2 octobre 2011

Serge THIBIERGE 26092011 Corps et langage

Pour cette deuxième année, j'aborderai différents éléments de psychopathologie en vue de s'en faire une pratique. Cette année qui vient aura une spécification supplémentaire, l'approche clinique et théorique du morcellement spéculaire c'est à dire des différentes façons qu'ont les images du corps pour se retrouver en morceaux. C'est un champ d'une grande diversité clinique, cible de repérages nouveaux, d'un grand intérêt pour la clinique contemporaine. Car justement, le réel contemporain est marqué par cette difficulté nouvelle que nous présente ce caractère éclaté, diffracté, morcelé, des aspects de l'image du corps.
C'est l'image spéculaire, de speculum, le miroir, qui nous amène à parler de ce qui touche à l'image en général, à l'Imaginaire, et donc de l'incidence, de l'importance, de l'image, de l'imaginaire dans l'existence de l'animal humain comme aussi dans la vie animale. Cette approche est l'occasion d'aborder des aspects surprenants par leur richesse, leur variété et leur importance en psychopathologie.
Rappelons que le corps réel de l'animal humain est réel du fait que, eh bien, il n'en a pas d'autre. Il est réel aussi en tant que nous le ressentons comme réel, en tant que nous le considérons comme mon corps, sans plus d'idée précises mais dont le réel se signale par des excitations, des tensions, des plaisirs. Ce réel du corps, décisivement pour l'animal humain est en proie, est affecté par le langage, qu'il le veuille ou non. Or affecté par le langage veut dire affecté par les effets de structure du langage. Ici même, en vous parlant, je vous parle du réel du corps le plus immédiat, il n'est pas illégitime de dire que le réel commence là même si on ne sait pas ce que c'est qu'un corps.
Le corps est un signifiant. Il a questionné tous les philosophes, les artistes. Nous avons à l'écrire. Je fais toujours des schéma, des écritures, pourquoi ? Parce qu'on ne peut pas toujours être dans le registre de l'image, du sens. Pour enseigner, il faut le recours à l'écrit, même si on n'écrit pas au tableau, on y a recours car il est impossible de n'avoir recours qu'à l'image. Quiconque enseigne dit toujours quelque chose d'écrit dont le sens est différent que le sens que l'on impose par l'image, s'il veut éviter le dressage univoque de la signalisation. C'est cette dimension de l'image qui est remarquable du fait d'être régulièrement et nécessairement trouée, interrompue, par l'écrit.

Donc, ce schéma :
Le RÉEL du CORPS ( S ), ce qui l'affecte ce réel est, le LANGAGE ( A ) soit le SYMBOLIQUE.

Le symbolique est l'ensemble des éléments qui compose le langage, c'est à dire les lettres, les éléments les plus petits, les mots, les phrases, les romans, les parties de mot, etc. Le corps humain parle, il n'est pas silencieux mais éloquent, il est affecté par du symbolique, par des effets de la structure du langage, langage qui cause pour ce corps.
Si l'on parle des effets du signifiant "dans" le corps, c'est pure métaphore car le corps n'est pas un bocal à signifiant. Le corps et le langage sont tissé ensemble. Nous dirons "pour" le corps.
L'un des effets du signifiant pour le corps est qu'il installe une différence principiel, fondamentale, entre des places, des lieux, distincts, et ceci dés lors que la parole prend effet ! Car elle peut ne pas prendre, ça existe des corps comme ça.
Cette différence se fonde de deux places. La place du sujet qui parle, grand S, et la place de l'autre, grand A, à qui la parole s'adresse. Une parole dans l'échange humain est toujours adressée. Une parole sans adresse est ce qui doit être au travail en psychopathologie. C'est toujours une question intéressante que de savoir si une parole est adressée et de quelle façon, et sinon, qu'en dire et de quelle manière est-elle non adressée,etc.
Donc, il y a le lieu d'où la parole s'énonce et le lieu où elle s'adresse. Cette différence des places est une différence réelle, impossible à ne pas prendre en compte dans l'échange humain. Quand la différence fait défaut, le sujet n'est pas pris dans l'échange et cela engendre des effets du corps, fréquent dans la psychose mais pas seulement dans la psychose.
Avec cette différence des places, des adresses, il faut évoquer l'échange le plus simple, une parole première, signifiant premier que Lacan symbolise par S1, grand S indice 1. Si quelqu'un crie oh ! ou eh ! on se retourne vers lui. C'est un signifiant maître qui déclenche l'échange, bien qu'on y soit pas encore forcément dans l'échange. Le S1, le signifiant maître n'est pas celui qui commande, ce n'est pas dire la loi, rappeler la règle qui nous fonde comme maître sauf à être un tyran. Le signifiant maître est le morceau du symbolique qui déclenche l'échange comme, entre amis aussi, il faut bien que quelqu'un, non le maître, parte de quelque chose, S1, signifiant indice 1, pour discuter. Ce S1, du seul fait d'être proférer, va produire quelque chose en réponse ou en corrélation. A entendre eh ! on se retourne tous, on répond tous au signifiant maître. S1 a valeur de questionnement, toute question appelle réponse, réponse qui sera à une autre place, une place autre.
Dés lors, il est facile d'entretenir la confusion en ce qui concerne la part que prend le S1 dans la partie de l'être parlant qui se situe du côté de l'homme et pas du côté des femmes. Bourdieu, pourquoi choisit-il cet intitulé pour son ouvrage "La domination masculine" ? Aurait-il confondu la place homme du S1, comme c'est souvent le cas, avec la domination, qui n'a rien à voir. La domination commence quand on confond cette place avec sa mise en jeu. Or il n'y a aucune nécessité en ce domaine car tous nous avons à prodiguer du S1, c'est un effet auquel tous, les hommes et les femmes, nous nous plions pour prendre place dans la parole. En tenir compte peut rendre moins cruelle la tyrannie qui peut résulter d'une telle confusion des places.
A la suite du S1, il vient d'autres S, le S2 dans sa multiplicité. L'écart entre S1 et S2 est comparable à l'écart entre S et A. Il s'agit de cette différence irréductible nécessaire pour avoir de l'échange humain. Il peut ne pas y en avoir d'échange, pas d'écart, pas de différence entre S1 et S2. C'est souvent possible dans la psychose. Là, la difficulté tient à cette différence écrasée, réduite au point de disparaître. Le sujet psychotique peut forclore ce qui est au principe de l'échange, qu'il faille dans le sens, dans la signification, que quelque chose manque, que tout ne soit pas sensé, dans le sens, comme j'en faisait la remarque à propos de l'enseignement. Dans la pub, parfois, il y a ce procédé par flash rapide qui ne nous donne pas le temps d'interpréter quoi que ce soit. Dans la psychose, ce manquant ne manque pas. Ce qui fait le psychotique, au travers de la parano, schyzo, d'une grande variété de symptôme, est toujours en difficulté quand quelque chose fait trop sens, il est affecté par ce trop, il ne le supporte pas. C'est pourquoi, sans médicament pour le tempérer, il peut être parfois violemment agité de protestation, désarroi, plainte, contre ce trop. Du sens, il en subi le trop, par exemple, en but à un persécuteur qui le poursuit partout, tout le temps.
Cependant, l'excès peut être aussi du côté du défaut. Ainsi, ceux qui constamment, se regarde dans le miroir, pour récupérer quelques morceaux de leur image complètement morcelée. Si ce n'est que dans le miroir qu'ils peuvent récupérer quelque chose, l'Autre ne peut que menacer encore plus.
Le langage a comme effet de mettre en place ces différences de place, précisément, mais cette différence n'est pas toujours actualisée, ce qui a des effets pour la psychose mais pas seulement la psychose. La manière dont le réel du corps est affecté par le langage, voilà ce qui est en jeu dans la psychopathologie.
Dans les entretiens cliniques, les préliminaires avec le patient, les présentations de malades, de quoi, qu'est-ce qu'on essaie d'apprécier si ce n'est de quelle manière le patient pâtit du langage. C'est une manière, non la seule, d'aborder la psychopathologie. Comment se répertorie les effets, la psyché, ce qui pâtit, etc. Mais nous ne sommes plus du temps d'Aristote, nous ne partons plus de l'âme mais d'un corps réel affecté par un langage dont la structure est réel et que nous appelons le symbolique.
Nous sommes partis du réel du corps et du symbolique du langage. Je voudrais ajouter une remarque générale et une remarque de clinique contemporaine.

A poser seulement le Réel (corps), R et le symbolique (langage), S, surgit de suite une difficulté : Quel rapport y a-t-il entre ce réel et ce symbolique ? Aucun rapport n'est nécessaire. Moi qui parle, je parle le français et ça n'a rien à voir avec mon corps, je pourrais parler chinois, anglais ou resté silencieux. Melman a évoqué l'enfant sauvage, il n'avait aucun S lié au corps, il montre qu'aucun rapport n'est absolument nécessaire pour vivre. Le terme même de rapport est monoidéique. Pensez au rapport sexuel ! Donc pour avoir un rapport entre S et R, qu'est-ce qu'il faut ? Car il faut quand même en trouver un pour parler. Pour répondre, nous allons suivre Lacan bien qu'il ne soit pas la seule référence. Quand vous ouvrez un livre de logique, quelle nécessité y a-t-il d'y entrer ? Il n'y a aucune nécessité pour le corps de se coltiner toutes ces formules arides.
Pour qu'il y ai un rapport entre S et R, il faut un troisième terme qui nous orientera par rapport aux deux autres. Ce troisième terme n'est pas le Réel, le corps obscure, méconnu de nous même, et tout ce qui le concerne, il n'est pas symbolique mais de l'ordre de l'image. C'est troublant car c'est cela qui fait sens, au sens d'une orientation, comme une flèche indique une direction, c'est incitatif et comme si cela allait de soi, alors que, nous le verrons, ce n'est pas si évident.
Pour d'autres animaux, il existe d'autres modalités, mais pour l'animal parlant humain, c'est l'imaginaire ( I ), là où l'image a un statut prévalent, l'image, c'est à dire le sens qui noue le S et le R. Qu'est-ce qui nous permet de l'avancer ? On trouvera la réponse pas à pas quand nous verrons qu'une image spéciale est reconnue par l'enfant comme son corps propre, une image rencontrée à laquelle il s'est identifié, c'est à dire au réel duquel il a donné une orientation.
Je m'appuie toujours sur le côté opposé d'où je me trouve, de l'autre côté, alors que là où je me trouve, je m'y trouve réellement. On s'appuie sur un autre, notre corps est du côté opposé à cet autre d'où la complexité et la promesse de réjouissance dans notre rapport à l'Autre.
L'enfant entre 6 et 18 mois s'introduit à la première orientation dans notre espace, dotée d'un sens, de côté opposé, etc. Avant, il peut avoir des impressions sensorielles qui lui donne des directions mais c'est au stade du miroir qu'il sera orienté. Le troisième terme est nécessaire pour avoir un minimum d'orientation dans l'espace, dans la pensée qui, sans cela, est un magma informe, d'où l'angoisse. On ne peut s'orienter avec le S, ce qui est le drame de certains sujets qui ont cet espoir que, par exemple, les mathématique pourraient orienter leur existence. C'est impossible, il faut de l'image.
Melman a eu cette idée de croisé Freud, Lacan et Wittgenstein : Ne vous laissez pas décourager par le côté lunaire de l'entreprise. Wittgenstein était tourmenté par le rapport entre R et S, et d'une vive sensibilité quant au caractère imposé, non justifié, illégitime, que prend pour nous le sens. Tourmenté et même scandalisé par notre folle propension à nous précipiter sur le sens sans voir qu'il ne repose que sur l'arbitraire.
Tous ces travaux interroge cette façon dont nous mettons du sens sans être forcément fondé à le faire. Le Tractacus essaie de faire le ménage avec des propositions dont le but est d'éviter d'être parasité par un sens qui n'aurait pas lieu d'être. C'est pas la peine de le dire. C'est pas la peine de faire du langage sans être claire avec cette affaire du sens. De ce dire, il interroge le sens. Ça parait moins lunaire ! Nous ne sommes pas habitués d'interroger le sens.
Quand est-ce qu'on le fait ? Avec Lacan, quand il essaie de l'articuler avec sa topologie. Nous n'y comprenons rien or, voilà, il faut en comprendre un peu quand même. Dés qu'on interroge le sens, on se retrouve en difficulté parce qu'on présuppose toujours qu'une interrogation se trouve sur le fond d'un sens. Pourquoi ? C'est que, pour nous, le sens s'est fait d'une manière spéculaire.
A se reporter au "Stade du miroir dans la formation du je" de 1936, on croit qu'il a simplement élucidé ce problème et que c'est un acquis. Mais il faut le lire mot à mot, c'est plus difficile qu'on ne le croit. Lacan n'en a jamais plus modifier une ligne et s'y référera dans tout le reste de son enseignement, ce qui est extraordinaire.
Lacan connaissait Paul Schilder, cet intellectuel attachant, génial, qui, dés 1935, écrit "The image and the apparence". En 36, Lacan l'avait lu. Pour s'en convaincre, il suffit de lire l'introduction de l'ouvrage de Schilder, l'imaginaire du corps, ça ne va pas du tout de soi.

Remarque sur la clinique contemporaine. Le sens, nous en avons besoin quand nous voulons rentrer dans l'échange, l'acte, la conduite, quand nous voulons mettre en jeu quelque chose qui a valeur de signification, qui n'est pas n'importe quoi. On a besoin d'un peu de sens, sans aucun sens, l'aridité est insupportable. C'est le drame subjectif de Wittgenstein, cruel, inflexible, dans son répertoire des manières illégitimes de faire du sens, il en reste peu de valide. Les patients de notre temps, parfois jeune, souffre justement de ce peu de sens pour engager une histoire. Même parfois, pour se présenter dans un minimum d'histoire. Je m'appelle, etc. Ce minimum d'historisation qui était un donné comme un bagage dans la vie, ce bagage minimum n'est plus à la portée de ces patients. Une espèce de désorientation, pas forcément psychotique, est de plus en plus fréquente. Ils n'ont plus ce minimum de sens pour engager l'échange. Cette difficulté est liée aux aspects morcelés de notre rapport au réel contemporain. Il n'est pas surprenant que les jeunes nous le répercute dans la clinique, dans la rencontre avec le psy, cette difficulté à énoncer ce minimum d'historisation nécessaire pour que l'échange se fasse.

Aucun commentaire: