22 octobre 2011

Jean Christophe CATHELINEAU 03102011 Logique et réel

CATHELINEAU 03 10 2011 Logique et réel
Que veut dire que la logique est la science du réel ? Qu'est-ce que la science du réel ? Avec Lacan, nous pouvons le formuler comme suit : Que le sens de ces formules faites de petites lettres dépend d'une interprétation, tout comme pour les mathèmes, une interprétation déterminée par l'écriture. L'interprétation découle de la consistance d'une écriture et c'est en cela que Lacan la désigne comme science du réel.
Un exemple ? Newton. Ses écritures formelles, G2T, etc. Ses lettres sont autant de variables choisies par Newton auxquelles il a lié des fonctions, des rapports de l'une à l'autre. G pour gravitation, T pour temps, etc. Ces lettres font force d'interprétation pour le réel.
En logique, Lacan propose une écriture, les mathèmes de la sexuation qui constituent une manière de parler du réel de la psychanalyse, c'est à dire de ce qui constitue le lit de la jouissance. Il propose une écriture qui parle du réel de la jouissance.
Dans un deuxième temps, ce qui en découle est d'ordre clinique : il n'y a pas d'autre moyen pour traité la différence des sexes, pas d'autre moyen que la logique. Ce qui oblige à revenir au fondement de la logique. Lacan est allé rechercher ces fondements dans "de l'interprétation" où Aristote définit certains principes de la logique. "Per ermeneia". Et aussi dans d'autres textes, peu comestibles, ce n’est pas des romans de gare, comme le 1er et 2ème "analytique", qui fondent la prévalence de la lettre en logique.
Le jugement ce fait avec des mots, par exemple "tout homme est blanc", mais Aristote souffle les mots et les remplace par des lettres, c'est à dire des variables, tout A est B, et cela constitue purement et simplement la naissance de la science au sens moderne de ce mot.
Quel est le cheminement de Lacan, d'Aristote au mathème de la sexuation ? De quelle thèse d'Aristote part-il pour construire ses mathèmes ? Il en parle pour la première fois dans le séminaire "D'un discours qui ne serait pas du semblant", dans la leçon du 17 03 1971.
Il y fait allusion à 7-17B 15 20 de "De interprétation" où Aristote pose que l'affirmation, issue d'un "je dis que", qui signale l'universelle s'oppose contradictoirement à une négation partout sur la même chose mais telle qu'elle ne soit pas prise contradictoirement. C'est à décrypter !
Quelle est la question d'Aristote sur laquelle revient Lacan et qui est au cœur du problème ? C'est la contradiction. Où se situe-t-elle ? Qu'est-ce qui est contradictoire ?
Elle se situe entre UA "tout homme est blanc" et PN "quelques hommes ne sont pas blancs". C'est là que, du point de vue logique, il y a contradiction si on essaie de dire les deux choses en même temps. On ne peut pas dire l'une et l'autre. C'est l'un ou l'autre, soit l'un soit l'autre.
Il y a aussi cette contradiction UA et PN "quelques hommes ne sont pas blancs", mais c'est UA/PN que privilégie Lacan, on verra pourquoi c'est cette contradiction qu'il élit.

De quelle nature est cette UA ? Allusif ? Oui, car il y a certainement des circonstances historiques qui l'entoure comme l'éphèbisme. Cette UA, qu'est-ce que c'est ? C'est un énoncé de discours. Un énoncé qui, pour Aristote, concerne plusieurs sujets dans le cas de U et concerne un nombre illimité de sujet dans le cas de P.
Il s'agit d'un énoncé de discours car on se fiche de savoir si "homme" correspond à un ou des êtres réels. Aristote, lui, n'y était pas indifférent mais, en toute logique, il n'est pas nécessaire que cela concerne des êtres réels car c'est affaire de discours essentiellement. Comment le montrer ?
Pour le montrer, il y a le quadrant de Pierce dans "Element of logique, Vol II" (voir illustration). Il s'agit d'un cercle divisé en quatre parts. A gauche, il y a des traits verticaux, A, à droite, il n'y a aucun trait verticaux, N. La part supérieur ne comporte aucun trait oblique, P, la part inférieur contient des traits obliques, U.
Voilà de quoi inscrire un jugement dont celui qui consiste à dire que, en haut à gauche, UA, tout trait est vertical. Ce que Peirce observe, c'est en haut à droite, il n'y a aucun trait, ce qui est équivalent à dire que là aussi, tout est trait est vertical. Voilà ce qui intéresse Lacan.
L'universelle est un pur énoncé de discours, il est vrai quand bien même la zone est vide, la zone vide est valable pour l'universelle A et N. Et il opère un renversement logique dont la logique contemporaine peine à prendre la mesure. Pour Aristote l'universelle U prime sur P. C'est le primat de l'universelle. Mais pas chez Lacan. Pour lui, UA énonce une essence qui n'est qu'un pur énoncé de discours, essentiellement logique.
La logique relève d'énoncé de discours, et pas seulement d’écriture. Les énoncés de discours relève de la lexis, le discours déclaratif, le discours sur le discours, que l'on trouve déjà chez Aristote. C'est de l'ordre de la déclaration, ce qu'on énonce, c'est un acte d'énonciation quand on dit UA.
A l'origine de la logique, le sujet est présent, non forclos, pour énoncé ce qu'il y a à déclarer. Lacan dit qu'il en découle. La logique est la science du réel car elle procède d'un dire (mais pas seulement) qui fait de ces énoncés, des énoncés de discours. Le vif du sujet est celui-ci : Comment Lacan interprète UA et PN et que reste-t-il de la contradiction UA et PN ?
Il interprète cette écriture en la formalisant à partir de la logique contemporaine, à partir de Frege et de Sen(?). La contradiction n'est plus une contradiction mais relation de structure
Pour interpréter, il formalise avec cette introduction qui est de l'ordre de l'invention contemporaine, soit un formalisme de quanteur, pour tout x, pas tout x, la barrière de x comme rapport quantitatif à la barrière du x.
Les quanteurs, issus de Frege, Russel, Mathieu, jouent du prédicat dans leur rapport aux fonctions. Pour rappel, dans l'assertion "tout homme est blanc", le terme "tout" est le sujet, "blanc" est le prédicat, "est" est la copule. Avec Frege, etc, est blanc une fonction, la propriété de x est d'avoir comme image f(x) tel que Tous x - f(x). Le prédicat est f(x).
En mathématique, f(x) a ce sens : une fonction numérique de la variable x. Par exemple, f(x)=x2.
Mais dans notre domaine, ce n'est pas cela, ici, pour nous, le prédicat remplace la fonction.
Question : Est-ce que la propriété est satisfaite ou non ? Si nous pouvons dire que si cela est vrai pour f(x) ou faux alors la fonction dépend de x, c'est une variable de vérité.
Avec le mathème de la sexuation, Lacan part de là, sauf que cette fonction est, pour la psychanalyse qui est le champ auquel il se cantonne, cette fonction est la fonction phallique, grand phi de x, qui est précisément, d'abord, un fait de discours. Voir les Noms du père. C'est à dire le fait du discours plus un qui supplée au défaut du rapport sexuel, qui vient à la place, parce qu'il n'y en a pas. Donc cette fonction a un sens sexuel, de grand phi de x, de cette fonction vient ce qui détermine le sens sexuel.
A la fin du séminaire sur les Non Dupes Errent, il évoque la jouissance la jouissance phallique. Le "Il existe x, phi de x" c'est la castration, potentiellement pour tout sujet en relevant. Mais tous sujet n'en relève pas de la castration. C'est de la fonction grand phi que relève l'idée de tout, ce n’est pas du x que vient le fait de la castration, mais de tout x vient le fait de la castration. Cette fonction porte en elle les ressort de la logique car c'est de cette proposition que découle l'universelle.
En quoi consiste la fonction phi ? Dans un rapport avec l'organe, bien sur, mais aussi dans la présence/absence. Mais est-ce une image en miroir ? Non.
Quelle est sa fonction par rapport aux autres signifiants ? Attention : grand phi de x n'est pas "petit phi de x". Grand phi est la signification propre au manque autour de quoi tourne la chaine signifiante. Ou encore, sa position tient plus au rapport par quoi on saisit plus l'absence de son objet que sa présence.
Qu'est-ce que la "signification du phallus" ? La castration est la jouissance interdite du fait de la mise en place du manque, du trou autour duquel la parole et le désir s'articule.
Qu'il existe un x soumis à phi n'est pas une écriture formelle à écrire et puis basta ! Elle suppose un dire, l'opération d'une énonciation pour son déploiement sémantique.
Qu'il existe un x soumis à phi pose un universel, U, en relation avec la jouissance et c'est en ce sens que la logique est une science du réel car elle permet au sujet d'écrire, d'écrire sa propre inscription dans la jouissance qui fait repère pour, dans, la jouissance phallique.
Le côté gauche du schéma de la sexuation, le côté des écritures qui concerne la sexuation masculine impose des guillemets car rien n'est aussi tranché.
La logique, dans son rapport à la jouissance n'est plus celle d'Aristote; Ici, elle vaut comme interprétation de la logique d'Aristote, elle nous dit qu’UA relève de Phi de x et jouissance de phi, à l'origine de tout, c'est à dire de l'origine de l'idée de totalité.
Elle nous avertit du caractère singulier de cette jouissance dans ses effets logiques, Elle nous alerte sur la dimension, dit-mension, peut-être partielle, de ses effets. La totalité, "pour tout x, phi de x" a des à côtés, elle n'est pas fermée sur elle-même, et le cas échéant, elle suppose quand même qu'il y ait autre chose.qui ne se résume pas seulement à la relation du sujet au discours.
Pour Aristote, la totalité triomphante est souveraine, c'est La logique. Du point de vue de la formalisation, la totalité est ce qui peut-être ce quelque chose grâce auquel, peut-être, il est possible de penser autre chose.
Lacan ne présente plus UA que relativement à autre chose et notamment PN qui n'est plus contradictoire à travers la notion de "existence".

Comment aborder ceci en logicien: Il existe au moins un x qui nie phi de x, qui n'est pas soumis à la castration. Comment l'interpréter en logique ?
Comment l'aborder en logicien ? Il existe au moins un x qui nie phi de x, qui n'est pas soumis à la castration. Comment l'interpréter en logique ? Cela fait référence aux travaux de Gödel qui démontre qu'il y a au moins une proposition du système, d'un système logique, qui n'est pas démontrée dans le système. Cela fait référence au sein de tout système logique, la place d'une exception au système, non démontrable dans le système. C'est PN, il existe au moins un x qui nie phi de x, qui nie la castration.
Quelle interprétation sémantique ? Ce au moins un qui nie la castration, c'est qui ? Lacan le retrouve dans Aristote. L'élément hors du système et déterminant, c'est le premier moteur, figure du divin, exception qui détermine tout le reste, dimension de toute puissante, déterminante pour Aristote et à sa suite Saint Thomas, etc.
Freud reprend ce trait dans "Totem et tabou", où le père de la horde est celui à qui tout est permis, x qui n'est pas soumis à phi de x. Il se fait zigouiller par ses fils et de la culpabilité qui succède au meurtre originel s'origine les interdits moraux et sociaux, soit la civilisation. Au regard de Freud, il y a donc une explication simple des mathèmes : phi concerne tous, au moins un excepté, PN, le père mort.
Il existe x qui nie phi de x. Que quelques hommes ne soient pas blancs, que quelques uns nient la fonction blanc, pour Lacan, le sens est ici sexuel. Le procès logique est déplacé. Pourquoi ? Envisageons deux manières de l'interpréter.
En mettant en évidence, en Lacanien, le père mort ou le père symbolique. Ce au moins un permet, du fait de l'exception, de faire tenir le lien social. Voir Jean Pierre Lebrun : Pas de lien social et institutionnel sinon de cette fonction d'exception.

Je ne fais pas mienne cette théorie mais il la tient comme telle par la fonction de direction du au moins un hors castration, nécessaire pour que quelque chose puisse tenir dans l'institution. Ma petite objection, qui rejoint mon dernier séminaire est que si on considère l'un, qui n'est pas l'au moins un, est un "un" troué qui porte la dimension du manque et à l'intérieur du noeud borroméen, les deux autres "un" troué ont la même valeur, l'un ne vaut pas plus que l'autre. Dés lors, ne doit-on pas considérer que le noeud borroméen introduit, par rapport au "au moins un", un déplacement tel que ce qui est interrogé, c'est la dimension d'exception, car dans le noeud borroméen, ils sont tous exceptionnel. Alors que serait un lien social fondé sur "tous exceptionnel" ou au moins un exceptionnel ? Voilà ma timide objection.

Il y a une autre manière, plus clinique d'interpréter le au moins un. Voir Charles Melman, l'au moins une, avec sa charge sexuelle. Au moins une non soumise à la castration qui possède une certaine forme de pérennité comme dans certaines formes d'hystéries à la subjectivité toute puissante et hors castration. Ce n’est pas si rare. Cela indique qu'elles peuvent tenir cette place qui fascine par sa sauvagerie et ce ton de liberté sans limite, caractéristique de cette toute puissance.
Dans cette référence faite à l'exception qui confirme la règle, la Diva, sur le versant de la clinique, il y a le risque d'un oubli de ce qui est essentiel dans l'enseignement de Lacan autour de la fonction phi de x, la fonction de ce qui fait trou, manque. Moi, j'ai toujours un peu de réticence à l'apologie de l'au moins un.
Est-ce que ces remarques suffisent pour distinguer Lacan et Aristote ? Le dernier pas déterminant est d'avoir, au-delà de l'universelle U d'Aristote, d'avoir considérer possible une barre de négation sur le quantum du tout. Et cela, la logique classique n'y aurait pas pensé. Pas tout x est phi de x. Quand bien même cela se trouve chez Aristote sous la forme du "ou pas", pour Descartes, ça ne tient pas, c'est inconsistant logiquement, il ne peut l'intégrer dans son raisonnement logique.
Comment entendre ce coup de force théorique ? Ce que Lacan montre, c'est que le rapport à l'universelle, énoncé de discours, dépend de phi de x, qu'il y a donc un rapport étroit avec la fonction du sujet. En écrivant "pas tout", il écrit la fonction phi en rapport avec quelques éléments et aussi que quelques éléments n'en relèvent pas. Il s'agit ici, non de sujets, mais du champ de la jouissance phallique pour un certain nombre de x, soit un champ qui échappe à la prise de U. Voilà comment il caractérise la position féminine.
Quand est-il de ce champ ? "Les femmes ne peuvent rien en dire». Lacan, avec cette assertion évoque l'in-substance, substance qui n'est autre que le sujet et le champ de la fonction phallique. Pour entendre logiquement l'in-substance, il faut insister sur l'inexistence. Il n'existe pas quelque chose qui ne fait référence à un "un", qui déborde la question du un qui n'a comme contour que le réel lui-même.
Lacan fait référence à Sainte Thérèse, dans la mystique de laquelle n'existe aucun sujet mais une référence au réel, où vient se dissoudre ce qui subsiste de subjectivité. Lacan met en évidence l'inexistence dans la logique, on parle souvent du pas-tout mais on oublie qu'il y a aussi l'inexistence en logique qui permet de se tenir à distance de la jouissance phallique et, donc, de se soutenir du pas-tout.

Conclusion ? Le déplacement opéré par Lacan concerne la logique qui, pendant des siècles, a été abusivement fondée sur l'universel soit les essences. Lacan rappelle opportunément que le titre originel de l'ouvrage d'Aristote est Organon. L'entrée en fonction de phi avec U ne signifie pas le primat de U mais par définition, ce qui n'en relève pas. Il s'appuie sur l'exception et sur cette dimension qui la déborde, la dimension de l'inexistence qu'Aristote ne voit pas, dépendant qu'il est du primat de l'universelle. Dans son schéma en intention, U n'est pas questionné. Dans le noeud borroméen, un réel échappe à U qui est, dés lors, questionné. Pas-tout veut dire que quelque chose échappe. Bien entendu, cela n'a de sens au départ qu'en matière de sexuation mais cela fait retour dans la science par l'élaboration d'une logique des classes.
Par la logique, l'accès à un réel est possible, déterminé par phi, d'une part, mais qui y échappe, d'autre part, ce qui légitime que la logique, telle que Lacan la conçoit, est la science du réel.
Hypothese non fingo. C'est l'écriture qui permet la théorie de la gravitation. L'invention d'une écriture est invention du réel. La jouissance phallique et la jouissance autre est une invention du réel du fait de son écriture. Est-ce qu'elles existaient avant ? Ben oui, voyez Sainte Thérèse. Mais il n'y a pas d'autre monde, c'est l'écriture qui fait le réel.

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