4 octobre 2011

Charles MELMAN 29092011 Savoir et méconnaissance

La distinction entre savoir et connaissance est essentiel. Un exemple instructif fut cette journée, samedi dernier, sur la famille organisée à la Sorbonne. Cette journée était pas habitée par le renouvellement du thème, son enrichissement, il y avait peu de notions historiques, etc. Elle était essentiellement concernée par ce qui était un savoir qui était là exposé, celui-ci adressé directement du savoir de l'auditoire. Un déficit des connaissances, donc, et la richesse des savoirs. Une éminente sociologue, riche en connaissance, Irène Théry, lors d'une intervention, contestait que la loi n'autorise pas l'enfant à connaître le donateur ou la donatrice en cas de PMA, procréation médicalement assistée. Il y aurait lieu d'un débat autour des exigences et des plaintes que les démocraties devraient reconnaître et au sujet duquel elles accusent un retard. Il y aurait lieu d'admettre des éléments de contestation, de politique qui devraient, pourquoi pas, déboucher sur une question au parlement qui bientôt, n'en doutons pas, devra trancher. Qu'est-ce qui est en jeu dans cet affaire ? Quel est son intérêt ?
La question est pertinente et d'autant plus que l'auditoire, composé notamment de psychanalyste, accueille cette requête le plus favorablement qu'on puisse espérer. C'était le but de I. Théry. Mais constatons que si on interroge individuellement, si on demande à chacun pourquoi, alors plus personne ne sait. Comme si l'accord était obtenu du fait que cette sociologue soit intéressante, qu'elle parle d'autorité et que ses propos ont une certaine épaisseur, qu'elle dit des choses nouvelles, etc. Comme si des arguments faibles suffisaient devant des enjeux faibles. Ni la culture, ni la république ne sont en danger.
Ces réflexion étaient entièrement fondées sur le savoir. On est pour sans savoir pourquoi. Pas besoin de savoir de quoi il s'agit, on sait que c'est bien. Dans ce temple de la connaissance, elle se retrouve négligée au profit de l'empathie, du savoir. Pourquoi cette adhésion d'un public à priori informé ?
Donner le nom du donateur fixe que le patronyme, ici causateur, apte à donner la substance nécessaire, ce patronyme est détaché de la filiation pour se réduire à l'agent d'une reproduction asexuée. Cet agent, du patronyme, il n'en veut pas. Il peut éventuellement être tiraillé par différent raisonnement mais il s'abstient de la paternité, affranchis de la charge parentale. Il s'agit de l'introduction sur un marché d'un nom propre dont l'usage est, non de castration, mais littéralement châtré, réduit juste à la production de substance. Donner un nom propre pour désigner la paternité réel, d'une part, mais d'autre part, dégagée de toute responsabilité, c'est désavoué celui que l'enfant pouvait prendre pour son père. Il y en a un autre et cela valide un fantasme ordinaire d'avoir enfin de vrais parents, qui ne contraignent pas, dans un mouvement qui vient détacher l'enfant du couple qui l'a élevé et dont il n'en serait pas.
Il y a donc assimilation du donneur à une position idéale de mère réelle biologique, détachée de ses contingences anciennes que constituent les conditions des charges de la filiation. A mère biologique, père biologique.
Pas de méprise sur mes propos, il ne s'agit pas là de critique. Leur objet est de vérifier de quelle façon et à quelles conditions s'obtient une adhésion sur un thème banal et montrer que le savoir peut impliquer des adhésions collectives de masse. Des masses bien à l'abri, protégée du non sens. J'ai choisi cet exemple car c'est une illustration très contemporaine pour reprendre le fil de mes propos sur la question du rapport entre savoir et connaissance. Et puis rappeler Aristote. "Rien n'est d'esprit qui ne se fait d'abord des sens"
Si j'ai quelque chose à connaître, je l'ai d'abord déjà dans mon rapport, non dans l’environnement mais, de ce que les sens peuvent en percevoir. Cette assertion est essentiel car elle contrevient à son maître, Platon, pour qui au contraire c'est dans le domaine des idées que s'organise notre perception du monde. Et dans la lignée de Socrate, ce n'est pas la connaissance de soi-même mais c'est dans les idées que se trouvent les instruments aptes à déchiffrer le monde. Le Ménon est une habile interrogation qui montre que l'esclave savait. Sans la connaissance pour doubler la surface du carré, Socrate montre que l'esclave en a le savoir et, du fait qu'il en soit porteur de ce savoir, il suffit de l'y faire accéder pour qu'il se dévoile. Notons ce ci que le terme de "théorie" est étymologiquement porteur d'ambiguïté car il concerne d'abord ce qui en est de la vision.
Donc, il y a un dilemme. Avec l'idée que quelque chose s'acquiert par l'expérience, essais, erreurs et corrections, ou à priori dépassé, en chacun, se détermine la méthode destinée à éveiller l'enfant d'abord à ce qui est en lui. Dans l'éducation nationale, le débat n'est pas tranché, la querelle reste active. Remarquons directement qu'une certaine façon de poser la question qui suppose un espace organisé par le dedans et le dehors, suppose un corps, quel qu'il soit, plongé dans un milieu. C'est un préalable rarement examiné pourtant il y a ce premier étonnement qui, de cette distribution, relève d'un processus qui tient à la dimension de l'imaginaire, et qui découpe l'espace en un cercle représentatif d'un corps plongé dans son extérieur. Ce rapport du corps à l'extérieur est impossible à évacuer car il consiste en mode de relation, essentiel, à son entourage.
Cette solitude de l'organisme, dans un environnement mesuré, dans ses versions amicales ou hostiles, dans la sensitivité d'un état persécutif, ce mode d'appréhension est très répandu. Répandu en tant que vécu et cela, nous ne pouvons l'évacuer sous prétexte qu'elle est imaginaire. Ce corps, comme un cercle ouvert par quelques orifices spécifiés voués aux échanges avec un environnement constamment contrôlé, joue dans notre rapport avec ce qu'on appelle le monde.
Ici, il y a un pas essentiel dont je ne sais s'il a été clairement franchi. Cet environnement auquel l'organisme se trouve confronté, pour le petit comme pour le grand, il n'est jamais neutre. C'est tout différent que de l'envisager sous l'angle amicale ou hostile. Il n'est jamais neutre car il est habité. Par quoi ? Par des présences, divines ou pas, une ou plurielles, mais présences dont il faut gagner la bienveillance, car elles pourraient être hostiles, d'où le sacrifice qui établit le lien avec ces volontés qu'il faut consulter sur ce qu'il y a lieu de faire.
Cet esprit rationaliste dans l'histoire risquait le sort d'une bataille dans les entrailles de quelques volatiles. Ils risquaient une bataille en fonction des auspices. Ce qui est habité d'un savoir met en demeure de le déchiffrer, déchiffrage infini, qui concerne le livre de la nature ou un texte fondateur. Je veux mettre en avant qu'il n'y a pas lieu d'un rapport naïf avec l'environnement qui se présente avant tout comme un artefact. Cet artefact est issu de ce qui le distingue de celui qui l'interroge, à savoir un lien électif, car la question est toujours construite dans la langue du destinataire. Une langue étrangère, de ce point de vue, rempli les conditions de la présence d'un envahisseur qui rompt le lien spécifié de cet autre ainsi que les conditions de la psychose.
Nous sommes toujours dans l'idée que nous tenons pour valide ces évidences qui n'ont jamais été établies. Par exemple, Newton, qui déchiffre la présence de ce savoir, mathématisable, suppose un dieu organisateur. L'actualité amusante, nous montre que les efforts d'Einstein pour relativiser la position de l'observateur en fonction de sa vitesse propre, contre Newton qui tenait au savoir absolu, mais qui nonobstant tenait la lumière comme limite à ce savoir. Or, récemment, cette limite vient d'être attaquée. Amusant. La relativité relativisée. L'atome est parti avant le top de l'expérimentateur. Ou il y en a un qui est arrivé avant les autres. Le savoir
inexpugnable de la représentation de l'univers est relativisé.
Si nous devons faire l'école buissonnière, autant que ce soit avec Sophie. Et pourquoi pas ne rien apprendre qui ne vienne du déchiffrage de la nature bienveillante, pour qui la sexualité n'est pas cette méchanceté des hommes mais, au contraire, une organisation par la douceur de la nature. Mais s'il y a dans l'environnement, un savoir, comment le qualifier sachant qu'il est non identique à l'individu. Il s'agit bien d'un lieu, oui, mais énigmatique. Il n'est pas étrange, il ne relève pas d'un père étranger. Il n'est ni identique, ni étranger, alors qu'est-ce ? Tout simplement, il est autre.
La question est de savoir d'où provient chez chacun cette foi, j'y crois à l'existence autre. Et comment ce savoir vient-il à informer la connaissance ?
Ici, je voudrais ouvrir quelques chemins en évoquant quelques manifestations cliniques. Comment dans un entretien, ou dans une séance, comment se manifeste ce savoir, comment parvient-il à la connaissance et quels sont les effets de la connaissance sur le savoir ?
On parle avec trop de légèreté de la vertu curative de l'interprétation. J'interprète et hop ! le symptôme prend la fuite. Il y a une énigme car, tel quel, ça ne peut pas marcher. Mais si ça marche ? Pourquoi ? Le rapport entre le savoir et la connaissance est animé par un enjeu, et pas seulement pour la Sorbonne, qui est la question de la manière d'aborder, de l'abord du symptôme.

J'ai reçu un patient qui, pour se protéger pendant la guerre, de l'âge de 4 à 8 ans, avait vécu enfermé dans une cave, sans jamais voir le jour. Un cave de 10m² , creusée sous une table dans une petite ferme au fond des bois. Confiné avec sa mère, une autre femme et un neveu, plus âgé. Son père avait été déporté pour résistance dans un camp de concentration.
Au cours d'une séance, il évoque le souvenir d'une maison close, dans l'entassement proxénète du corps des femmes. Il évoque également les seuls trois livres, écrits en allemand, qu'il lu et relu tant qu'il en apprit l'allemand.
Il vécu complètement en dehors de la question du père pour la mère. Il s'agissait d'oublier jusqu'à ses origines dans l'éventualité où ils seraient découverts et torturés. Ce danger qui menaçait imposait aussi de ne jamais montrer son sexe sous peine d'en révéler la circoncision.
Une séance suivante, il proclama : Aujourd'hui, j'ai rien dans les mains ! Il sous-entendait qu'il n'avait rien à dire. Comme il tripotait un kleenex, je lui fit remarquer que, si fait, il avait un mouchoir. Ah oui, rétorqua-t-il, un peu de cellulose !
Cette cellule close était-elle la ferme isolée ou celle qui était enfermée avec lui ? La période de latence chez lui, déterminée par ce séjour, ne laisse aucune trace, bien qu'il dise qu'il était en permanence collé à sa mère.
De ce jeu de lettres, il s'obtint une structure en réseau associatif, nouant des thèmes disparates, rassemblés dans un espace clos. Où est-ce que ça mène, pour lui, et pour nous ?
A ceci que nous donne son assertion " Je n'ai rien dans les mains" qui permet de lire qu'effectivement, lorsqu'il sort à la libération, son père est revenu, il découvre un homme qu'il avait oublié et qui, à lui qui n'avait rien pour oser quelque chose vers sa mère, brutalement, le prive de sa mère.
Un symptôme qu'il éprouvait de manière vive était le sentiment d'être à nu, déshabillé. Ce genre de réseau associatif parait difluent mais il est orienté, clos mais il ne part pas dans toutes les directions.
Qu'aurait-il pu tenir dans les mains ? Son père, à son retour, a été très sensible à ce dont il pouvait tenir. Il a notamment veillé à soutenir sa sexualité dans des maisons closes.
Il y a manifestation d'un savoir : Il n'a rien. Il n'a rien entre les mains. Et que cela vienne à sa connaissance lui permit de se sentir un peu moins déshabiller.

Autre exemple. Une dame, lors d'une séance, me dit : Je ne veux pas pinailler sur le détail. Or, cette dame très courageuse, a un métier qui justement réclame beaucoup de minutie et il y a une tension entre "le" et "les" détails. C'est le genre de détail qui arrête l'oreille d'un psychanalyste d'autant qu'elle est sculpteur, elle taille des pierres très dures, du granit gris. C'est un vrai calvaire. Enfin. La taille, ça l'a connaît.
Cette femme frêle mais qui trouve la force, m'offre une sculpture en pierre très dure qui représente un pénis en ronde-bosse de grande taille. C'est que pour ce qui s'agit du lien, pour elle, cet instrument est essentiel.
Une de ses préoccupations majeurs était qu'elle se sentait rejetée, à l'écart. Ce n'était jamais l'heure du lien. Mais le plus insupportable, c'était l'entaille. L'entaille à laquelle elle s’exerçait le jour durant. L'entaille d'où tout surgit mais qui est insupportable.
Il y a dans la phrase de son assertion la manifestation d'un savoir qu'elle va entendre. Mais comment ? Une fois que tu sais, qu'est-ce que ça change ? Ça change, oui, mais comment et pourquoi ?

Dans ma troisième histoire, une patiente formule simplement la devise de son existence plaintive et douloureuse : Je suis née un jour de neige. Qu'est-ce que ça fait de l'entendre ?
Quand Lacan intitule son séminaire "Les non dupes errent", thème de notre travail l'an dernier, il témoigne du fait que le savoir infiltre directement notre connaissance. Si je m'arrête à ce "un peu de cellulose", je reste dans la méconnaissance absolue. Cela implique que la connaissance n'est pas séparable du mé-savoir qui l'infiltre. Les non dupes de ce savoir, ils errent.
Être dupe n'est pas être trompé, selon la confusion bien connue en psychopathologie. Il me revient à l'esprit les anagrammes de De Saussure. C'est au déchiffrage d'une formule qu'il faut spécialement s'attacher pour une lecture seconde.

La mesure de ce qui est ici en cause de la connaissance, déterminée dans le traitement du savoir, est justement que savoir et connaissance ne sont que méconnaissance, sous l'influence du moi.
L'insuccès de l'une bévue sait l'amour. L'insu, non détachable du savoir, l'insu que sait. L'une bévue est la traduction Lacanienne, vaguement phonétique, de undbewust, l'inconscient freudien tel qu'il a joué un rôle dans l'échec de la psychanalyse à concevoir que le savoir est dans l'inconscient, même s'il n'agit qu'après consultation de sa raison qui s'expliquera sur sa démarche. Une bévue au lieu de undbewust car ce savoir se constitue d'un moins du fait même de l'amour qui lui est porté. L'une bévue sait l'amour, il y a l'un, dans l'amour, qui l'organise, qui lui donne son statut de vérité, singulier mais qui donne l'illusion que vérité, il y a, et que viendra la bonne et la juste.
Cet agencement est le sort commun, d'où l'intérêt de s'y pencher si nous ne voulons pas céder à la bévue. Si nous voulons nous orienter dans ce cheminement entre les connaissances et les savoirs, la connaissance qui, prenant acte, échappe à la méconnaissance ordinaire, n'est pas une affaire nulle. Elle ne nous est pas non plus inaccessible. N'importe quel enfant de prof sait la différence entre connaissance et savoir. Merci.

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