22 octobre 2011

Claude LANDMAN 03102011 Symptôme et signifiant

LANDMAN 03 10 2011 Symptôme et signifiant
Dans le texte de 1957, "L'instance de la lettre ...", Lacan identifie strictement le mécanisme par lequel se détermine le symptôme névrotique au mécanisme à l'œuvre dans la métaphore. Seule la métaphore permet, selon Lacan, de rendre compte de la condition que Freud exige comme nécessaire pour que se constitue le symptôme au sens de la psychanalyse : la surdétermination.

La surdétermination est le fait d'élément mnésique refoulé, employant inconsciemment des situations actuels avec pour fonction de modeler le vécu sur un mode symptomatique. Exemple clinique de cette surdétermination du symptôme ? La jeune Emma.
Dans l'Esquisse, au paragraphe intitulé "Le proton pseudo hystérique", le premier mensonge, premier au sens historique. La jeune Emma est sous la contrainte de ne pouvoir aller seule au magasin. Elle en a la phobie, la phobie est son symptôme. Pour se justifier, elle évoque un souvenir. Elle avait 11 ans, après la puberté, elle faisait des courses et vit deux commis qui riaient. Saisie d'effroi, elle prit la fuite. Elle pensait qu'ils riaient de sa robe mais l'un des deux lui plaisait sexuellement. La relation entre ces deux éléments reste incompréhensible à ses yeux et les souvenirs n'explique ni la contrainte ni la détermination du symptôme.
Or, un deuxième souvenir vient informer le premier. Elle a 8 ans, elle va seule au magasin de bonbons et le patron lui agrippe le sexe à travers ses vêtements. Elle y retourne cependant une deuxième et dernière fois. Elle se reproche d'avoir voulu le provoquer.
Le vécu actuel peut ramener cet état d'oppression. Mais s'il y a bien deux souvenirs, nous avons besoin d'une liaison associative. C'est la jeune fille qui le donnera : le rire des commis rappelle le rictus de l'épicier.
Reconstruction de l'épisode : Dans le magasin, les deux commis rient. Ce rire réveille le souvenir de l'épicier. Elle est seule dans les deux cas. A 8 ans, c'est à travers les vêtements que le patron la touche, mais devenue pubère, elle a peur de répéter-provoquer cet attouchement par les commis et elle prend la fuite.
La relation antérieure privilégiée avec l'épicier est refoulée et, utilisées inconsciemment, les situations actuelles ont pour effet de modeler le vécu sur un mode symptomatique.
Effroi - Fuite - Phobie.
C'est par cette surdétermination du symptôme au sens freudien que Lacan identifie la mécanique de cette figure connue : la métaphore. Qu'est-ce qu'une métaphore ? Il est difficile de la définir car il y a deux conceptions différentes qui l'abordent.
Il ya une conception freudienne, fondée sur la référence au signifiant et sa matérialité, la lettre soit la manière dont le signifiant se dépose. L'écriture est un effet du langage, la lettre, un effet du signifiant. On trouve cela implicitement chez Freud, la référence au signifiant et à ses permutations devient explicite grâce à la linguistique structurale de F. De Saussure.
Pour Lacan, Freud anticipe cette linguistique et en conditionne l'émergence. Sans Freud, pas de linguistique structurale mais ce n'est qu'après coup, avec l'avènement de Saussure, que pourra être repérée la référence freudienne au signifiant. La linguistique au sens moderne trouve un prolongement prenant appui sur Lacan, c'est Jacobson et la conception de la métaphore fondée sur la référence au signifiant. Avec cette notion de signifiant, on pourra extraire la mécanique pour produire la métaphore.
Une autre conception, non fondée sur le signifiant et ses permutations, mais sur le signifié est une conception préfreudienne et, même, préscientifique car elle ne tient pas compte de l'avènement du sujet de la science qui date de Galilée et Descartes. Cette conception définit la métaphore comme une comparaison, voir une comparaison abrégée soit toute entière dans la signification. Jean est un lion veut dire que Jean est aussi brave qu'un lion.
Mais voici un autre exemple : "Booz endormis" de Victor Hugo, poème à la fois biblique (Ruth) et virgilien (la féconde paternel). "Sa gerbe n'était ni avare ni haineuse" et s'il croise quelques pauvres glaneuses, il laissera tomber quelques épis.
Si la métaphore est fondée sur le signifié, alors la comparaison latente, la traduction pourrait être que de même générosité que les graines, Booz n'était pas avare. Peut-on s'en satisfaire ? Se satisfaire de deux signifiés qui produisent comme une étincelle entre deux images. Ne peut-on pas reconnaitre l'éclair qui donne accès à la signification par la métaphore et la métonymie. Il y a bien transfert de signifié, oui, comme en étymologie, mais aussi transfert d'un signifiant à un autre qui prend sa place dans la chaine signifiante.
Booz - Gerbe - Ni avare
Ce dernier attribut se transfert à sa gerbe; Le signifiant se substitue à l'autre, Gerbe - Booz, et c'est là qu'étincelle de la signification. L'effet de sens produit dans le non sens, lui-même produit par la métaphore. Enigme ?
Dans le vers de Hugo, il ne jaillit aucune lumière du mot gerbe et du mot haineuse, leur association est un non sens et ne comporte aucune nécessité de les accorder. L'association de gerbe et de haineuse est un non sens mais un non sens qui crée la métaphore. Il y a un mérite ou un démérite lié à ces attributs, l'un et l'autre propriété de Booz parce qu'il agit avec la gerbe et non pas la gerbe elle-même qui n'est ni avare ni haineuse. Ce n'est pas Booz mais elle vient à sa place. Sans lui faire part de ses sentiments, à la gerbe, il lui demande pas son avis pour distribuer des grains. Attribuer à la gerbe ce qu'elle ne pourrait posséder est un non sens qui produit un effet de sens car la gerbe vient à la place de Booz dans la chaine signifiante poétique.

Pour aller plus loin dans le mécanisme de la métaphore comme relevant du seul régime du signifiant et de ses lois, qui est aussi à l'œuvre dans le symptôme, au sens psychanalytique, il faut revenir à l'algorithme qui fonde, en référence au sujet de la science, le moment constituant de la linguistique moderne, S/s.
Il se lit "signifiant sur signifié", le "sur" répond à la barre qui sépare les deux états. La thématique de cette science est suspendue à la position primordiale du S et du s comme séparé radicalement par une barrière. C'est là ce qui rend possible la lecture exacte des liaisons propres au signifiant, indépendamment du signifié, liaisons qui vont engendrer la signification, liaisons dont il faut mesurer l'ampleur de leur fonction dans la genèse du signifié.

S/s est une écriture, littéralement sans signification en elle-même, dont le jeu est fonction du signifiant indépendamment de la signification, ce qui est conséquent avec ce qu'évoque Lacan.
En revanche, elle est à lire, ce sont des lettres. Elles sont à lire, c'est à dire à interpréter soit donner signification car elles n'en n'ont aucune par elles-même.
La métaphore est déterminée de cet algorithme qui, en conséquence, doit aussi être interpréter.
Dans la formule S/s, la barre entre S et s signe la préémminence du S sur s. Sur, dessus, c'est écrit et il faut le lire Grand S "sur" petit s. C'est plus qu'un trait de fraction, comme 5/3, 5 sur 3. Ce trait de séparation est à lire comme une barre résistante à la signification, une barrière.
La barre est cette distinction radicale entre deux ordres, le signifiant et le signifié, qui témoigne qu'il n'existe pas, dans le langage et sa pratique, contrairement à une approche nominaliste, il n'existe pas de correspondance biunivoque entre le mot et la chose. Pas plus que par ailleurs entre les hommes et les femmes. Sa représentation, son idée, entre les mots, l'idée de la chose, la représentation de la chose, donc le signifiant, n'a pas la fonction d'être le représentant du signifié. Le mot cheval, pour nommer un cheval, est-il le représentant du cheval ? Non si S/s.
De la correspondance biunivoque des représentations dans le champ signifiant, Lacan en fait l'éclatante démonstration en reprenant un schéma fautif de De Saussure, censé représenter le rapport du signifiant au signifié, dont ses élèves ont admis par amour, les contresens du "Cours de linguistique générales". Il représente le mot "arbre" dessus une barre sous laquelle un dessin d'arbre.
Au signifiant "arbre" correspond son signifié, l'idée de l'arbre représentée par le dessin d'un arbre générique quelconque. Ce que Lacan réfute, de manière époustouflante, dans un style congruent avec la démonstration. C'est ainsi qu'il reprend le mot "arbre", non dans son isolation nominal mais au terme d'une de ses ponctuation. Il fait référence au fait que, si la chaîne signifiante est linéaire, comme le dit Saussure car le discours prononcé l'est d'une seule voix et orienté, comme l'écriture, dans le temps horizontal et linéaire de la chaîne signifiante, si cela est vrai, il faut surtout, selon Lacan, garder à l'entendement que cette chaîne est à lire comme une partition à plusieurs portées comme dans la polyphonie de la poésie où l'on y entend plusieurs voix.
Chaque unité de la chaîne signifiante est comme un point sur quoi s'appuie la verticale de la contestation du locuteur pour manifester ce qui, de son contexte, se trouve attesté.
Ainsi "voile" de bateau, de mariée, de veuve ou le voile des illusions, etc... Chaque mot est une ponctuation, dans cette linéarité, qui renvoie au contexte du locuteur. C'est ce qui fait la richesse du langage, voilà pourquoi la linéarité est insuffisante. Et bien que la topologie ira un jour plus loin, il y a déjà là un dépassement.
Nous verrons que ce n'est pas le seul à la faveur du fait que le mot "arbre", dans le style de Lacan, franchit la barre de multiple façon. Quelle importance que "arbre" soit l'anagramme de "barre" si ce n'est de ce que cet anagramme est une production qui engendre de la signification, qui franchit la barre.
Lacan, avec arbre et barre, aborde comment "arbre" franchit la barre pour signifier quelque chose. Mais il convient pour le lire de noter que ces modalités selon lesquels "arbre" franchit la barre, sont strictement interne à la logique du signifiant, à ses permutations avec d'autres signifiants ou à ses modifications internes. Lacan s'engage à partir du maximum possible de jeu que le mot arbre permet. De même avec le mot barre. Lorsqu'il "décompose des voyelles et des consonnes", l'arbre appelle leur robre (b, r), un chêne très dur, et le platane (a, e), et des significations dont ils chargent de leur flou la force et la majesté, drainant la Bible, il dresse l'arbre comme l'ombre de la croix, qui est à entendre comme écriture littérale, puis le réduit à l'y majuscule qui, peut-être, est la marque du signifiant "arbre" qui s'en émerge.
Tout généalogique, pas de généalogie sans Y. L'arbre est circulatoire, fait de diagramme, conducteur de la foudre. Il se retrouve dans l'écaille de tortue soumise au flamme, allusion aux idéogrammes chinois. Où l'éclair, est-ce une évocation de l'arbre ? fait référence à Héraclite "C'est comme un éclair !" qui fait surgir de la nuit cette mutation de l'être dans l'en-tout, l'un qui est tout, oxymore.
Et les références à Valéry, au platane de "Charmes", ces vers au non dit de l'arbre "dans l'étincellement de sa tête superbe" à entendre comme le rêve que la tempête traite universellement comme d'une herbe.

Après avoir insisté sur le jeu de la lettre interne au signifiant dans la genèse du signifié, de la signification,Lacan va reprendre de même mais pour le jeu, la voie des permutations, la modalité de connexion, le mot à mot, pars pro toto, de la métonymie. Exemple : Trente voiles pour trente bateaux, connexion de signifiant à signifiant. Soit la métonymie, connexion, soit la substitution, un mot pour un autre, la métaphore.

La métaphore est du plus grand intérêt, nous le verrons, pour rendre compte de la structure du symptôme de la névrose mais il convient de ne pas ignorer que ces deux modalités, connexion et substitution, renvoient aux deux pôles du langage de Jakcobson.
La diachronie, qui concerne la syntaxe, où s'origine de la contiguïté signifiante un ordre ou chaque signifiant est en contact avec les autres signifiants. Comme par exemple entre le sujet et l'attribut.
La synchronie, issue du stock lexicale, liée à la similarité signifiante qui permet la substitution d'un signifiant à un autre signifiant pour produire une métaphore.
Dans un cas, un signifiant se substitue et dans l'autre cas, un signifiant vient "à la place" d'un autre. Ce qu'il faut noter est que la métonymie est une condition de la production signifiante car elle donne le lieu, positionnel, du sujet, de l'attribut, etc. Alors que le procès de la métaphore est "substitution", elle dépend du "à la place de" de la métonymie. Sans la distinction entre le sujet et l'attribut, sans cette place préalable dans la chaîne signifiante, la métaphore est impossible. La condition de la substitution est que les places soit déjà établies, qu'il y aie déjà du lieu positionnel. Le pôle de la contiguïté signifiante est la condition de l'émergence de la signification.
Qu'un chien fasse miaou fait rire précisément d'entendre que la langue est faite pour dire autre chose que ce qu'elle dit, ce qui constitue la richesse et le prix du maniement de la langue.
Merci.

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