25 décembre 2011

Marcel CZERMAK 24 11 2011 Transsexualisme

Marcel CZERMAK 24 11 2011

Savoir ce qu'est la démocratie est un vrai problème. La nôtre, bien entendu, il est normal d'être à peu près dans les choses sinon on divague.
J'étais dernièrement avec un camarade équatorien, ancien conseiller du président, avec qui je devais faire une conférence. Dans l'auto qui nous y emmenait, nous devisions à propos des démocraties. Chez nous, les administrations, les magistrats, sont intouchables et c'est bien venu car nous sommes adossés à la république. Mais lui, chez lui, ils ne sont adossés à rien. Quelques soient les tribulations, nous devons nous féliciter de pouvoir être pour, ou contre, ou d'avoir à faire à des gens adosser à quelque chose. Même contre, c'est le mérite d'une république d'admettre le contre. Dans le passé pas si lointain, au Chili, à quoi s'adosser ? Je préfère m'adosser à quelque chose donc la question est : A quoi, contre ou avec, sommes-nous appuyer ? C'est une question clinique mais aussi politique.

Quand on discute avec quelqu'un, on se dit qu'on l'écoute. Mais qu'est-ce qu'on entend ? Ecouter peut rendre fou. Dans ce cas, il vaut mieux se fermer les oreilles mais cela ne s'apprend pas à la fac. Ma concierge écoute très bien, mieux que le psychanalyste du quartier. Qu'entend-on quand le cas échéant on ferme les écoutilles ? Ce n'est jamais traité explicitement. Ecouter, est-ce un bien en soi ? Dans mon expérience, j'ai vu que le simple fait d'écouter rend fou, aspirer par les grandes oreilles comme par une grande gueule. Ca mériterait un congrès. Qu'est-ce que l'écoute ?
A l'occasion, je ne veux pas écouter ceux qui disent que j'ai mauvais caractère. Au nom de quoi ? Tout le monde a le droit de s’exprimer en démocratie. Churchill disait de la démocratie qu'elle est le pire des régimes à l'exclusion de tous les autres. Pourtant, lui et De Gaulle ne se privaient pas de dire aux autres de fermer leurs gueules. L'appel du 18 juin n'est pas passé comme une lettre à la poste. Ca se joue à la virgule près ce genre d'histoire.

L'atmosphère, autour des questions relatives au genre, est-il de grammatologie ou de sexologie ? Il est impalpable et ça m'amuse, j'aime bien. J'ai plein de papier, j'essaie de circonscrire le terrain. Lequel choisir ? J'ai ici un intitulé : PRESAGE, Programme de Recherche et d'Enseignement sur le Genre. Avec ça, on a déjà de quoi se taper le cul par terre. Présage ? A proprement parlé, un fantasme. Ce programme s'avance comme démuni, en terrain inconnu, en attendant qu'il innove, comme ça, ex nihilo. Rien que dans la présentation, on trouve des trucs. "Sauter la navigation", c'est tout internet ce type de mention. Il faut savoir d'où on part et quel cap on prend. Savoir où ça va, ce n'est pas évident, parfois on ne sait pas. Ca vaut mieux, d'ailleurs, mais ça reste un cap.

Je suis un peu polémique mais c'est le cadre qui veut ça. Un autre papier : "La science par et pour les femmes dans la société d'hier et d'aujourd'hui". J'ai jamais vu la science par et pour les hommes. J'aimerais que les femmes se mobilisent pour moi. Qu'est-ce que la science a à voir avec les femmes ? Il parait que peu de femmes sont engagées dans les sciences mais à côté de chez moi, il y a l'appartement de Joliot-Curie, une grande dame non docile. Par et pour les femmes, ça veut dire quoi ?

L'institut Emilie Du Chatelet, pour la diversité et la diffusion des recherches sur les femmes, le sexe et le genre. Vaste programme eut dit De Gaulle. Il s'agit de programme d'éducation à l'égalité entre les sexes. Ben oui, il faut qu'on l'apprenne. J'aimerais qu'on me l'enseigne comment faire pour être à égalité avec ma femme. Je ne demande pas mieux qu'on me le dise et mes filles se demanderont comment être à égalité avec les hommes et mon fils se demandera comment être à égalité avec les femmes. Il y a dénégation de l'adresse à un autre en tant qu'autre. Quand on va au pieu c'est avec l'autre. Même dans les couples homosexuels, il y a le même problème de disparité dans les couples. Si l'égalité s'impose dans le droit, on en est loin dans la pratique. Du droit, on le sait depuis longtemps, bien avant le droit de vote acquis aux femmes. Dans la pratique, c'est un immense problème. Moi, je n’ai jamais su comment pratiquer. On en est embarrassé comme un poisson d'une pomme, c'est le sort commun. Des seuls vrais couples que j'ai rencontrés, il y en a au moins un des deux qui est fou, et qui s'emboite dans l'autre, et tout va bien. Sinon, discrèpance, ça discrèpe.
Concernant l'éducation, l'éducation à l'égalité, elle n'a rien à voir avec le ratage des parents, c'est ça l'éducation. "Une éducation (...) oubliant les différences et les inégalités". Ca ferait rigoler les lycéens mais comme ça vient d'en haut ... Voilà ce qui se propose comme doxa de la république. Mais est-ce qu'apprendre l'égalité informe sur la disparité subjective ? On ne connait rien les inégalités. A-t-on idée de ce que l'autre a dans la tronche ? Si on se retrouve au lit, c'est qu'il y a une instance tierce. C'est celle-là qui n'existerait pas, homme ou femme, c'est pareil.

"On ne nait pas scientifique, on le devient" Moi, en aucun cas, je n'étais destiné à devenir médecin. Mais si "on le devient", ça suppose qu'on lutte contre la génétique de la disposition scientifique alors qu'on a cessé de se battre là-dessus depuis le 19e siècle. Sommes-nous dans un combat du 19e ?

Je continue à lire et à pousser le bouchon. L'éducation à l'égalité "dés la naissance". Dans ce domaine, je peux vous promettre que sans la schlague, vous allez vous casser les dents. L'éducation à l'égalité "dans le milieu du travail". Il existe des droits et de nombreuses réticences. Cependant, est-ce la planche à règle, l'Assemblée nationale, qui va trouver la solution ? Je ne sais pas jusqu'où pousser la critique. Tout ça démarre avec un programme d'enseignement sur le genre et des gens qui s'engouffrent là-dedans. Est-ce que les hommes et les femmes arriveront encore à aller au lit ensemble ?

J'ai été invité ce 22 octobre par la Société marocaine de psychiatrie. Printemps arabe ? Il y a eu un changement de direction, c'est désormais des filles, que j'aime beaucoup, très courageuses, qui animent l'institution. Les vieux caciques se sont faits ramassé. Elles ont eu le culot d'organiser à Tanger une conférence intitulée "Identité et sexualité". Il faut le faire dans un pays où il est difficile de parler de sexe et de politique et de religion. Comme il est difficile de se bagarrer en famille, elles ont invités d'honorables étrangers dont votre serviteur. Cordier avait "Du transsexualisme" comme intitulé, et Czermak "La sexuation est-elle un objet politique". Dans l'avion, nous nous sommes arrangés un peu, comme il est usuel, et je lui ai fait mon laïus que vous connaissez bien ici.
Il y avait un intitulé "L'homosexualité". Dans le Coran, il s'agit d'une perversion condamnable. Le problème est que l'OMS a rejeté l'homosexualité de l'échelle des diagnostics. Et je me retrouve comme ce soir, face à des hommes et des femmes, dont certaines étaient voilées. A la pause, certaines de ces femmes viennent me dire à quel point elle me trouve gonflé. Comment peut-on parler de ces choses ? Ensuite, Bernard Cordier aborde le transsexualisme et là, pas de problème. Tous le monde considère ça comme une maladie. Qu'un homme devienne une femme à qui on a coupé les couilles, no problème. Mais les homos, ça, c'est un grave problème.
Ce sont nos problèmes aussi mais grossis. J'apprends des choses venue d'Iran. Les homosexuels sont passibles des pires peines. L'intention du colloque était de savoir comment le terrain se présente. Il y avait l'intitulé "L'homosexuel est-il un homme". Tout ça a une histoire anthropologique.
Autre intitulé mentionnant "une approche culturelle, sociologique, psychologique et neurologique". On ne sait plus où on en n'est. Qu'est-ce que Freud viendrait foutre là-dedans ? Il n'y eu qu'un intervenant pour aborder la question du désir. Un autre nous a appris la perception de l'homosexualité auprès de la jeunesse marocaine d'un point de vue sociologique et a fait un travail super intéressant sur l'énigme.

Je veux rendre hommage à ces filles qui ont eu se culot. Ce serait amusant qu'ici, on prenne ces choses en considération. On l'a vu dans les documents que je présente, c'est plus civilisé, plus soft chez nous, surplombé par les sciences positives et l'éducation nationale. Faut être up to date, mettre les gens au parfum. Les marocains, on les dit arabe alors qu'ils se sentent berbère. Ils considèrent qu'il parle mieux le français que l'arabe. Sauf les lettrés qui sont plus au courant de ce qui se passe en France que de ce qui se passe chez eux. Notre coupe est mal nettoyée. Il faudra reprendre la question du transsexuel et de la sexuation comme objet politique.

Quelque chose indiquait notre dépendance. Qui a financé la Journée marocaine ? Les laboratoires Servier. J'avis honte dans mon hôtel cinq étoiles, inodore, sans saveur. J'aurais préférer un simple grand lit. Au diner de gal offert, tout le monde se tenait à carreaux. Mais vers 1 heure, elles ont commencé à se lâcher et je suis rentré. Et Freud, il est passé où ? Et bien, il revient. Merci.

23 décembre 2011

Elise MARROU 21 11 2011 Wittgenstein

Elise MARROU 21 11 2011 Wittgenstein

Qu'en est-il de l'objet que le langage renverrait ? A chaque mot, chaque concept, correspondrait une chose ? Wittgenstein s'interroge p14. L'enjeu porte sur le langage et son apprentissage.

Il étudie la relation du locuteur au langage, la relation entre mes mots et une langue étrangère. Et il le fait à travers un dialogue avec un petit passage des Confessions de Saint Augustin. Sa recherche commence avec les mots d'un autre.
Pourquoi ? Pourquoi Saint Augustin ? Pourquoi précisément ce passage ? C'est que le philosophe commence par ne pas répondre, par ne répondre que de son héritage. J'hérite des mots des autres. Comment ? Sa manière d'ouvrir à la réflexion surprend pour trois raisons. Il cède la parole à un autre. Et cela lors d'un passage qui semble anodin au regard des illustres apories sur le temps. "Ceci nous donne quelque chose de l'essence du langage humain" L'article qu'il sélectionne et qui semble anodin, concerne le passage de l'infant à l'enfant et son mode d'emploi.

Ses recherches s'apparentent à un album. La première image est un enfant qui apprend à parler. La principale difficulté critique est que Saint Augustin conçoit le langage sur le modèle de la dénomination. Le reproche est implicite est de réduire le langage à un ensemble d'outils homogènes qui étiquettent des objets. Ce postulat résume le langage à la nomination, au substantif sur le représentant dans la réalité. Or Wittgenstein veut qu'on renonce au substantif, chaise, table, etc. Il refuse un langage qui ne serait que d'une seule partie et donc l'apprentissage consisterait à nommer c'est à dire à étiqueter des objets.

Saint Augustin donne le privilège à la catégorie des substantifs propre. César, c'est bel et bien lui. A l'inverse, une table, une chaise, ne concerne que l'étiquette d'une partie de l'objet. Dans l'album, une première image est celle de Saint Augustin. Il en choisit huit lignes, p18, qui ne semble pas donner l'essence du langage, qui sont plutôt anodine du point de vue théorique, bien que lourde de présupposés.

Sa critique porte sur l'opération d'étiquetage qui selon lui repose sur le substantif de manière indue. Nos mots sont plus divers que cela. Il y a une activité conjoncturelle particulière. Apprendre à parler ne s'identifie pas à poser des mots sur des objets. Voire "Nommer n'est pas jouer".

La surprise, c'est l'objectif de Wittgenstein :

A la suite d'interruptions intempestives dont est victime Elise Marrou dans son cours, la majorité des étudiants quitte la salle en signe de protestation, emportant dans le flot de la solidarité, son serviteur.

Jean Paul HILTENBRAND 21 11 2011 Identification

Jean-Paul HILTENBRAND 21 11 2011

Identification. Ce mot dérive du latin. Sa racine veut dire "le même". Idem pour l'identité que nous verrons la prochaine fois. Très tôt pour Freud, l'identification désigne cette relation complexe à l'autre qui tend vers une certaine ressemblance.

En français, on parle d'identification de l'auteur d'un vol, de l'identification d'un processus subjectif. La notion est déclinée sur l'identité. Avoir une identité de vue ou de croyance avec quelqu'un, ce n'est pas imiter. Cela semble évident dans la langue alors que, dans la cure, c'est complexe.

Il y a de multiple raison d'aborder ce thème essentiel. Dans l'histoire proche, nous avons vu l'explosion du processus d'identification avec le cortège dérangé, déplacé, défaillant de la pathologie ordinaire. Actuellement, ces faits, liés aux mutations de notre culture, du déclin du Nom du père, de la désintégration du lien social et familial, de montée de l'individualisme et aussi de l'immigration, qui pose des problèmes spécifiques dans le champ de l'identification, tous ces faits posent une question d'ordre général :
Où et comment trouver une assise subjective pour moi-même ?

Je suis à côté de mes pompes. Je n'ai pas de relations durables. J'ai un titre mais pas d'inscription. Je ne suis pas responsable. Je suis ailleurs, à côté. Autour de qui suis-je ? Ce questionnement est ancien mais il est actuellement de plus en plus crucial.

A propos de l'identification du sujet, il y a des difficultés à préciser et un embarras sémantique pour définir les hommes et les femmes par l'identification comme telle. Freud se plaint de l'ambiguïté du terme. Les hommes et les femmes, par exemple, diffèrent en dehors des éléments d'anatomie, mais le rapport entre les hommes et les femmes. Voilà l'identification des signifiants masculin et féminin.

Etre humain ? Il est possible de les subsumer sous ce terme mais il n'empêche qu'un être humain n'est pas l'autre, ce qui nous mènerait à une anthologie et ce n'est pas notre intérêt.

La personne ? Même souci. Persona veut dire erreur chez les romains. En Grèce, c'est un masque.

Individu ? L'individu n'est pas la plus petite partie isolable d'un ensemble social mais la forme avec laquelle est possible une identification du sujet.

Le sujet, comme sujet du désir, ou du discours mais par défaut, est un sujet clivé. Upokaneimon, refoulé, en-dessous, c'est le sujet de l'inconscient.

J'essaie d'avancer de manière didactique pour vous faire sentir les difficultés. Lacan nous en délivre partiellement en identifiant le sujet au parlêtre. Avec cet exemple : L'impact de l'article défini ou indéfini.
La mère ? A entendre comme tel ou l'amer ? Il est très courant lors d'une cure qu'une mère idéale, qui n'a pas eu lieu, se fasse entendre.
Ma mère ? Personnage ou organe de mammifère ? On ne sait pas très bien ce qu'on dit ni ce qui se dit. L'équivoque est constante et c'est pourquoi, en psychanalyse, ce terme concept sera plus tard formalisé par Lacan.

Quelques remarques préalables. Dans le processus de construction de la subjectivité, l'identification est un temps décisif. Qui suis-je ? Le même. Moi-même, c'est à dire ce qui s'est précipité au stade du miroir dans toute sa densité narcissique. Cependant, dans ce procès imaginaire, quelque chose reste voilé. Un objet est en jeu, situé du côté du petit autre, mon semblable.

Deuxième remarque. Un signifiant isolé ne veut rien dire par lui-même. Homme et femme sont des signifiants et un signifiant représente un sujet pour un autre signifiant.

Enfin, pour l'homme, la partition est guidée par sa jouissance et c'est dans et par la culture qu'il en trouve les modalités plus ou moins satisfaisantes. Voire Malaise dans la civilisation, 1929. Le rapport à l'autre primordial, l'Autre social, est décisif. Narcissisme, objet, jouissance.

Dans Masse et psychologie, Freud distingue trois aspects de l’identification. L’identification au père, l’identification hystérique, Dora, et l’identification au symptôme de l’autre. Trois types de mise en place des sédiments constitutifs du moi. Dans ce chapitre, la difficulté réside dans ce fait qu’il isole l’identification en tant qu’elle se fait sur un fond d’empathie et d’amour, sur le mode œdipien.

Cette référence est partiellement exacte. Il est vrai que l’amour facilite l’identification. Mais ce lien affectif n’est pas si décisif car autant que l’amour, la haine ou l’indifférence obtiennent les mêmes effets. Le seul point valide est que l’identification, dans tous les cas, profite à la constitution du moi. Il faut relire Lacan et le stade du miroir, cette précipitation où a lieu cette identification à l’autre, reflet dans le miroir qui n’est autre que le reflet du moi du sujet qui regarde, ce lieu déterminant des processus d’identification.

Lacan prend l’exemple du criquet Pèlerin pour mettre en exergue le rôle de l’image spéculaire. Ce criquet n’est grégaire qu’à la condition de percevoir, chez son congénère, un détail visuel, une image dont, du face à face, il est obtenu un effet organique.

L’identification se constitue avant la constitution du sujet, de manière extrêmement précoce. Dés les premières minutes, l’enfant est un être actif qui s’approprie le monde dans lequel il arrive. Nous le savons par la clinique mais aussi par la neurologie que, déjà, s’installe, non le processus d’identification mais, les éléments susceptibles d’être ceux du procès à venir.

Voilà pourquoi, des commentaires de Freud, Lacan isole l’Einsigerskrange, le trait unaire, qu’il exploite au niveau de l’identification hystérique. Ce trait « hautement limité », restreint, compartimenté. Shrange veut dire barrière, limite, compartiment.

A ce stade, une question : Qu’est-ce que ce trait unaire ? Quelle est sa nature ? Est-ce un signe, un symbole, un signifiant ? Est-ce une inscription chez le sujet ou un simple sédiment dans le moi ?
Lacan reprenant cette thèse de l’Einsigerskrange l’illustre de l’encoche sur la lance d’un chasseur primitif. De tué un animal, il se déclare chasseur, il s’identifie comme tel. A la vingtième encoche, bon chasseur. Du moi, il y a non seulement l’image idéale mais l’idéal du moi. Don Juan, pourquoi pas, ce qui n’est pas rien.

On sait Sade, enfermé dans un appartement à Marseille, dont les serviteurs lui apportaient des femmes. Pour chacune, il faisait une encoche dans le bois du lit. Il ne s’agit pas ici de sommation de traits mais de répétition. Un trait plus un trait plus un trait, etc. Voilà la dimension logique du trait unaire. Peu importe qu’il soit un signifiant car ce qui se répète n’est qu’un, identique à lui-même. Invariable, le caractère du trait unaire est neutre dans sa signification.

C’est la toux de Dora, la toux répétée que la lettre de la voisine réactive. Le trait unaire constitue des cas, de fait, hétérogène. C’est la répétition de tous ces « un » différents qui signe le signifiant. Dans l’automatisme de répétition, les actes différent mais le trait unaire est constant, c’est un facteur stable que ce signifiant refoulé, inaccessible et inconscient.

La logique du trait unaire est associée à l’automatisme de répétition depuis 1914, avec « Remémoration, répétition, perlaboration », où Freud découvre les limites à la remémoration. Quelque chose au-delà, insiste sans parvenir à être énoncé et qui pousse le sujet à répéter, ce quelque chose s’oppose à la remémoration et fait butée à la cure.

Le mérite de Lacan est de reprendre le concept de répétition en tant qu’un des quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. La répétition devient poussée de la fonction du « un » dans son ambiguïté du « un » qui rejette, au niveau inconscient, et du « un » du sujet, de l’individu.
Pour s’y retrouver, Lacan reprend le « un » de la demande et du désir et utilise la figure du tore dont voici la découpe.

Ce tore représente la mise en place de la subjectivité, de la demande articulée au désir. La répétition de la demande, notée grand D, va tracer les spires qui vont constituer l’enveloppe du tore. Nous le représentons découpé pour le rendre plus évident. Ce faisant, les pires de la demande répétée vont définir, ménager, un vide central, le vide du tore. Le trou du tore est réel, inconscient, on ne peut le refouler. C’est dans ce trou du savoir que s’organise le fantasme.

Des tours de la demande, en voici les mathèmes :

Le sujet élidé. La parole de la demande. La nature du besoin éventuellement évoqué.
Les tours de la demande tracent ses spires sur l’ensemble de la surface du tore mais il est un tour que le sujet ne peut pas compter, qu’il ne peut pas reconnaître. Pour autant que le sujet ne reconnait pas qu’il peut, ou qu’il a, parcouru la totalité du tore, il est marqué du « moins un » constitutif. Toute demande ne peut articuler les termes de la demande sans défaut dans l’expression dont l’effet est que l’objet exprimé n’est pas l’objet véritable. Toute demande échoue, c’est aussi la marque du -1.

Les spires, c’est la répétition d’une lettre qui fait défaut, c’est la demande qui n’arrive jamais à sa complétude. Quelque soit la demande, il persiste un reste. L’essentiel est que le tore trace son rond autour de petit a, cet objet métonymique de toutes les demandes. Par ce biais, par la répétition de la lettre perdue, le désir inconscient apparait comme la métonymie de toutes les demandes. Le désir prend le relais de la demande, comme dans la cure, parfois, avec cette évolution caractéristique : On y entre avec une demande, on en sort avec un désir.

Cependant, le désir ne prendra le relais de la demande qu’à la condition que petit a soit circonscrit par le cercle des demandes. La cause du désir résulte de la répétition de la demande, un, un, un, un, etc. Il se constitue de cette manière un plan logique et métonymique pour l’ensemble des demandes là où les constructions signifiantes sont toujours opposées du fait de leur stricte différenciation. Le sujet vient à s’établir pour autant que le désir s’est constitué sur le chemin de la demande.

L’identification du sujet est d’autant plus claire et rationnelle que lui-même met en œuvre le trait unaire. Il y a le T1 qui compte pour le sujet, qui compte pour lui-même, et qui contribue à son trait idéal, à donner réalité au sujet, à tout ce qui va du réel au sujet symbolique. Le réel du sujet, c’est le désir à condition qu’il prenne le chemin de la demande.

Ce qu’il saisit, c’est que de la demande au désir, il y a un franchissement. Toutes les demandes faites à la mère finissent par produire le désir, éventuellement pour une femme. Une mutation, une transformation se fait de la demande au désir, qui est central au niveau de la cure.

Ce processus de l’identification à partir de cette construction du trait unaire, ce trait qui représente tout le travail du sujet, concerne la deuxième et la troisième identification. Identification de Dora à la toux, identification de la petite pensionnaire. Lacan n’a pas repris la première identification car il fut dramatiquement empêcher dans un conflit avec l’IPA alors qu’il projetait un séminaire sur les Noms du père dont nous ne disposons que de la première leçon sous forme d’ébauche.

Il faut donc revenir sur cette identification première qui, comme les deux autres de structure métonymique, traverse le trait unaire. Mais la première identification, au père, se déroule dans le registre de la métaphore. C’est une différence considérable, le cheminement est complètement différent.
Toute l’œuvre de Freud tourne autour de l’enjeu de la fonction paternelle, depuis la horde primitive, Totem et tabou, jusqu’à Moïse, en passant par Masse et psychologie. Lacan très tôt, 1953-1955, s’est attaché à la métaphore du Nom du père, que nous verront la prochaine fois.

Je suis passé d’une identification à l’autre comme d’une identification du sujet à un autre mais néanmoins, le sujet reste lui-même identifié à un petit autre, c’est à dire une image. C’est celle de la jouissance de I(a). Grand I de l’idéal, du moi idéal tel que Freud l’a décrit. Petit a du petit autre, du schéma Lambda du début de Lacan, mais aussi l’objet petit a, cause du désir.
C’est l’identification du sujet au stade du miroir plan et l’identification au stade du miroir concave où la double image d’un vase apparent se superpose des fleurs qui apparaissent. Il y a là aussi le trait de l’image et le trait de l’objet. I(a) est le rapport constitutif de l’homme à l’homme dans son identification à l’autre. Le trait unaire amène le sujet dans sa constitution symbolique et réel en même temps, simultanément.

Il y a carence d’harmonie entre l’objet de la demande et la demande elle-même, comme il y a carence d’harmonie entre la demande et ce qu’il en advient. La réponse de la mère éventuelle est, elle aussi en carence. Il y a double carence.

L’objet qui en découle, petit a, cause du désir, résulte de l’impossibilité de l’Autre symbolique, éventuellement de l’Autre primordial, de répondre à la demande. La psychanalyse ne s’interdit pas de répondre mais elle y échoue. L’Autre symbolique est sans pouvoir au regard de la demande.

Cette carence va se transmuer du côté du désir qui répétera indéfiniment cette carence. C’est là, la signification du trait unaire qui s’exprime sous la forme de l’objet petit a et de la fonction phallique.
L’identification au trait unaire est essentielle car c’est le sujet qui met au monde ce trait. Il n’est pas reçu passivement. C’est toutes ces demandes et tous les désirs, toute cette poussée à la jouissance, c’est là ce qui amène le sujet à se créer de toute pièce cette fonction décisive, ce trait unaire. Merci.

22 décembre 2011

Charles MELMAN 17 11 2011 Fille-ation

Melman 17 11 2011

Fille-ation, voilà mon titre. La femme vient à la fille. Comment s'intéresser à la filiation sans qu'il semble que la fille-ation soit d'un grand intérêt. Nous y sommes tous dans la même difficulté mais les filles ont une difficulté particulière à appréhender leur filiation et qui se présente non comme une difficulté mais comme un présent. Pour l'aborder, nous avons Freud et Lacan. Je commence par du général.

C'est un sentiment de déréalisation qu'éprouve la créature humaine face à l'espace, ce domaine vierge, apparemment muet mais qui inspire un sentiment de bienveillance. La déréalisation en vient à légitimer une présence bienveillante et à délégitimer sa propre présence. C'est à l'origine du sentiment de rencontre, avec un semblable, où chacun est illuminé par l'image de l'Autre, et donc rassuré quant à sa présence dans cet espace.
Ce qui est remarquable dans l'hypomaniaque de cette rencontre, ce "Nous y sommes, ah!", est qu'après cette phase étonnante ne s'ensuit pas une phase de collaboration fraternelle pour l'affronter cet espace.
Il en résulte une division, un conflit entre celui qui est en position d'un supposé idéal, et l'autre en position non insatisfaisante, rabougri, racorni. Un petit autre qui n'investit pas l'idéal dans cet espace originel, hypothétique, qui viendrait à se diviser entre un champ de réalité, en position de maître, et le champ de l'Autre, de l'altérité. Altérité soutenue par celui qui aura quelques efforts à faire pour être reconnu car le maître relève lui aussi de la réalité.

Il est étrange que cette division qui montre la structure de notre rapport aux autres et au monde, la prévalence de la structure du rapport entre semblable, de la division entre réalité et champ de l'Autre, Freud n'a pas pu la penser. Il n'a pas pu penser le champ de l'Autre mais seulement le champ de la réalité, de sorte qu'à ses yeux, une femme est un idéal amputé. La femme est dotée d'un instrument diminué par rapport à celui de l'homme, elle est d'un "phallicisme" non abouti, tempéré.
Dans son article sur la féminité, la position de Freud, celui à qui on doit la psychanalyse, est de méconnaissance ordinaire dans ce domaine essentiel de l'Autre, du champ de l'Autre selon Lacan, où l'Autre s'y trouve logé et qui est très différent du champ de la réalité tout en ne relevant pas du Père étranger. Il n'est pas étranger mais il n'est pas le même.
Cette dimension qu'a inauguré Lacan n'est pas l'autre philosophique mais cette dimension essentielle qui montre par sa seule existence l'incomplétude de toute prétention à la totalité, à la maîtrise sur le réel de ce qu'on appellera l'Autre ou dieu, et cela même y compris si je déçois, y compris dans l'écriture et le maniement de nos propres concepts.
C'est pourquoi la lecture de Lacan est difficile car on n'y trouve jamais que des occurrences successives. On peut légitimement chercher leur objet mais on ne trouve jamais que le manque essentiel. Toute prétention à la saisie de l'être est une prétention de maître ignare, refusant les limites de sa maîtrise.

Pourquoi grand Autre ? C'est une tradition philosophique que l'on retrouve dans le Timée de Platon. Il y avait une démarche scientifique qui consistait à transformer l'autre en même, identique à soi. Avec cet exemple de la division, il y avait cette magnification de l'autre et corrélativement, une revendication à l'égalité, à la parité, qui date de 2500 ans et qui se trouve de manière touchante toujours ramenées.
Vous pouvez aussi, ça soulage, traduire hétéros qui se rapporte à ce qui est l'autre sexe, organisateur de l'hétérosexualité. Que le partenaire s'inscrive comme hétérosexuel n'est pas lié à un détail de son anatomie mais par une distribution topologique.

Remarque sur le terme homosexuel. Il est confusionnel car il établit l'homosexualité sur ce qui tient à l'anatomie oubliant que l'anatomie n'empêche pas la disparité des places et que l'homosexualité respecte cette division de l'espace que j'évoque. La seule exigence de ce couple peut être, par exemple, mais y en a pas d'autre, que celle qui est du côté Autre ne soit pas totalement démunies, dans un état de privation tel qu'on le retrouve chez sa mère, qu'elle soit réparée.

Ce qui dans notre culture vient ordinairement s'inscrire, est que nous croyons toujours au maître, nous sommes toujours dans ce type d'organisation millénaire et nous continuons d'insupporter ce qui semble le décevoir.
Simple rappel rapide. J'ai mis en place cette division de l'espace, le champ, imaginaire, de la réalité, le champ, réel, de l'Autre, occupé par I(a), mais il y a ce fait, qui n'apparaît pas, que cette distribution n'est pas imaginaire, elle est un effet symbolique. Pourquoi le rappeler ? Car aucun système formel, et le langage en est un, n'épuise le réel. Il n'y a aucune formulation complète, totale, du monde. C'est impossible, et dans notre domaine aussi.
Le sympathique de cette division, là encore ça soulage, de cet hétéros, même s'il passe inaperçu, est qu'il fait valoir la présence d'un dieu propre à soutenir l'économie érotique entre l'idéal et l'image de l'Autre. Entre I(a) et I(A).
Cette acceptation si volontaire de la soumission, vouée à se donner un maître, sera organisatrice du champ de l'hétéros pour le maître. Et cela dans la mesure où la femme est comme un présent, un cadeau de Noël, ce qui est très différent d'un déficit, offert, donné et susceptible de calmer l'angoisse.
Nous sommes dans la dialectique du maître et de l'esclave de Hegel, qu'on dit difficile mais qui peut s'aborder dans la joie. Oui, il y a servitude volontaire car elle s'inscrit dans la présence au monde d'un accueil fait au sexe.

Comme nous le savons à la suite de l'histoire, cette répartition maître-esclave a pu se faire traumatique. C'est comme ça Hegel. Lacan est plutôt fidèle à Hegel. Pour lui, le maître en tant que "un" appartient à un ordre fondé sur ce qui est mort. La mort soutient la vie, il y faut un ancêtre. S'il y a maître alors il y a ancêtre, obligatoirement. Mythique ou religieux, votre chemin conduit nécessairement à rejoindre le point de départ, ce mort d'où vous êtes issus.

Bichat nous dit que la vie est l'ensemble des forces qui résiste à la mort. Ca vous dit quoi ? Avez-vous des remarques ? Oui, il y en a d'autre : La santé c'est le silence des organes. Faut en passer par l'hystérectomie. Ce que Bichat cache est que la vraie définition de la vie c'est l'ensemble des forces qui mènent à la mort. Que serait une mort indépendante de la destination de la vie ?

Ce que Monsieur Essel inspire peut se faire dans la violence mais, dans ce cas, il est évident que l’érotisme de la situation, éventuellement réciproque, sacrilège, je vais me faire huer, que cette érotisme est destiné à ce que le réel, la place du dieu organisateur tout heureux de cette bipartition, que cette place soit occupée par un maître, occasionnel, dans la réalité où il doit encore oblitérer cette place. D’où ce mode de relation marquée par cette exigence de totalitarisme. Je sais que c’est à ne pas dire mais si on veut en sortir, il faut l’amener cette idée même pour la récuser. On ne peut la considérer de manière apathique même si elle nous entraine dans un pathos considérable et justifié.

Ce champ de la réalité est remarquable car ceux qui l’occupent sont marqué du trait reçu de l’ancêtre, ils sont marqué de ce qu’ils lui doivent, c’est à dire qu’ils sont marqué de la castration, de la délégation du sceptre, du sexe comme représentant de cette instance dans le réel, justifiant de leur sexualité en en perpétuant la sienne.
Le champ de la réalité est habité d’individus identiques, de la même coupe, y a rien à voir, gris, uniforme. Chacun est marqué du même signe, sans intérêt, qui ne témoigne que du même conformisme. Là où vous reconnaissez ce monde gris et conforme, vous connaissez ce qu’il en sera dans 40 ans. Il s’arrêtera une fois pour toute.

C’est intéressant car dans ce champ, si vous osez vous distinguer en donnant à voir, vous produisez un effet très intéressant, vous susciter le mauvais œil. Dans des cultures proche des nôtres, si maman a un beau bébé qui attire le regard, qui donne à voir, alors il peut attirer le mauvais œil, il ne faut surtout pas le montrer. Mais je vous entends penser : Et les femmes ? Nous y sommes, nous avançons. Les femmes, elles peuvent susciter le mauvais œil.
Pour Lacan, cet œil est toujours mauvais. Mais pourquoi il apparaît ? Pourquoi le regard frappe-t-il la scène ? Parce que ce champ de réalité est organisé par la chute d’objet parmi lesquels le regard. Si quelque chose se donne à voir dans ce champ morne de la norme, alors il y a faute morale, abus, manquement au commandement et du même coup, apparaît dans le réel ce regard inquisiteur. Ca va comme ça ?

Il m’est arrivé d’évoquer que Lacan, contrairement à son époque où tous les professeurs portaient l’uniforme, gris, Lacan détonnait, avec des vêtements colorés. On le voyait et il avait l’air de s’en fiche. Il en venait à inciter son auditoire à écrire une philosophie du vêtement. Et pourquoi pas ? Ca évolue.

Dans le champ de la réalité, ça se passe comment la présence d’une femme ? C’est un problème culturel. On peut exiger qu’elle passe inaperçue. Dans d’autre culture, on peut exiger qu’elle ait un pied d’un côté et l’autre de l’autre. Malgré ce tour de force, mais qui est habituel, de tempérer leur brillance, en dépit de cette réserve qu’elle manifeste, elle appartienne au champ de l’Autre. Donc, dans le champ de la réalité, elles sont supportées de cette place I(A), c’est à dire qu’elles sont les représentantes de l’objet cause du désir et du champ de l’altérité, c’est à dire du lieu où se manifeste ce désir.
C’est le travail de l’hystérique de manifester cette exigence ambivalente, de forcer le maître à être absolu et à le mettre en échec. Il est très fort mais il doit être également courageux car il faut qu’il pousse encore. On ne décolle pas de la clinique, nous y sommes pour aborder la question du rapport du lieu de l’Autre et du Nom du père c’est à dire la question de la manière qu’elle doit, non une infraction à la législation paternelle, mais qu’elle doit l’exercice de la fonction paternelle. De quelle façon ce lieu Autre, qui échappe à la maîtrise, l’hétéro, obtient un effet heureux de la mise en place de la fonction paternelle ?

L’opération de filiation n’a pas moins de racines dans le champ de la réalité mais il y a aussi la fille-ation chez ceux qui occupent le lieu Autre. Ce lieu mis en place par la métaphore paternelle, est seul propre à justifier la place de la femme du champ de la réalité et de l’hétéros, du champ du réel, même si les hommes différent des femmes. C’est un fondement pour Lacan quand il formule qu’une femme n’est pas toute phallique, d’un côté, oui, d’un autre, pas toute.

Le lieu de l’Autre n’est justement pas le lieu où la vie est un ensemble de force qui mène à la mort. Il n’y a pas ce « au-moins-un » en tant qu’il commande la castration car il n’y a pas d’ancêtre dans ce lieu Autre à qui devoir doit être rendu. Dans ce lieu, la mort est toujours un accident mais dans le cas d’une mort naturelle.
Un deuil pour une femme n’est pas vécu de la même manière que pour un homme. Nous sommes, même ici dans cette école, pris par cette distinction hétéro des positions subjectives des hommes et des femmes. Est-ce qu’un sujet a un sexe ? Non. Alors quand j’évoque la subjectivité, je parle de quoi ?

En revanche, nous pouvons nous servir de supports topologiques pour repérer les différentes dispositions des hommes et des femmes et observer qu’en psychopathologie, c’est toujours différent dans chaque cas. Il est étrange que l’on focalise sur la féminité et l’hystérie mais il est évident que la mise en place différenciée de l’homme et de la femme nécessite des réponses différenciées.
On y voit le type de défrichement que cela réclame et c’est à l’origine de l’établissement de notre école, il y a tout à faire.

Oui, il y a un effet de scandale à ce que la féminité soit vécue comme un déficit, avec ce paradoxe que cette opération soit soutenue par la fille-ation, soit la relation au père. C’est que les fils, ces fameux préférés du père, ils lui en veulent à mort, c’est ça l’Œdipe. Ils sont choisis, élus, et ils se font un bon Œdipe. Alors que les filles, maltraitées, elles, elles aiment le père au point de fonctionner comme le meilleur des fils. D’autant meilleur qu’il est dénué des avatars de l’Œdipe, c’est l ‘amour parfait.

Celui a qui on a légué le sceptre, ça y est, est embrigadé, pris dans la série. Tandis qu’elle, démunie, garde l’espoir d’une reconnaissance qui, éventuellement, lui vaudrait cette délégation.
C’est un curieux fait de culture, cette méconnaissance maintenue sur cette articulation qu’une femme n’en doit pas moins à la filiation paternelle qu’à cette filiation réputée modèle, différente quoique tout aussi valable, sur laquelle nous devons continuer à réfléchir. Merci.

21 décembre 2011

Marcel GAUCHET 17 11 2011 histoire de la psychanalyse

Marcel GAUCHET, 17 11 2011.

Notre travail est centré sur la névrose, sur comment ce concept est, à partir de Freud, décisif, et cela sur plusieurs front. C'est ce qui est le plus éclatant même s'il y a quelque effet d'obscurité.
Sur le front de l'hystérie, une des premières obscurités est cet effet de captation de la lumière par l'hystérie, apanage de la neurologie naissante, qui eu un effet de relégation sur l'autre branche, celle de la psychologie, mise en demeure de questionner le rapport entre la folie et la conscience.
L'étude de l'hystérie fut facilitée par une unité de lieu dont le théâtre principal, familier aux parisiens de l'époque, est la Salpêtrière de Charcot. Freud s'y attache dés 1885, mais c'est la clinique neurologique de Charcot qui a pu séparer les deux hystéries. Ils ne sont pas seuls, l'Italie, l'Angleterre se consacre également à des études mais Charcot est le leader et la Salpêtrière, le foyer vers lequel convergent tous les regards. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle un jeune neurologue viennois, Freud, n'aura de cesse de batailler pour obtenir une bourse et monter à Paris, pour y trouver ce qui se fait de mieux en ce domaine. Charcot est exemplaire dans l'exploration de l'hystérie.

Cette unité de lieu a des avantages mais aussi des inconvénients. C'est le poids de la légende de Charcot vers 1870, 1880. A la lettre, il y a une hystérisation du travail de la Salpêtrière qui fait écran à la compréhension de son histoire et qui mériterait une étude à elle seule. Elle serait révélatrice de la dette de la psychanalyse à l’égard du travail de Charcot.
Un corpus littéraire, romanesque, événementiel, iconographique, à cette époque, 1880, au contexte particulier, constitue un théâtre de l’hystérie exalté, démultiplié, qui fait écran à ce qui serait de la réalité. Déterminant à ce point de vue, était la production iconographique de la Salpêtrière elle-même et le rôle qui jouait l’image au tout début de la photographie médicale. Précurseur en la matière, leur production fait écran dans la mesure où on croit y lire quelque chose mais qu’elle en cache quelque chose. Voir ce fameux tableau de Brouillet, « Une leçon clinique à la Salpêtrière », lithographié et distribué dans les manuels scolaire, devenu l’icône obligatoire pour les illustrés. Cela constitue un corpus à part entière et, pourquoi pas, un symptôme dont l’importance nécessiterait une étude.

Mais nous voulons retrouver les choses qui se sont réellement passées et qui expliqueraient cette légende. Il existe cependant une possibilité pour retrouver ces faits, ce qui rend plus mystérieux la persistance de cette légende. Une possibilité unique, c’est l’ensemble de la production bibliographique de Charcot, conservé et accessible à la consultation. En dépit de cet illustre sujet, il n’y a pas beaucoup de visiteur pour travailler dans le désordre, le fatras de ce stock sans inventaire. Nous y sommes allés avec Bénédicte Sven en 1984 et avons fait un séminaire à ce sujet avec Jean Louis Signant et Jacques Gacé de Lausanne, « Aux origines du cerveau moderne » qui décrit Charcot comme un grand explorateur. Après la mort de Sven, j’ai publié, en 1997, « Le vrai Charcot », sur ce séminaire. C’est un essai basé sur les papiers de Charcot, c’est à dire sur des dossiers médicaux. Charcot lisait tout, dans toutes les langues. Il faisait systématiquement des séries de manuscrits pour chacun de ses cours et qui comportaient un plan, un sommaire, une version lue et une version finale. Un vrai travail de bucheron.

Notre essai à reconstruit du chemin de Charcot un parcours éloquent. Il n’existait pas de doctrine à la Salpêtrière. C’est le grand péché des travaux à ce sujet. Ils cherchent une doctrine de la Salpêtrière mais il n’existe que télescopage d’étapes très différenciée dans la pensée de Charcot. C’est un clinicien, il ne connait que les cas, positiviste, les analyses de cas et c’est sur cette base qu’il évoluera dans sa théorisation. Il est d’abord un clinicien et, en vingt ans, son évolution est énorme.

Ce trajet comporte nombre d’étapes et de complications. Nous n’en choisirons que deux. Mais je veux d’abord attirer votre attention sur une illustration récente, anecdotique, pour vous montrer jusqu’où la fascination pour l’hystérie pousse à l’erreur.
Dans le tome 1 de « Histoire de la sexualité », page 73, Michel Foucault, dans une note, évoque le théâtre de l’hystérie à l’aide d’un document explicite illustrant la séance du 23 novembre 1877 où Charcot présentait une malade hystérique. A l’aide d’un bâton apposé sur les ovaires, il calme une contracture hystérique. Il retire le bâton, la crise reprend. Une citation manuscrite, au bas du document, stipule « La pensée disparait, l’hystérie continue ». Or, rien de pareil n’existe dans les archives de Charcot.
Ce document aurait été volé ? Non, car aucun texte ne le mentionne alors qu’un compte rendu extérieur était systématique quand Charcot faisait sa leçon, leçon qu’il déclinait lui-même, on l’a vu, en plusieurs supports écrits. De plus, Foucault n’a jamais mis les pieds dans cette bibliothèque.

La conclusion s’impose. Ce document lui a été communiqué par quelqu’un qui l’a fabriqué. Ce document possède des éléments de vérité mais surtout la marque de l’hystérisation du disciple. Il est totalement non plausible par rapport à l’époque et aux enjeux de l’époque. C’est une légende et en cela, matériau pour une histoire qui la mérite où l’on voit la force de l’hystérie en ce domaine.

Le devenir de la notion de névrose au 19e siècle comporte plusieurs axes de démembrement.

Le paradigme anatomo-clinique va faire reculer la démarche nosographique où elle s’inscrivait. Les névroses du début du 19e siècle, telle qu’un Pinel les voyait, laisse place aux névroses au sens étroit du triptyque constitué par l’épilepsie, l’hystérie et l’hypocondrie. Il y a un resserrement du cadre de Cullen.

Il y a la disparition progressive de l’hypocondrie corrélative au progrès de la médecine. L’hypocondre est le centre vital de l’organisme. Il s’agit d’un viscère sous les côtes où sont concentrées les humeurs et les coctions. C’est de cette anatomie imaginaire que le vitalisme déduit les centres épigastriques qui préfigurent les centres nerveux auxquelles Pinel, premier aliéniste, rattachera la racine de l’aliénation mentale. Cette notion, en tombant, laisse une place pour l’inquiétude psychologique et culturelle, sans plus le support d’un substrat organique. L’hypocondrie sera supplée en 1860, 1870, par la neurasthénie, qui remplira la brèche, le vide, laissé par l’ancienne hypocondrie.

Axe crucial, l’appropriation, par la neurologie, de l’épilepsie. Cette maladie est spécifiée pour en faire une classe à part entière grâce notamment aux études fines de J.E. Jackson en 1860, 1870. C’est l’élaboration de l’analyse moderne du système nerveux en termes de fonction, à la base, entre autre, de la psychologie organo-dynamique d’un Henry Ey. Un texte charnière de 1830 expose en trente pages une méthode qui constitue une étape entre deux époques et le point de départ d’une ère positiviste. C’est également le point de départ de Charcot dans le domaine de l’hystérie mais avec des résultats un peu différents.

Le quatrième axe est ce débat interminable entre les anciens et les nouveaux. L’hystérie utérine et féminine contre la théorie nerveuse. L’effervescence autour de ses études relance le vieux débat. La suffocation de cet animal qu’est l’utérus, la suffocation de la matrice ne relève plus désormais de la lecture du système nerveux mais on accepte, pour les organes génitaux, ce qu’il convient pour laisser cette maladie, spécifiquement, aux femmes. C’est la fin de la maladie « utérine » qui a été remplacée par la maladie « ovarienne », mais c’est pareil. Cela ne change rien puisque ce n’est pas là que ça se passe.

Charcot débutera par cette théorie ovarienne mais accompagnée d’une théorie cérébrale de l’hystérie qui la rend susceptible d’être une maladie pour les hommes aussi. Il est néanmoins ridicule d’interpréter Charcot dans le sens d’un progressiste ou d’un réactionnaire car il est enfermé dans le souci de l’époque. Les études sur hystérie provoquent une double appréhension des symptômes. Les accidents locaux, périphériques, contractures, paralysies, et les symptômes généraux, convulsions, anesthésies, oblige à imaginer un support cérébral. Le vieux débat peut durer toujours, il faut donc changer la donne. Voilà ce qui constitue la toile de fond du travail de Charcot.

A ces éléments s’ajoute un élément supplémentaire qui explique la construction de cette légende. Quand Charcot s’intéresse à l’hystérie, ce n’est pas par choix. Il se passe quelque chose dans la culture des années 1870, 1900, qui agit comme un aimant vers l’hystérie et dans laquelle Charcot est pris. C’est une véritable explosion, on n’en a jamais autant parlé que dans ces années-là.
Nous partons de ce domaine des névroses où il n’y a pas qu’une hystérie mais quatre, prodigieusement actives à ce temps-là.

Il y a l’hystérie des spécialistes des maladies des femmes. C’est le gros du corpus, un sujet énorme qui se portera très bien jusqu’en 1914, 1918.
Il y a l’hystérie des spécialistes des maladies nerveuses qui se prolongera dans notre neurologie.
Il y a l’hystérie des aliénistes dont l’objet est la folie hystérique qui était massivement comme jamais en cette fin du 19e siècle.
Il y a enfin le discours social sur l’hystérie que l’on observe lors de procès retentissants où le discours médico-légale devant les tribunaux défend les thèses de responsabilité ou d’irresponsabilité.

L’hystérie est un thème dominant la culture populaire, la culture générale et la culture scientifique de l’époque. Mais il y a derrière cette explosion de la question de l’hystérie, la question du féminin et de la dé-symbolisation de la position féminine. C’est cette question qui permit le mouvement de libération des femmes dont la libération socialiste ouvrière est le fer de lance.

La clé symbolique de la domination masculine tenait dans la question de la parenté dans son aspect anthropologique fondamental. La question de la reproduction de la société, biologiquement et culturellement. Nous, pour qui la famille s’est dés-institutionnalisée et se réduit au couple, avons du mal à comprendre cette institution de la parenté. C’est à cette époque qu’il y eu crise de l’ordre symbolique ancien qui a fini par craquer et dont la décomposition a traversé tout le 20e siècle.

L’institution de la famille est ce nœud où sont attribuées la reproduction et la biologie aux femmes, et la culture aux hommes. Cela semble simplificateur mais le but est de montrer l’enjeu. La reproduction biologique est sous la domination de la reproduction culturelle, ce qui implique la domination masculine. Aux femmes, la nature, aux hommes, la culture.
Le souci est que cela provoque un clivage. La femme est double, clivée du fait de son appartenance à la fois à la biologie et, à la fois, à la culture. Elle est dans le social et elle est mère. D’où son statut spécial, les forces impersonnelles du vivant, qui assure la reproduction, représentent quelque chose qui la dépassent et qui la submerge, c’est la maladie. La prise du pouvoir de la nature, de la force vitale de la matrice sur la personne porteuse de cette puissance. C’est la révolte de l’animal qui fait de l’hystérie le symbole de la femme par excellence, qui se soustrait sous l’effet des forces vitales qui l’habitent.
Un Michelet, par exemple, a écrit un « La femme » qui est un hymne à la femme tout entier dans ce fantasme millénaire qui justifie le prix prodigieux à accorder aux femmes et la nécessité de la protéger. La protéger c’est à dire aussi lui attribuer un statut subordonné.

L’hystérie vient à cette charnière où cette symbolisation archi-millénaire du féminin, le statut juridique, les représentations sociales et les avancées dans le domaine du système nerveux, commence à se décomposer au cours des trois dernières décennies du 19e siècle.
Le moment Charcot est la jonction de ces configurations de la notion d’hystérie où l’ancienne ne tient plus. Il est contemporain de l’approche scientifique qui permit la construction du système nerveux sur laquelle nous nous fondons encore actuellement.

Voici quelques traits encore pour situer les grandes lignes du parcours de Charcot. Il y deux temps distincts sur le front de l’hystérie.

Sa première publication date de 1865. En 1883, il est élu à l’Académie des sciences. Excusez du peu, c’est mieux que la médecine. Et cela, un an après la création d’une chaire des maladies nerveuses à l’Académie de médecine. 1865 est le moment où se rattache la légende, le moment triomphal du positivisme en neurologie. Il est mort en 1893.
Ses dix dernières années, de 1883 à 1993, sont les moins connues de son histoire alors que c’est au cours de cette période que Charcot a été littéralement le créateur de l’hystérie en ce sens qu’il a ouvert la notion d’hystérie à la psychologie que nous connaissons actuellement.

Mais avant d’analyser le travail de Charcot, voyons ses conditions de travail.
Charcot a opéré un tour de force institutionnel. C’était un personnage complexe que ce monsieur. Il est arrivé à la force des poignets. Il est nommé en 1962 à un poste peu glorieux de responsable d’un hospice pour vielle femme où l’on recueille également des malades et d’autres personnes âgées. C’est un poste peu enviable, dont personne ne veut, un poste ingrat dont on hérite en début de carrière et qu’on s’empresse de quitter. Mais Charcot le transforme en hôpital moderne, au sens actuel, sur la base de spécialité médicale, en précurseur. Cette organisation n’existait qu’en chirurgie mais à l’hospice, on soignait tous les gens qui ne pouvaient pas se soigner chez eux. Charcot à inventer la pédiatrie, la neurologie dans le service hospitalier ce qui nous semble familier mais nous cache les détours de son tout premier frayage.

On meurt énormément à cette époque. On pratique beaucoup d’autopsies et il y a une grande hétérogénéité des maladies. Charcot a conscience de cet avantage, surtout en ce qui concerne les maladies chroniques, celles qu’on connaissait le moins et dont, à la différence des maladies aigues, on ne meurt pas. Voire Lelouch pour un Charcot pionnier de la gériatrie.

C’est dans ce contexte que Charcot rencontre l’hystérie avec ses symptômes neurologique et ses attaques convulsives. Petit à petit, il se construit une clinique des maladies nerveuses ainsi qu’une clientèle qui afflue pour se faire soigner.
Son bras armé, sans lequel il ne pourrait rien, est un certain Bournonville. Aliéniste hors du commun, c’est un véritable entrepreneur médical et notamment dans la presse médicale, il crée ce qui constituera l’iconographie de la Salpêtrière, pionnier dans les nouvelles techniques photographiques. Son journal « Le progrès médical » et ses archives de neurologie étaient considéré comme le top de l’époque. Militant républicain radical pour le Paris rouge, il sera élu député.

Charcot sait travailler en équipe, il sait se faire entourer et, grâce à aux relations politiques de Bournonville, il transforme son hospice en hôpital et fait financer par la ville un amphithéâtre, des salles d’examen, etc. Une raison idéologique est à l’œuvre. La question sociale y est ressentie comme telle et l’institution engage le politique. L’hystérie est une arme de combat pour l’anticléricalisme qui ôte au miraculeux pour confier à la science les réponses à la maladie. C’est ce qu’il faut retenir pour comprendre cet investissement autour de la Salpêtrière. C’est la prise du scientifique dans l’idéologie qui produira la légende de Charcot.

Nous verrons comment, modestement au début, se déroulera un itinéraire qui aboutira à la notion moderne d’inconscient, mot que l’on trouve déjà sous sa plume et de manière significative. Merci.

20 décembre 2011

Jean Christophe CATHELINEAU 14 11 2011 Pascal

Cathelineau 14 11 2011 le pari de Pascal
C'est un livret à part, en quatre morceaux, détaché de son œuvre, dont le destinataire est le libertin, celui à qui on ne la fait pas, et à qui on ne peut faire valoir la vérité que par rapport à son intérêt, un intérêt rationnel. Le libertin n'a pas la foi mais il serait susceptible d'y accéder par la raison.
Sa démonstration vise à persuader de l'intérêt de la foi.
Le titre concerne l'infini et le rien. Un sacré titre, une thèse et une antithèse. L'infini est cette suite des entiers naturels. Ils devraient nous aider à réfléchir sur le divin et sur l'infini divin. Le rien, précisément est ce qui est fini en regard de l'infini. Au regard d'une suite sans fin de nombres, toutes suites finies n'est rien. Nous le verrons à propos de la finitude et notamment de l'âme située dans le corps.
On ne croit que ce qu'on éprouve du fait du corps, c'est le point de départ du libertin. Au-delà de ce qui est éprouvé, on ne saurait y croire.

Si un s'ajoute à l'infini, pas d'angoisse, il persiste. Mais le fini s'anéantit en présence de l'infini et devient un pur néant. Le zéro ou n'importe quoi, un, deux, n'est rien par rapport à l'infini. La suite infinie est la métaphore de notre corps en regard du divin. Le modèle mathématique est le point d'appui métaphorique.
Pour le jansénisme, la pensée juste de dieu est que certains hommes sont condamnés du fait du péché originel et c'est la majorité d'entre eux. Mais cette justice est moins choquante qu'une miséricorde qui ne serait accordée qu'à une minorité d'élu car un certains nombre échappe à cette malédiction du fait de la miséricorde de dieu. Pourquoi ? Personne ne le sait. Pascal lui-même portait un petit papier autour du coup où il était écrit "Joie, pleure de joie", car lui-même était un élu.

L'infini n'est ni pair ni impaire. Cependant c'est un nombre et tout nombre est pair ou impair. Nous connaissons l'existence de l'infini mais nous ne savons pas sa nature. D'où "faire un impair", c'est de la logique. Ajouter une unité ne nous renseigne pas plus. Notre rapport à la mathématique est du même ordre que notre relation à dieu. Nous connaissons qu'il y a dieu mais rien de sa nature car il n'a ni étendue ni borne. Notre connaissance est en fait une croyance, c'est la foi qui fait que nous le connaissons. Il s'agit d'une rupture théologique à la mode à cette époque, voire notamment Descartes.

La preuve ontologique de dieu, il la refuse. Il refuse cette idée de preuve rationnelle de l’existence de dieu. Pour lui, dieu ne relève que de la foi, et dans cette foi, la contemplation, la gloire de dieu. Il part de cette foi pour ensuite opérer une rupture dans son texte. S’adressant au libertin, il met la foi de côté et a recours aux lumières naturelle, de la raison sans la foi.
Si dieu existe, alors il est incompréhensible. Ca, c’est rationnel et admissible. On ne sait ni s’il est ni s’il n’est pas. C’est un dieu caché. Entre dieu et sa créature, il n’y a aucun rapport sauf la révélation. C’est de sa nature qu’il n’y a aucun rapport.

Saint Paul pose que croire en dieu est une folie, voire une sottise. La croyance ne repose que sur la croyance. Il est de la destinée des chrétiens de ne pouvoir rendre raison de cette croyance dans la tradition paulinienne. C’est en choisissant délibérément la folie de la foi, la croyance, que le croyant reste au plus près de ce qui relève du divin et donc, récuse l’idée même de preuve. Mais si on récuse l’idée même de preuve, quelle voie rationnelle reste-t-il pour aborder le divin ? Cette voie rationnelle est celle de Descartes, voie rationnelle, non ontologique, c’est celle du jeu.
Or les libertins sont joueurs et cette passion incite au calcul. La question de dieu, non ontologique, pourrait être comme un calcul, en fonction d’un intérêt. Est-ce que j’ai intérêt ou non à croire en dieu ?

Il est ou pas et la raison ne peut rien déterminer. Mais voilà la question : Dois-je parier qu’il est ou qu’il n’est pas, du point de vue de mon intérêt ? Du point de vue de mon intérêt personnel, quel est le meilleur choix ? Sachant qu’aucune démonstration ne peut me renseigner.

A l’issue de l’infini, il arrivera croix ou pile, pile ou face, c’est à dire qu’il y a une chance sur deux qu’il y soit. Alors, que gagerez-vous ? Qu’êtes-vous prêts à miser ? Par raison, ni l’un ni l’autre. Conséquemment, au début du pari, il conseille de ne pas s’engager à jouer, d’être en dehors de la table de jeu. Le juste est de ne point parier car les deux sont en faute. On peut, avant le jeu, refuser de jouer et Lacan reprendra ce refus de manière précise.
Celui qui choisit et l’autre sont en faute tous les deux, ils sont dans la méconnaissance de dieu. Ici, Pascal se fait l’avocat du diable, des libertins. Pourquoi parierais-je face à une telle incertitude ?
Oui, mais ...
Oui. Mais il faut parier. On n'a pas le choix, c’est la dimension de l’existence, propre au sujet. Vous êtes embarqué et, ce jeu, vous le jouez déjà, vous êtes assis à la table du jeu. Et de cette idée, Lacan va en tirer parti.
Il y a deux choses à perdre : Le vrai et le bien. Et deux choses à engager : La raison et la volonté, la possibilité de choisir. Deux choses à ne pas fuir, la méconnaissance et la béatitude.
Si vous perdez, dans ce pari, c’est le bien et le vrai. La raison quant à elle n’est pas blessée par le calcul, elle n’est pas en contradiction avec le processus du choix et la méconnaissance est le complément de la raison, comme la béatitude est complémentaire de la bonté, du bien. Voilà l’enjeu, c’est la félicité éternelle promise à celui qui rencontre dieu. Ce qui est joué concerne votre félicité éternelle. Voilà la mise en place d’un système de gain et de perte.

Pour jouer, il faut établir l’existence du partenaire. Ce qui est curieux c’est que ce n’est pas n’importe quel partenaire, c’est dieu. Donc on pose son existence, on engage une mise et on récupère un bien. Sa thèse est que si vous gagnez, vous gagnez tout. Car si vous dites qu’il est et qu’il est vraiment, c’est un gain total. Et si vous perdez, vous ne perdez rien. Car la mise n’est rien par rapport à la supposition de l'infini.
Donc le pari possède une mise, votre vie, qui n’est rien, et la perte est ce rien.
Alors pas d’hésitation. Oui, il faut gager, dit le libertin. Mais ...

L’idée de gager une vie est un problème, on a une chance sur deux, soit 0,5.
Gager deux vies est d’une meilleure espérance mathématique. Une chance sur deux et on a deux vie, donc 2 x 0,5 = 1. Le pari est équitable.
Gager trois vies donne 3 x 0,5 = 1,5. Le pari est avantageux.
Gager une infinité de vie est donc encore mieux car 0,5 x l’infini constituent une espérance infinie, l’espérance d’une éternité de bonheur.
Il est donc aberrant de ne pas parier pour dieu car la vie n’est rien, donc ça vaut le coup.

Voici le plus énigmatique. La mise pour Lacan est l’objet petit a, auquel nous arrivons à renoncer du fait de notre engagement dans un discours. Or qu’est-il en regard de la vie infiniment heureuse qui nous est promise ? Pour Lacan, l’objet petit a n’est rien mais il faut le noter d’un nombre : Le zéro.
Zéro comme mise, infini comme gain. Pour Pascal, cette vie au plaisir empesté n’est rien car elle est marquée par sa finitude, rien par rapport à l’infini. Pour Lacan, cet infini est celui à partir duquel devient zéro notre vie, l’objet petit a, et l’existence du partenaire est posée comme grand Autre non barré. Il ne s’agit pas d’y croire, Lacan pose cette hypothèse du pari pour en parier un autre.

Cette idée mathématique à partir de la succession des trois vies en gage, cette idée nous ôte tout parti. En référence aux mathématiques, Pascal et le chevalier De Méré ont échangé une dizaine de pages qui ne concerne que la règle des partis. "Parti" est un substantif qui dérive de partir. Au 16e siècle, il signifiait encore "partager". Il s'agit de la juste répartition des mises lorsqu'une partie s'interrompt.
Par exemple, dans un jeu de dés, on s'arrête au quatrième tour. Mais si on s'arrête au troisième tour ? Quelle sera la règle pour redistribuer les mises ?

Deux joueurs disposent de 32 pistoles chacun. Le gain est de 4 pistoles au bout de quatre coups. Comment vont se répartir les mises ? Il faut raisonner sur la prochaine partie. Si je gagne, tout va bien, j'encaisse 64 pistoles. Ou alors, j'ai une chance sur deux, je gagne ou pas, et cela me rapporte 32 pistoles. Mais dans la mesure où j'ai également perdu 32 pistoles je recevrai la moitié des gains soit :
32 + 16 = 48.

Le résultat est donc à concurrence de l'espérance de gain. Et cela dans toute partie puisque l’espérance est infinie. Il en résulte que la règle des partis est inapplicable. Mais si tout est donné et que la raison s'est faite oubliée, il ne sert à rien de ratiociner. Tout joueur hasarde avec certitude pour gagner avec incertitude. Il y a lieu d’un point d’équilibre entre se permettre d’hasarder et se permettre d’espérer.

Pour Lacan, la mise est nulle par rapport à l’espérance. Le parti est cette impossible proportion de ce qu’il faut pour parier sur dieu. Il y a chez Lacan une matrice implicite.
Lacan s'interroge sur le pari de Pascal. Si dieu n'existe pas, noté grand A barré, et que je renonce à l'objet, je perds ma vie et je ne gagne rien. Pascal envisageait déjà cette mise pour un gain nul.
Si vous perdez, vous ne perdez rien, noté -a, 0.


Pour Lacan, le petit a, je peux le perdre, pourquoi pas. Est-ce que ça vaut la peine de se donner tant de mal pour le garder ? La vie n'est rien, il peut être intéressant de la perdre pour rien car si l'on garde l'objet, on perd phi, noté -phi, c'est à dire l'enfer. C'est ce que risque le libertin qui parie contre dieu et garde son objet. C'est noté a, -phi.
L'enfer est, pour Lacan, ce qu'on passe notre temps à vivre pour étancher l'objet petit a. Son interprétation n'est plus théologique mais psychopathologique. Ne pas renoncer à l'objet, c'est l'enfer, voire pire, la psychose.

On pourrait préférer garder l'objet au prix de la perte, sage, pépère. Mais Lacan profite du pari pour montrer le jeu sérieux de l'existence et le destin de l'objet petit a. Il introduit la dimension de la perte de l'objet petit a, noté -a, 0.
Cette perte s'adresse au croyant. Le plus de jouissance attendu de l'objet petit a, est modulé par la question de la norme, la loi qui commande la jouissance maternelle, l'interdit. Il y a à parier sur le non et à renoncer à l'objet, sauf à se destiner à une infinité de vie malheureuse. Le pari de Pascal est théologique mais il est aussi la métaphore de l'existence humaine dans la mesure où il touche à une certaine vérité de l'objet petit a, allusion faite à la question de la jouissance Autre sur son versant destructeur.

Mais à quoi correspond le noté a, 0 ? A celui qui parie contre dieu, contre l'Autre, en refusant de rentrer dans le jeu. A cette question, Pascal répond que nous sommes embarqués, mais son hypothèse philosophique est qu'il est possible de n'y pas rentrer.
Pour Lacan, dés la table du jeu, chacun est déjà objet petit a. Ne pas s'engager est une hypothèse fictive car tout est déterminé par ce "déjà embarqué" à titre d'objet petit a.

Reprenons le dieu des philosophes et la preuve ontologique. Selon Saint Anselme, l'essence de dieu est parfaite, donc il contient tous les attributs dont l'existence, donc il existe. C'est très éloigné de l'option que prend Pascal.
Pour Kant, la preuve ontologique n'a de sens que dans le temps et l'espace. Or, dieu est hors du temps et de l'espace, donc Kant, comme Pascal, réfute l'argument : l'existence est nécessaire pour percevoir. Pascal, effectivement, postule d'un en-dehors du temps et de l'espace et du concept de philosophie.
Il s'agit d'un dieu qui ne relève d'aucun savoir, inscrit dans la tradition de l'écriture sainte, c'est à dire de la foi. Il y a un rapport entre le dieu auquel on croit et le grand Autre tel que la psychanalyse le conçoit, et tel que, même si l'on peut l'écrire grand A barré, il y a d'abord la dimension du grand Autre comme dimension à laquelle on croit. Et cela, malgré qu'on en saisisse, comme Pascal, quelque chose.

La règle des parties montre que l'enjeu de l'existence est peut-être calculable. Pascal poursuit ce rêve d'un sujet calculable dont il serait possible de prévoir les gains et les pertes. La question se pose en cours de partie, de vie. Qu'est-ce qui revient à soi et qu'est-ce qui revient à l'autre, voilà le sens clinique de la règle des parties, comme on peut le lire dans le séminaire "D'un autre à l'autre". C'est ce qu'il y a de propédeutique dans l'interrogation de Pascal. De tout ce qu'il en dit, aucune réponse. Et quand la partie s'interrompt, c'est trop tard.

Le joueur, en clinique, n'hésite pas à miser gros, comme le libertin de Pascal. Mais c'est pour récuser une mise initiale, celle de l'Autre. Dans la logique du pari pascalien, c'est différent, le sujet est embarqué, donc il ne peut se situé sur le plan de la récusation même si le destinataire, le libertin, lui-même récuse. Pascal pose un jeu qui ne dépend pas du sujet. Merci.

Jean BRINI 14 11 2011 Surface

14 01 2011 Jean BRINI Surface

De commencer par les surfaces, comment le justifier ? Par un extrait du cours de De Saussure par de L. Gerris, 1910, qui est au cœur de la question. Cette citation contient tout le reste qui suit. Au chapitre 4, il définit la pensée comme une nébuleuse, non délimitée, pour laquelle il est nécessaire qu'il n'y ait pas de distinction avant la langue. Pas de moule mais une matière souple, plastique, qui fournira le signifiant. D'où ce dessin, les deux continuums :

Comme l'air et l'eau, si l'atmosphère change, ça fait des vagues : C'est l'idée de l'accouplement de la pensée à la matière phonique.
Cette métaphore a quelque chose de puissant. Qu'est-ce qu'une vague ? C'est là mais elle se déplace. Une vague n'est rien d'autre qu'une différence qui se ballade. Un signifiant, c'est un peu comme une vague, il ne vaut que par la différence baladeuse.
Néanmoins, une vague, ce n'est ni l'air ni l'eau. C'est discret mais cependant désignable. Il y en a une ou pas. Il n'y a pas plus ou moins une vague. Voilà pourquoi le signifiant se déploie en un lieu que De Saussure appelle une interface, entre deux continuum, quelque chose qui se déploie dans ou sur une surface.
Cette métaphore nous introduit à cette question. La surface, en quoi consiste-t-elle ? Pour le parlêtre surtout, quelle est sa forme ? De Saussure, du fait de cette découpe, dit du langage que ce n’est pas une substance mais une forme. Cela dit, il ne va pas plus loin. Pour lui, le langage est comme une feuille de papier, avec un recto et un verso, dépendant l’un de l’autre, c’est à dire une combinaison dont se produit une chaîne signifiante.
Mais est-ce qu’une surface est nécessairement une feuille de papier ? Il y a une objection. Le langage se déploie en un lieu fini car le signifiant est limité. Il s’agit d’une dune de vie limitée. La finitude critique la métaphore de la feuille.

Pourquoi s’intéresser à la surface ? Dans « Fonction et champ de la parole et du langage », Lacan dit que le langage est un champ. Est-ce sérieux ? Oui, si nous définissons ce champ.
En mathématique un champ se définit avec deux choses. Un espace et une fonction qui associe à chaque point de cet espace un truc. Par exemple, un nombre. Pour la température d’une pièce, nous associerons un nombre à chaque point de l’espace de la pièce pour décrire qu’il fait chaud en haut et froid en bas.
On peut trouver plus compliqué qu’un nombre. Par exemple, un vecteur. Lorsqu’un fleuve rencontre une pile de pont, le champ de la vitesse décrit à Tt la surface du fleuve.

Autre exemple, le champ attractif du soleil, où ce n’est plus la vitesse de l’eau mais la force qui attire chaque masse.

Dans la Traumdeuntung, quand Freud analyse un rêve, il s’aperçoit qu’il est très difficile de demander au patient de recommencer son récit. C’est toujours différent. En fait, ce sont les différences qui sont les plus importantes. Le patient traduit à nouveau son rêve, pour se défendre et déguiser, pour Freud, ce qu’il en est.

Le récit est une trajectoire dans un espace où la répétition observe des déviations appelées centre répulsif en physique. D'où cette idée que le langage est un champ, idée que l'on trouve déjà chez Freud. Il y a cette expression importante de Freud : "Le patient remplace une expression par une autre plus éloignée". On y entend la notion de distance. Dans toute langue, il y a des proximités et des distances qui appartiennent, non au sujet mais, à la langue, des écarts entre les mots, les sonorités, les significations.
Ici, il est possible de faire une critique de la topologie. La géométrie est sans distance. Une déformation n'empêche pas l'identique. Une sphère percée n'est qu'un disque, par exemple, ce qui n'a rien à voir avec le proche et le lointain. Néanmoins, avec Lacan, lorsqu'on approche l'objet petit a, de quelle nature est cette approche ? Je me pose la question.

Une autre justification de cette question des surfaces est cette assertion de Lacan : Quoi d'étonnant à parler comme d'une surface de l'appareil nerveux tel que Freud le décrit dans l'Esquisse, car tout ce qui est réseau s'apparente, est réductible à, une surface et peut s'écrire sur une feuille de papier. Ce dernier point est faux. Mais que le réseau soit une surface, ça c'est vrai. En mathématique, c'est la théorie topologique des graphes, dont la question est, si un ensemble de points sont reliés par des traits, sur quelle surface ce graphe peut-il s'écrire ? Cette question est sous-tendue par ce théorème : Tout graphe, c'est à dire la place d'un réel, un circuit électrique par exemple, tout graphe peut s'inscrire sur une surface qui est nécessairement un tore comportant un certains nombre de trou.

Voici une question classique en topologie : Comment relier trois maisons à trois usines en évitant que les conduites se croisent ? C'est impossible. Il y a toujours quelque chose qui coince sauf à l'établir sur une surface torique. Les liaisons peuvent passer par le trou du tore. Ce qui veut dire qu'il y a plus de place sur un tore, du fait du trou, que sur une sphère. Le graphe de surface est une sphère. Et plus on a de trou, plus on a de place.

Quand Lacan évoque le réseau de neurones, comme Freud dans l'Esquisse, il note que, neurone ou signifiant, ça ne fait aucune différence pour Freud. Dans l'oubli du nom de Signorelli, par exemple, la raison de l'oubli dégage un réseau : Trafoi, Boltraffio, Signorelli, etc. Et ce réseau questionne la topologie des graphes. Quel est la surface sur laquelle ce réseau peut se déployer ?

Je n'ai pas l'intention de développer ici une théorie topologique des surfaces mais simplement, de développer quelques surfaces, les plus utilisées, pas trop abstraites, mais quand même, c'est assez touffu, alors n'hésitez pas à me poser des questions.

Il y a de nombreuses définitions d'une surface. Nous laissons les définitions intuitives pour les mathématiques. Une surface est un espace topologique. Ceci suppose un voisinage car cet espace est séparé des autres espaces. Un espace topologique dont chaque point possède un voisinage homéomorphe à R2. Qu'est-ce à dire ? Si on fait un zoom avant sur une surface, vous avez quelque chose comme un plan. Et si R est un ensemble de nombre réel et si R2 est un couple de R, alors un plan est descriptible à R2. Si je m'approche de deux points, A et B, il existe deux voisinages dont l'intersection est vide quelque soit la surface.

Tous, nous percevons ce voisinage bizarre dans une langue étrangère, par exemple entre Brwed et Bred. La perception d'un voisinage différent montre que ce qui est séparable pour les uns ne les pas pour les autres. Si le langage est une surface, la séparabilité de tous les éléments du langage est une question personnelle.

Après ce préalable, passons à quelques surfaces familières. Brièvement, la sphère. Et cette questions : La feuille de De Saussure, a-t-elle un bord, va-t-elle s'arrêter à un endroit ou va-t-elle à l'infini ? Le langage a-t-il un bord ? C'est difficile à imaginer. Une surface sans bord, c'est une sphère. Le langage est-il sphérique ? La sphère est une notion peu évidente car c'est fini sans être limité. C'est tout différent d'un pays avec des frontières et une surface limitée. Pour une sphère, pas de frontières cependant que le nombre est limité à sa surface. Sa surface est finie mais sans limite appréhendable. Ses frontières sont introuvables. Aucun moyen, comme on le voit dans les problèmes liés à la mondialisation, ce sont des problèmes de limites.

Prenons comme exemple un syllogisme célèbre : Tous les hommes sont mortels. Socrate est un homme, donc Socrate est mortel.
Nous pouvons le représenter en "extension". Dans l'ensemble des mortels, il y a un sous-ensemble constitué par les hommes, qui contient lui-même un ensemble constitué par Socrate. En extension désigne un ensemble qui contient entre autre quelques x.

Et nous pouvons le représenter en "compréhension". Socrate est, entre autre, un homme. Les hommes sont, entre autre, mortel. En compréhension désigne que parmi les étiquettes, il y en a une qui x.

Il s'agit de deux façons très différentes de se représenter le syllogisme. Utiliser les petites lettres d'Aristote n'y change rien, c'est pareil. Il n'y a pas de contradiction entre elles si ce n'est qu'il faut choisir. Sur une sphère, les deux dessins sont les mêmes.

Les syllogismes font parties de notre champ du langage. Ils délimitent des territoires sur une surface. Si les signifiants sont représentés sous forme de coupure, non sur un tableau noir, mais sur une sphère, alors leurs effets logiques sont autres que leurs effets sur un tableau noir.
L'idée de départ est que les signifiants, les vagues de De Saussure sont comme une découpe sur une certaines surface. Et cette découpe est ce qui se découpe lors de mon énonciation, quand je dis quelque chose comme là, devant vous, je dis quelque chose, maintenant. Donc, il n'y a pas de modèle de ce qui se passe mais un modèle qui rend compte de ce qui se passe. Cette découpe est ce qui me fait advenir en tant que sujet de l'énonciation.
C'est la question de la découpe de la surface comme primordiale qui engendre la question sur la façon dont on habite le langage.

Avant d'aborder des surfaces plus complexes, notons que le syllogisme, les hommes, les mortels, Socrate, et les petits ronds, c'est ce qu'on utilisait pour l'éducation des princesses mais c'est insuffisant pour rendre compte de la logique du signifiant car l'extension et la compréhension constitue des logiques qui convoquent l'univocité du signifiant. Or, nous l'avons vu, un signifiant est différent de lui-même. L'auto-différence est une des méthodes de Lacan pour en rendre compte, en le représentant par une coupure entre le blanc et le non blanc de la logique booléenne, par exemple. La guerre et la guerre. Tout signifiant a la possibilité de glisser par rapport au signifié.
Il y a une instabilité fondamentale du signifiant. Lacan propose la double boucle qui sera à la base de notre topologie.
Au lieu du blanc ou non blanc, le blanc a des fuites :

Pour Lacan, s'inspirant de Frege, le concept a quelque chose de futile au sens où il fuit comme un tonneau. Begriff, agrippement, il rate toujours un peu son but.
La double boucle encercle quoi ? Ca dépend. De quoi ? De la surface sur laquelle c'est tracé. Mais essayez ça sur une sphère, ça ne passe pas, comme tout à l'heure avec l'exemple du raccord de trois maisons à trois usines. Il faudra comme tout à l'heure un trou pour faire passer, il faudra que ça se coupe.

Il y a un axiome à respecter : La coupure signifiante ne se recoupe pas elle-même. Donc il faut aller chercher un peu plus loin, c'est à dire, plus loin dans la spécification des surfaces. Les surfaces, ça se place, c'est cela qui est merveilleux. Chacune peut être spécifiée, décrite, car une surface est toujours une sphère à laquelle on ajoute un certains nombres de anses. Ca donne une tasse, un tore à un trou. Une tasse à deux anses, c'est un tore à deux trous. Une tasse à n anse, c'est une tasse à n trou. On rajoute un certain nombre de cross cap, un certain nombre de trous.
Avec ça, vous décrivez toutes les surfaces. Il y a des galeries de surfaces sur internet mais ce n'est pas ça qui nous intéresse. Lacan, lui, travaille sur un nombre réduit de surface.

Les surfaces simples de Lacan sont au nombre de quatre. La bande de Moebius, le tore, la bouteille de Klein, le cross cap.
La bande de Moebius est une surface à bord, une ceinture retournée recousue. Elle exprime l'inconscient et le conscient, le désir et la réalité, qui ne s'opposent que localement mais qui restent en continuité sur une bande de Moebius. C'est une réponse à la double inscription, à la levée du refoulement, inscrit toujours à la même place ou ailleurs. Pour Lacan, cette bande représente le refoulé mais aussi la continuité, donc la trajectoire pour aller de l'un à l'autre.
Un premier moyen de la représenter est la ceinture :

Ou un extrait de cross cap :

La bouteille de Klein est un cercle qui s'auto-traverse. Vous trouverez des exemples sur internet. C'est une forme de bande de Moebius mais sans bord. Voici une vue en coupe :

Si sur une surface donnée, la double boucle est impossible sur une sphère, elle est possible avec un trou. Dans le séminaire sur l'identification, il y a des passages très importants sur la découpe signifiante sur telle ou telle surface.

Un autre moyen simple et schématique de représenter les quatre surfaces est de faire un rectangle avec des flèches et que je roule :

Pour la bande de Moebius, les bords sans flèches sont les bords de la ceinture.

Un jeu de couture permet aussi d'appréhender le problème. On cout A et A', 2 et 2', 3 et 3', etc. Au début, tout va bien mais on s'aperçoit vite que ça ne passe pas. Une seule solution, il faut traverser :

Aucune de ces surfaces ne sont des sphères. Elles accueillent chacune la double boucle du signifiant dont l'impact est différent sur chacune d'entre-elles. Merci.