20 décembre 2011

Jean Christophe CATHELINEAU 14 11 2011 Pascal

Cathelineau 14 11 2011 le pari de Pascal
C'est un livret à part, en quatre morceaux, détaché de son œuvre, dont le destinataire est le libertin, celui à qui on ne la fait pas, et à qui on ne peut faire valoir la vérité que par rapport à son intérêt, un intérêt rationnel. Le libertin n'a pas la foi mais il serait susceptible d'y accéder par la raison.
Sa démonstration vise à persuader de l'intérêt de la foi.
Le titre concerne l'infini et le rien. Un sacré titre, une thèse et une antithèse. L'infini est cette suite des entiers naturels. Ils devraient nous aider à réfléchir sur le divin et sur l'infini divin. Le rien, précisément est ce qui est fini en regard de l'infini. Au regard d'une suite sans fin de nombres, toutes suites finies n'est rien. Nous le verrons à propos de la finitude et notamment de l'âme située dans le corps.
On ne croit que ce qu'on éprouve du fait du corps, c'est le point de départ du libertin. Au-delà de ce qui est éprouvé, on ne saurait y croire.

Si un s'ajoute à l'infini, pas d'angoisse, il persiste. Mais le fini s'anéantit en présence de l'infini et devient un pur néant. Le zéro ou n'importe quoi, un, deux, n'est rien par rapport à l'infini. La suite infinie est la métaphore de notre corps en regard du divin. Le modèle mathématique est le point d'appui métaphorique.
Pour le jansénisme, la pensée juste de dieu est que certains hommes sont condamnés du fait du péché originel et c'est la majorité d'entre eux. Mais cette justice est moins choquante qu'une miséricorde qui ne serait accordée qu'à une minorité d'élu car un certains nombre échappe à cette malédiction du fait de la miséricorde de dieu. Pourquoi ? Personne ne le sait. Pascal lui-même portait un petit papier autour du coup où il était écrit "Joie, pleure de joie", car lui-même était un élu.

L'infini n'est ni pair ni impaire. Cependant c'est un nombre et tout nombre est pair ou impair. Nous connaissons l'existence de l'infini mais nous ne savons pas sa nature. D'où "faire un impair", c'est de la logique. Ajouter une unité ne nous renseigne pas plus. Notre rapport à la mathématique est du même ordre que notre relation à dieu. Nous connaissons qu'il y a dieu mais rien de sa nature car il n'a ni étendue ni borne. Notre connaissance est en fait une croyance, c'est la foi qui fait que nous le connaissons. Il s'agit d'une rupture théologique à la mode à cette époque, voire notamment Descartes.

La preuve ontologique de dieu, il la refuse. Il refuse cette idée de preuve rationnelle de l’existence de dieu. Pour lui, dieu ne relève que de la foi, et dans cette foi, la contemplation, la gloire de dieu. Il part de cette foi pour ensuite opérer une rupture dans son texte. S’adressant au libertin, il met la foi de côté et a recours aux lumières naturelle, de la raison sans la foi.
Si dieu existe, alors il est incompréhensible. Ca, c’est rationnel et admissible. On ne sait ni s’il est ni s’il n’est pas. C’est un dieu caché. Entre dieu et sa créature, il n’y a aucun rapport sauf la révélation. C’est de sa nature qu’il n’y a aucun rapport.

Saint Paul pose que croire en dieu est une folie, voire une sottise. La croyance ne repose que sur la croyance. Il est de la destinée des chrétiens de ne pouvoir rendre raison de cette croyance dans la tradition paulinienne. C’est en choisissant délibérément la folie de la foi, la croyance, que le croyant reste au plus près de ce qui relève du divin et donc, récuse l’idée même de preuve. Mais si on récuse l’idée même de preuve, quelle voie rationnelle reste-t-il pour aborder le divin ? Cette voie rationnelle est celle de Descartes, voie rationnelle, non ontologique, c’est celle du jeu.
Or les libertins sont joueurs et cette passion incite au calcul. La question de dieu, non ontologique, pourrait être comme un calcul, en fonction d’un intérêt. Est-ce que j’ai intérêt ou non à croire en dieu ?

Il est ou pas et la raison ne peut rien déterminer. Mais voilà la question : Dois-je parier qu’il est ou qu’il n’est pas, du point de vue de mon intérêt ? Du point de vue de mon intérêt personnel, quel est le meilleur choix ? Sachant qu’aucune démonstration ne peut me renseigner.

A l’issue de l’infini, il arrivera croix ou pile, pile ou face, c’est à dire qu’il y a une chance sur deux qu’il y soit. Alors, que gagerez-vous ? Qu’êtes-vous prêts à miser ? Par raison, ni l’un ni l’autre. Conséquemment, au début du pari, il conseille de ne pas s’engager à jouer, d’être en dehors de la table de jeu. Le juste est de ne point parier car les deux sont en faute. On peut, avant le jeu, refuser de jouer et Lacan reprendra ce refus de manière précise.
Celui qui choisit et l’autre sont en faute tous les deux, ils sont dans la méconnaissance de dieu. Ici, Pascal se fait l’avocat du diable, des libertins. Pourquoi parierais-je face à une telle incertitude ?
Oui, mais ...
Oui. Mais il faut parier. On n'a pas le choix, c’est la dimension de l’existence, propre au sujet. Vous êtes embarqué et, ce jeu, vous le jouez déjà, vous êtes assis à la table du jeu. Et de cette idée, Lacan va en tirer parti.
Il y a deux choses à perdre : Le vrai et le bien. Et deux choses à engager : La raison et la volonté, la possibilité de choisir. Deux choses à ne pas fuir, la méconnaissance et la béatitude.
Si vous perdez, dans ce pari, c’est le bien et le vrai. La raison quant à elle n’est pas blessée par le calcul, elle n’est pas en contradiction avec le processus du choix et la méconnaissance est le complément de la raison, comme la béatitude est complémentaire de la bonté, du bien. Voilà l’enjeu, c’est la félicité éternelle promise à celui qui rencontre dieu. Ce qui est joué concerne votre félicité éternelle. Voilà la mise en place d’un système de gain et de perte.

Pour jouer, il faut établir l’existence du partenaire. Ce qui est curieux c’est que ce n’est pas n’importe quel partenaire, c’est dieu. Donc on pose son existence, on engage une mise et on récupère un bien. Sa thèse est que si vous gagnez, vous gagnez tout. Car si vous dites qu’il est et qu’il est vraiment, c’est un gain total. Et si vous perdez, vous ne perdez rien. Car la mise n’est rien par rapport à la supposition de l'infini.
Donc le pari possède une mise, votre vie, qui n’est rien, et la perte est ce rien.
Alors pas d’hésitation. Oui, il faut gager, dit le libertin. Mais ...

L’idée de gager une vie est un problème, on a une chance sur deux, soit 0,5.
Gager deux vies est d’une meilleure espérance mathématique. Une chance sur deux et on a deux vie, donc 2 x 0,5 = 1. Le pari est équitable.
Gager trois vies donne 3 x 0,5 = 1,5. Le pari est avantageux.
Gager une infinité de vie est donc encore mieux car 0,5 x l’infini constituent une espérance infinie, l’espérance d’une éternité de bonheur.
Il est donc aberrant de ne pas parier pour dieu car la vie n’est rien, donc ça vaut le coup.

Voici le plus énigmatique. La mise pour Lacan est l’objet petit a, auquel nous arrivons à renoncer du fait de notre engagement dans un discours. Or qu’est-il en regard de la vie infiniment heureuse qui nous est promise ? Pour Lacan, l’objet petit a n’est rien mais il faut le noter d’un nombre : Le zéro.
Zéro comme mise, infini comme gain. Pour Pascal, cette vie au plaisir empesté n’est rien car elle est marquée par sa finitude, rien par rapport à l’infini. Pour Lacan, cet infini est celui à partir duquel devient zéro notre vie, l’objet petit a, et l’existence du partenaire est posée comme grand Autre non barré. Il ne s’agit pas d’y croire, Lacan pose cette hypothèse du pari pour en parier un autre.

Cette idée mathématique à partir de la succession des trois vies en gage, cette idée nous ôte tout parti. En référence aux mathématiques, Pascal et le chevalier De Méré ont échangé une dizaine de pages qui ne concerne que la règle des partis. "Parti" est un substantif qui dérive de partir. Au 16e siècle, il signifiait encore "partager". Il s'agit de la juste répartition des mises lorsqu'une partie s'interrompt.
Par exemple, dans un jeu de dés, on s'arrête au quatrième tour. Mais si on s'arrête au troisième tour ? Quelle sera la règle pour redistribuer les mises ?

Deux joueurs disposent de 32 pistoles chacun. Le gain est de 4 pistoles au bout de quatre coups. Comment vont se répartir les mises ? Il faut raisonner sur la prochaine partie. Si je gagne, tout va bien, j'encaisse 64 pistoles. Ou alors, j'ai une chance sur deux, je gagne ou pas, et cela me rapporte 32 pistoles. Mais dans la mesure où j'ai également perdu 32 pistoles je recevrai la moitié des gains soit :
32 + 16 = 48.

Le résultat est donc à concurrence de l'espérance de gain. Et cela dans toute partie puisque l’espérance est infinie. Il en résulte que la règle des partis est inapplicable. Mais si tout est donné et que la raison s'est faite oubliée, il ne sert à rien de ratiociner. Tout joueur hasarde avec certitude pour gagner avec incertitude. Il y a lieu d’un point d’équilibre entre se permettre d’hasarder et se permettre d’espérer.

Pour Lacan, la mise est nulle par rapport à l’espérance. Le parti est cette impossible proportion de ce qu’il faut pour parier sur dieu. Il y a chez Lacan une matrice implicite.
Lacan s'interroge sur le pari de Pascal. Si dieu n'existe pas, noté grand A barré, et que je renonce à l'objet, je perds ma vie et je ne gagne rien. Pascal envisageait déjà cette mise pour un gain nul.
Si vous perdez, vous ne perdez rien, noté -a, 0.


Pour Lacan, le petit a, je peux le perdre, pourquoi pas. Est-ce que ça vaut la peine de se donner tant de mal pour le garder ? La vie n'est rien, il peut être intéressant de la perdre pour rien car si l'on garde l'objet, on perd phi, noté -phi, c'est à dire l'enfer. C'est ce que risque le libertin qui parie contre dieu et garde son objet. C'est noté a, -phi.
L'enfer est, pour Lacan, ce qu'on passe notre temps à vivre pour étancher l'objet petit a. Son interprétation n'est plus théologique mais psychopathologique. Ne pas renoncer à l'objet, c'est l'enfer, voire pire, la psychose.

On pourrait préférer garder l'objet au prix de la perte, sage, pépère. Mais Lacan profite du pari pour montrer le jeu sérieux de l'existence et le destin de l'objet petit a. Il introduit la dimension de la perte de l'objet petit a, noté -a, 0.
Cette perte s'adresse au croyant. Le plus de jouissance attendu de l'objet petit a, est modulé par la question de la norme, la loi qui commande la jouissance maternelle, l'interdit. Il y a à parier sur le non et à renoncer à l'objet, sauf à se destiner à une infinité de vie malheureuse. Le pari de Pascal est théologique mais il est aussi la métaphore de l'existence humaine dans la mesure où il touche à une certaine vérité de l'objet petit a, allusion faite à la question de la jouissance Autre sur son versant destructeur.

Mais à quoi correspond le noté a, 0 ? A celui qui parie contre dieu, contre l'Autre, en refusant de rentrer dans le jeu. A cette question, Pascal répond que nous sommes embarqués, mais son hypothèse philosophique est qu'il est possible de n'y pas rentrer.
Pour Lacan, dés la table du jeu, chacun est déjà objet petit a. Ne pas s'engager est une hypothèse fictive car tout est déterminé par ce "déjà embarqué" à titre d'objet petit a.

Reprenons le dieu des philosophes et la preuve ontologique. Selon Saint Anselme, l'essence de dieu est parfaite, donc il contient tous les attributs dont l'existence, donc il existe. C'est très éloigné de l'option que prend Pascal.
Pour Kant, la preuve ontologique n'a de sens que dans le temps et l'espace. Or, dieu est hors du temps et de l'espace, donc Kant, comme Pascal, réfute l'argument : l'existence est nécessaire pour percevoir. Pascal, effectivement, postule d'un en-dehors du temps et de l'espace et du concept de philosophie.
Il s'agit d'un dieu qui ne relève d'aucun savoir, inscrit dans la tradition de l'écriture sainte, c'est à dire de la foi. Il y a un rapport entre le dieu auquel on croit et le grand Autre tel que la psychanalyse le conçoit, et tel que, même si l'on peut l'écrire grand A barré, il y a d'abord la dimension du grand Autre comme dimension à laquelle on croit. Et cela, malgré qu'on en saisisse, comme Pascal, quelque chose.

La règle des parties montre que l'enjeu de l'existence est peut-être calculable. Pascal poursuit ce rêve d'un sujet calculable dont il serait possible de prévoir les gains et les pertes. La question se pose en cours de partie, de vie. Qu'est-ce qui revient à soi et qu'est-ce qui revient à l'autre, voilà le sens clinique de la règle des parties, comme on peut le lire dans le séminaire "D'un autre à l'autre". C'est ce qu'il y a de propédeutique dans l'interrogation de Pascal. De tout ce qu'il en dit, aucune réponse. Et quand la partie s'interrompt, c'est trop tard.

Le joueur, en clinique, n'hésite pas à miser gros, comme le libertin de Pascal. Mais c'est pour récuser une mise initiale, celle de l'Autre. Dans la logique du pari pascalien, c'est différent, le sujet est embarqué, donc il ne peut se situé sur le plan de la récusation même si le destinataire, le libertin, lui-même récuse. Pascal pose un jeu qui ne dépend pas du sujet. Merci.

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