27 octobre 2011

Marcel GAUCHET 06102011 histoire de la psychanalyse

Marcel GAUCHET 06 10 2011 Histoire de la psychanalyse, EPHEP.


Présentation de Cathelineau :
Marcel Gauchet, bien avant sa mise en oeuvre, accompagne l’EPHEP, avec Melman, avec ses idées mais aussi ses modalités pratiques. Il est responsable, en son sein, de l’histoire de la psychanalyse et de la psychiatrie.
Historien et philosophe, directeur d’étude à l’EHESS, etc. Il est aussi rédacteur en chef de la revue “Le Débat” qu’il a créé avec Pierre Nora. Son dernier ouvrage est “L’avénement de la démocratie” chez Gallimard, et plus avant, “Le vrai Charcot”, en collaboration chez Calman Lévy, ainsi que le très important “L’inconscient, c’est (inaudible)”.
Il a toujours réservé un accueil chaleureux aux thèses de Melman et discuté les propos avec une fine attention.


Marcel Gauchet :
D’abord, un mot personnel : Je croyais ne jamais revenir sur ces questions. J’ai déserté ce champ d’étude à la mort de Gladis Swen. Sa mort m’a retiré le courage de poursuivre. “Dialogue avec l’insensé” était bouclé, je n’ai juste fait qu’achevé le travail sur Charcot que nous avions entrepris. Je me suis arrêté sur ce projet de décrire la naissance de la psychanalyse. Sans l’amicale assistance de Melman et la création de l’école, je n’aurais pas renoué le fil de cette ancienne préoccupation. Je le dédie à Gladis.


Cette préoccupation, les circonstances sociales lui donnent une actualité accrue par rapport à il y a vingt ans. Notre diagnostic sur l’état de la psychanalyse se confirme et l’aggravation de cet état motive cette idée d’une école qui répond précisément à l’institution, mais surtout qui s’adresse aux intellectuels qui subissent un climat de sclérose, un marasme intellectuel que connait la psychanalyse, toutes écoles confondues, et qui réclame que quelque chose soit repris à la base.
Notre hypothèse avec Gladys était que la psychanalyse souffre d’une crise d’identité historique et, j’en suis témoin, c’est confirmé : La psychanalyse souffre de mal savoir ce qu’elle est car elle ignore l’histoire dont elle procède.
Elle ne sait pas où elle va. Elle est là, caractéristique du malaise dans la culture présente, pionnière dans le malaise. L’identité de la psychanalyse s’est construite dans un certain déni du traitement historique, dans la mécanique d’une espèce d’extraterritorialité, voire un fantasme d’auto-engendrement.
La psychanalyse serait issue d’un génie intellectuel, et quelques circonstances de hasard, à partir de l’autoanalyse d’un seul; A l’origine de la psychanalyse, l’autoanalyse de Freud et c’est tout. Si cela était vrai, elle aurait pu naître n’importe quand, avec Charlemagne. C’est le mythe du héros fondateur qui suscite quelque question et des cibles faciles aux démolisseurs d’idole. Il n’y a qu’à voir Onfray.
Les crises chroniques du mouvement sont liées au déni de la détermination historique mais ce qui me paraît acquit, est que ce déni est devenu intenable : La psychanalyse aujourd’hui, dans son ensemble, sans discrimination, est rattrapée et submergée par l’histoire dont elle a surgit et dont elle ne peut se passer. Une dimension anthropologique, dont elle dépend, la laisse interdite.
L’heure est venue de lever ce déni d’inscription historique, de sortir du mythe, du fantasme, en vue de rompre avec l’idée d’autoengendrement. La psychanalyse a besoin de se réapproprier son identité historique à la lumière des conditions d’une certaine épistémologie historique.
Les conditions, l’environnement ont changé et cela la met en porte à faux. C’est avec les détermination historiques, et ce détour nécessaire pour ce rendu contemporain, que réside la base d’un nouvel élan.
Pas de méprise, tout cela n’enlève rien au génie de Freud, le seul qui su exploiter les ressources d’un contexte ouvert à tous et saisir l’impact sur la psychologie humaine de l’actualité boulversée de son époque. Ca n’enlève rien non plus à la psychanalyse dont l’assise solidifiée permettra de mieux en comprendre l’originalité.


Tel est l’enjeu de notre enquète et l’esprit que je veux imprimer dans l’école. Je rattacherai cette recherche à l’inspiration de Lacan dont j’ai pu tirer profit.
Lacan est , pour la psychanalyse, le traducteur de Freud dans la langue théorique et philosophique de son temps. Pour bien le comprendre, il faut avoir une idée de Hegel, qu’il a lui-même interprété avec Kojève. Freud en ignorait tout, il n’en a jamais parlé et pourtant il y a du sens à faire le lien entre Freud et Hegel.
De plus, Lacan montre que Saussure, mort en 1913, dont Freud n’avait jamais entendu parler alors qu’il enseignait à Genève à son époque, est essentiel en ce qui concerne l’objet de la psychanalyse, bien que Freud n’en aie jamais rien su.
Nous pourrons poursuivre au-delà de Lacan et, en ce sens, notre programme comporte un enseignement lié à Witgenstein dont Lacan n’a pas parlé, et Freud non plus mais … l’apport lacanien, sa rénovation a été d’arracher la psychanalyse à cette extraterritorialité culturel, historique, sociale, qui l’enfermait dans son aspect strictement médical. Ce désenclavement, il faut le poursuivre.


Un dernier mot à propos de moi pour répondre à votre curiosité. Pourquoi je me mêle de ça ? Car mon travail est de psycho-politique ou de théorie sociale. Mais pour moi le lien est direct et je vous assure que je n’en fait pas un hobby de psychanalyste du dimanche, bien que Kojève ne philosophait que le dimanche car il était fonctionnaire, voir “Le philosophe du dimanche”.
La révolution moderne que j’essaie de comprendre comporte un versant anthropologique qui emporte une refonte de l’humain, du collectif, du politique, c’est à dire une refonte de l’expérience que les êtres humains ont d’eux-mêmes, voilà mon point de vue.
De la révolution de l’être-soi qui accompagne la révolution de l’être-ensemble, l’histoire de la psychanalyse, et de la découverte de l’inconscient, en est le révélateur, de ce qui se joue là, la transformation de l’être-ensemble, dans l’intelligence du fait humain, énigmatique.




Quant à la référence au sujet, je le dis de suite, je ne ferai pas de freudologie ni de viennologie. Pas de petites histoires bien qu’elles constituent aussi l’histoire de la psychanalyse. Pour comprendre la psychanalyse dans l’histoire, il n’y a lieu d’aucun mépris pour le quotidien de la vie de Freud. Le microscope est utile, mais j’ai une autre perspective, un autre plan de bataille.


Envisager les conditions d’émergence de la psychanalyse réclame quatre précisions.
- Son émergence est inséparable d’un objet clinique inédit, les névroses, qui jette une lumière neuve sur la psychopathologie et qui la déterminera.
- Cet objet névrose sera un support pour la cristalisation théorique qui organisera l’impensable, l’inédit, désormais ouvert par cette percée scientifique majeur.
- Cet objet névrose est le révélateur d’une crise anthropologique majeur, crise du libéralisme, crise de l’expérience vécue et des repères intérieurs.
- La névrose est à replacer dans une histoire longue du sujet, non au sens banal mais au sens où le sujet est l’horizon spécifique de la modernité.


La modernité, c’est le sujet. Mais dans quel sens ? La découverte de l’inconscient est un moment majeur pour la compréhension du sujet au sens moderne. Tout se joue sur une première identification, la constitution du cadre clinique des névroses. C’est le levier, l’opérateur décisif pour entrer dans la question d’un bon pied et éviter les écueils que l’on peut lire.


Les généalogie de Freud pêchent par intellectualisme. L’histoire s’inscrit dans le ciel pur des idées, parfois avec science comme Helen Berger dans “A la découverte de son âme”. Il y a bien des généalogies d’influence mais qui n’éclairent pas sur ses conditions d’émergence.
Elle pêchent aussi par psychologisme, quand elle se concentre sur les détails de la biographie de Freud, jour après jour, dans l’espoir de saisir le déclic, le moment de la percée théorique telle qu’elle serait surgie de l’existence de Freud.
D’où les disputes burlesques. Couchait-il avec sa belle-soeur ? Ca changerait tout, évidemment. Ou encore, tout ne s’expliquerait-il pas par l’usage de la cocaïne ? Le sevrage, la frustration, la compensation et, in fine, la découverte de l’inconscient. Toutes affabulations qui ne s’adressent pas toujours au cocaïnomane mais toujours personnellement.


Les alternatives sont construites et non critiques de ces affabulations. La construction, pour comprendre comment ça s’est passé, c’est l’objet de l’histoire. Il y a lieu d’une lecture pragmatique, d’un départ du plus humble matériau. Les bases matérielles, pourquoi pas ? Qui rendent possible une place pour Freud, dans la société, pour un type particulier de spécialité médicale, adapté à une certaine demande. Une spécialité qui est un phénomène tout juste émergent, lié à l’exercice libéral de la neurologie qui se justifiait d’une clientèle en augmentation, en demande de cette médecine nouvelle.
La névrose est un objet culturel, à la mode, et un objet savant. C’est un nouvel objet médicale, avec un nouveau type de pratique et un nouveau genre de praticiens. Elle constitue le levier pour une élaboration d’une pensée sur l’inconscient en réponse aux difficultés précitées.
La névrose n’appartient pas au DSM et aux corrélations statistiques mais elle retourne le sens de cette clinique, elle change le regard sur ses phénomènes et aussi la manière de comprendre le pourquoi de ses troubles et du psychisme humain.
Elle catalyse des notions disparates, elle est l’attracteur du pensable de l’époque, pensable distinct de la pensée claire de son cheminement. Elle mobilise des connaissances nouvelles sur l’homme dont, de manière déterminante, ces deux avancées cruciales de la deuxième moitié du 19e siècles : La théorie de l’évolution et la fonction automatique du système nerveux.
Tout ça n’est qu’un programme. Il s’agit de comprendre comment Freud, avec Sulloway, dans le domaine de la biologie de l’esprit, pose la question du pensable de l’humanité en regard de l’évolution. Darwin n’en pense rien. C’est pas son sujet.


Mais les gens, dans son prolongement, n’en pense pas moins, sur les possibilités nouvelles de la psychologie de l’enfant et sur l’introduction de l’histoire dans les éléments même de la subjectivité, voire l’introduction dans l’histoire des éléments de la subjectivité, devenue pensable par la théorie de l’évolution. Il en va de même à propos de l’impact de la découverte du caractère automatique du SNC.


Je souligne la dimension du pensable sans préjuger d’une vérification empirique de l’efficience du travail à l’oeuvre réellement. Il s’agit essentiellement de considérations négatives dont le but est de mettre à mal la volonté de conserver des fantasmes au détriment de la compréhension.


Le névrosé est un personnage inscrit dans la société et qui donne à voir une expérience instructive. Il est le témoin d’une crise anthropologique qui remet en question l’idée du sujet de raison. Cette crise est issue d’une collision entre une poussée de l’individualisme tel qu’élaboré jusque là, et l’enracinement de modes de socialisation hérités.


La tension psychique est inouïe, le taux de suicide est le plus élevé de toute l’histoire. Le foyer principal de cette tension est la famille, institution dont les tensions sont extrême, mise à l’épreuve de l’égalité montante des sexes et de l’irrésistible ascension du mouvement de libération de la jeunesse, scout par exemple, où se rencontre l’impératif de reproduction sociale, culturelle, et l’aspiration nouvelle, affective, de liberté et de réalisation personnelle.


Les problèmes pratiques que posent les névroses et leur traitement en psychanalyse renouent avec les problèmes engendrés par la naissance de la psychiatrie. A ce sujet, Gladys Swen “Le sujet de la folie”. A ce moment s’ouvre une nouvelle scène du sujet, un sujet révélé par ses troubles, l’histoire qu’il en fait le fondera comme sujet. Le problème de savoir comment théoriser le sujet psychique s’ouvre sur la folie.


Ici, le sujet n’est pas freudien, il faudra attendre Lacan qui, grâce à sa lecture de Heidegger et la critique de la subjectivité, nous donne cette traduction théorique légitime avec laquelle nous allons continuer à chercher ce juste langage pour comprendre l’enracinement Freudien dans un domaine, en pratique, obscur.


La pragmatique est là. Freud est un bricoleur du champ clinique. Neurologie, psychologie, il part avec ce qu’il a sous la main, pas toujours le meilleur, d’où l’importance de revenir sur cette pratique pour rendre explicite l’enjeu de sa découverte.








Question : Les conditions d’émergence n’intéresse pas la psychanalyse et c’est dommage. Lacan avait des considérations proches de votre liberté de ton dans un article sur la famille écrit pour un dictionnaire. Avez-vous le même souci de traduire l’impact de l’institution familiale sur la pratique psychanalytique ?


Gauchet : Ce texte est très peu connu et peu exploité alors qu’il permet de mesurer le chemin parcouru depuis ces années trente où Lacan eut de grande difficulté à le faire publié. Il y glisse une hypothèse sur l’émergence de la psychanalyse en fonction de l’institution familiale de l’époque. C’est une intuition que nous pourrions développer pour expliciter cette crise anthropologique, le malaise, le hiatus entre malêtre et aspiration profonde de l’individu.


S’inscrire historiquement et socialement est un besoin de la poussée de la psychanalyse. Après Lacan, il faut faire ou continuer un travail sur l’inscription culturelle de la psychanalyse dans son temps. Cette inscription est un atout essentiel pour la psychanalyse dont l’identité essentiel se distingue de cette extraterritorialité un peu difficile à justifier.


Il y a un lien entre le moment d’émergence de la psychanalyse et les tensions dans le social, paroxystique, explosive. Désormais tout a changé, les verrous de l’époque ont sauté, il ne reste rien des résistances institutionnelles, des cadres de la société bourgeoise. Ce carcan social a explosé et permit la naissance d’individu très différent des victimes de la névrose au 19e siècle.


Il n’a plus ces mouvement “contre” l’ordre établit mais il ne sait plus où il est. Parfois content mais le plus souvent inquiet. Fini les scisions, les conflits majeurs et leurs expressions pathologique qui sont remplacées par d’autres, l’impression de vide, d’apesenteur, je ne sais pas qui je suis ni où je vais. Or il y a une continuïté de 1930 à nos jours. Dans la même coulée, les mêmes éléments ont mené plus loin que leurs revendications. Seul les précisions historiques permettront d’y tisser un fil rouge. Merci.

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