investit pas l'idéal dans cet espace originel, hypothétique, qui viendrait à se diviser entre un champ de réalité, en position de maître, et le champ de l'Autre, de l'altérité. Altérité soutenue par celui qui aura quelques efforts à faire pour être reconnu car le maître relève lui aussi de la réalité.

Il est étrange que cette division qui montre la structure de notre rapport aux autres et au monde, la prévalence de la structure du rapport entre semblable, de la division entre réalité et champ de l'Autre, Freud n'a pas pu la penser. Il n'a pas pu penser le champ de l'Autre mais seulement le champ de la réalité, de sorte qu'à ses yeux, une femme est un idéal amputé. La femme est dotée d'un instrument diminué par rapport à celui de l'homme, elle est d'un "phallicisme" non abouti, tempéré.
Dans son article sur la féminité, la position de Freud, celui à qui on doit la psychanalyse, est de méconnaissance ordinaire dans ce domaine essentiel de l'Autre, du champ de l'Autre selon Lacan, où l'Autre s'y trouve logé et qui est très différent du champ de la réalité tout en ne relevant pas du Père étranger. Il n'est pas étranger mais il n'est pas le même.
Cette dimension qu'a inauguré Lacan n'est pas l'autre philosophique mais cette dimension essentielle qui montre par sa seule existence l'incomplétude de toute prétention à la totalité, à la maîtrise sur le réel de ce qu'on appellera l'Autre ou dieu, et cela même y compris si je déçois, y compris dans l'écriture et le maniement de nos propres concepts.
C'est pourquoi la lecture de Lacan est difficile car on n'y trouve jamais que des occurrences successives. On peut légitimement chercher leur objet mais on ne trouve jamais que le manque essentiel. Toute prétention à la saisie de l'être est une prétention de maître ignare, refusant les limites de sa maîtrise.

Pourquoi grand Autre ? C'est une tradition philosophique que l'on retrouve dans le Timée de Platon. Il y avait une démarche scientifique qui consistait à transformer l'autre en même, identique à soi. Avec cet exemple de la division, il y avait cette magnification de l'autre et corrélativement, une revendication à l'égalité, à la parité, qui date de 2500 ans et qui se trouve de manière touchante toujours ramenées.
Vous pouvez aussi, ça soulage, traduire hétéros qui se rapporte à ce qui est l'autre sexe, organisateur de l'hétérosexualité. Que le partenaire s'inscrive comme hétérosexuel n'est pas lié à un détail de son anatomie mais par une distribution topologique.

Remarque sur le terme homosexuel. Il est confusionnel car il établit l'homosexualité sur ce qui tient à l'anatomie oubliant que l'anatomie n'empêche pas la disparité des places et que l'homosexualité respecte cette division de l'espace que j'évoque. La seule exigence de ce couple peut être, par exemple, mais y en a pas d'autre, que celle qui est du côté Autre ne soit pas totalement démunies, dans un état de privation tel qu'on le retrouve chez sa mère, qu'elle soit réparée.

Ce qui dans notre culture vient ordinairement s'inscrire, est que nous croyons toujours au maître, nous sommes toujours dans ce type d'organisation millénaire et nous continuons d'insupporter ce qui semble le décevoir.
Simple rappel rapide. J'ai mis en place cette division de l'espace, le champ, imaginaire, de la réalité, le champ, réel, de l'Autre, occupé par I(a), mais il y a ce fait, qui n'apparaît pas, que cette distribution n'est pas imaginaire, elle est un effet symbolique. Pourquoi le rappeler ? Car aucun système formel, et le langage en est un, n'épuise le réel. Il n'y a aucune formulation complète, totale, du monde. C'est impossible, et dans notre domaine aussi.
Le sympathique de cette division, là encore ça soulage, de cet hétéros, même s'il passe inaperçu, est qu'il fait valoir la présence d'un dieu propre à soutenir l'économie érotique entre l'idéal et l'image de l'Autre. Entre I(a) et I(A).
Cette acceptation si volontaire de la soumission, vouée à se donner un maître, sera organisatrice du champ de l'hétéros pour le maître. Et cela dans la mesure où la femme est comme un présent, un cadeau de Noël, ce qui est très différent d'un déficit, offert, donné et susceptible de calmer l'angoisse.
Nous sommes dans la dialectique du maître et de l'esclave de Hegel, qu'on dit difficile mais qui peut s'aborder dans la joie. Oui, il y a servitude volontaire car elle s'inscrit dans la présence au monde d'un accueil fait au sexe.

Comme nous le savons à la suite de l'histoire, cette répartition maître-esclave a pu se faire traumatique. C'est comme ça Hegel. Lacan est plutôt fidèle à Hegel. Pour lui, le maître en tant que "un" appartient à un ordre fondé sur ce qui est mort. La mort soutient la vie, il y faut un ancêtre. S'il y a maître alors il y a ancêtre, obligatoirement. Mythique ou religieux, votre chemin conduit nécessairement à rejoindre le point de départ, ce mort d'où vous êtes issus.

Bichat nous dit que la vie est l'ensemble des forces qui résiste à la mort. Ca vous dit quoi ? Avez-vous des remarques ? Oui, il y en a d'autre : La santé c'est le silence des organes. Faut en passer par l'hystérectomie. Ce que Bichat cache est que la vraie définition de la vie c'est l'ensemble des forces qui mènent à la mort. Que serait une mort indépendante de la destination de la vie ?

Ce que Monsieur Essel inspire peut se faire dans la violence mais, dans ce cas, il est évident que l’érotisme de la situation, éventuellement réciproque, sacrilège, je vais me faire huer, que cette érotisme est destiné à ce que le réel, la place du dieu organisateur tout heureux de cette bipartition, que cette place soit occupée par un maître, occasionnel, dans la réalité où il doit encore oblitérer cette place. D’où ce mode de relation marquée par cette exigence de totalitarisme. Je sais que c’est à ne pas dire mais si on veut en sortir, il faut l’amener cette idée même pour la récuser. On ne peut la considérer de manière apathique même si elle nous entraine dans un pathos considérable et justifié.

Ce champ de la réalité est remarquable car ceux qui l’occupent sont marqué du trait reçu de l’ancêtre, ils sont marqué de ce qu’ils lui doivent, c’est à dire qu’ils sont marqué de la castration, de la délégation du sceptre, du sexe comme représentant de cette instance dans le réel, justifiant de leur sexualité en en perpétuant la sienne.
Le champ de la réalité est habité d’individus identiques, de la même coupe, y a rien à voir, gris, uniforme. Chacun est marqué du même signe, sans intérêt, qui ne témoigne que du même conformisme. Là où vous reconnaissez ce monde gris et conforme, vous connaissez ce qu’il en sera dans 40 ans. Il s’arrêtera une fois pour toute.

C’est intéressant car dans ce champ, si vous osez vous distinguer en donnant à voir, vous produisez un effet très intéressant, vous susciter le mauvais œil. Dans des cultures proche des nôtres, si maman a un beau bébé qui attire le regard, qui donne à voir, alors il peut attirer le mauvais œil, il ne faut surtout pas le montrer. Mais je vous entends penser : Et les femmes ? Nous y sommes, nous avançons. Les femmes, elles peuvent susciter le mauvais œil.
Pour Lacan, cet œil est toujours mauvais. Mais pourquoi il apparaît ? Pourquoi le regard frappe-t-il la scène ? Parce que ce champ de réalité est organisé par la chute d’objet parmi lesquels le regard. Si quelque chose se donne à voir dans ce champ morne de la norme, alors il y a faute morale, abus, manquement au commandement et du même coup, apparaît dans le réel ce regard inquisiteur. Ca va comme ça ?

Il m’est arrivé d’évoquer que Lacan, contrairement à son époque où tous les professeurs portaient l’uniforme, gris, Lacan détonnait, avec des vêtements colorés. On le voyait et il avait l’air de s’en fiche. Il en venait à inciter son auditoire à écrire une philosophie du vêtement. Et pourquoi pas ? Ca évolue.

Dans le champ de la réalité, ça se passe comment la présence d’une femme ? C’est un problème culturel. On peut exiger qu’elle passe inaperçue. Dans d’autre culture, on peut exiger qu’elle ait un pied d’un côté et l’autre de l’autre. Malgré ce tour de force, mais qui est habituel, de tempérer leur brillance, en dépit de cette réserve qu’elle manifeste, elle appartienne au champ de l’Autre. Donc, dans le champ de la réalité, elles sont supportées de cette place I(A), c’est à dire qu’elles sont les représentantes de l’objet cause du désir et du champ de l’altérité, c’est à dire du lieu où se manifeste ce désir.
C’est le travail de l’hystérique de manifester cette exigence ambivalente, de forcer le maître à être absolu et à le mettre en échec. Il est très fort mais il doit être également courageux car il faut qu’il pousse encore. On ne décolle pas de la clinique, nous y sommes pour aborder la question du rapport du lieu de l’Autre et du Nom du père c’est à dire la question de la manière qu’elle doit, non une infraction à la législation paternelle, mais qu’elle doit l’exercice de la fonction paternelle. De quelle façon ce lieu Autre, qui échappe à la maîtrise, l’hétéro, obtient un effet heureux de la mise en place de la fonction paternelle ?

L’opération de filiation n’a pas moins de racines dans le champ de la réalité mais il y a aussi la fille-ation chez ceux qui occupent le lieu Autre. Ce lieu mis en place par la métaphore paternelle, est seul propre à justifier la place de la femme du champ de la réalité et de l’hétéros, du champ du réel, même si les hommes différent des femmes. C’est un fondement pour Lacan quand il formule qu’une femme n’est pas toute phallique, d’un côté, oui, d’un autre, pas toute.

Le lieu de l’Autre n’est justement pas le lieu où la vie est un ensemble de force qui mène à la mort. Il n’y a pas ce « au-moins-un » en tant qu’il commande la castration car il n’y a pas d’ancêtre dans ce lieu Autre à qui devoir doit être rendu. Dans ce lieu, la mort est toujours un accident mais dans le cas d’une mort naturelle.
Un deuil pour une femme n’est pas vécu de la même manière que pour un homme. Nous sommes, même ici dans cette école, pris par cette distinction hétéro des positions subjectives des hommes et des femmes. Est-ce qu’un sujet a un sexe ? Non. Alors quand j’évoque la subjectivité, je parle de quoi ?

En revanche, nous pouvons nous servir de supports topologiques pour repérer les différentes dispositions des hommes et des femmes et observer qu’en psychopathologie, c’est toujours différent dans chaque cas. Il est étrange que l’on focalise sur la féminité et l’hystérie mais il est évident que la mise en place différenciée de l’homme et de la femme nécessite des réponses différenciées.
On y voit le type de défrichement que cela réclame et c’est à l’origine de l’établissement de notre école, il y a tout à faire.

Oui, il y a un effet de scandale à ce que la féminité soit vécue comme un déficit, avec ce paradoxe que cette opération soit soutenue par la fille-ation, soit la relation au père. C’est que les fils, ces fameux préférés du père, ils lui en veulent à mort, c’est ça l’Œdipe. Ils sont choisis, élus, et ils se font un bon Œdipe. Alors que les filles, maltraitées, elles, elles aiment le père au point de fonctionner comme le meilleur des fils. D’autant meilleur qu’il est dénué des avatars de l’Œdipe, c’est l ‘amour parfait.

Celui a qui on a légué le sceptre, ça y est, est embrigadé, pris dans la série. Tandis qu’elle, démunie, garde l’espoir d’une reconnaissance qui, éventuellement, lui vaudrait cette délégation.
C’est un curieux fait de culture, cette méconnaissance maintenue sur cette articulation qu’une femme n’en doit pas moins à la filiation paternelle qu’à cette filiation réputée modèle, différente quoique tout aussi valable, sur laquelle nous devons continuer à réfléchir. Merci.

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