17 septembre 2011

Charles MELMAN 15 09 2011 Savoir et connaissance

Inauguration de l'année 2011 2012 de l'EPHEP.

(...) les chemins qui mènent aux sciences posent des problèmes obscures. Pourtant, les questions majeurs n'ont pas changées depuis l'antiquité.
Il y a un contraste manifeste. Les résultats du progrès de la connaissance reste incertains, voire flou tant que n'aura pas eu lieu un examen, une tempérance. Tout ce prodigieux résultat est destiné à combler le malaise propre à notre espèce.Notre différence radicale d'avec l'animal est ce malaise de notre espèce dans son rapport avec elle-même et dans son rapport avec le monde.
Ce rappel élémentaire suffit à disqualifier les recherches ordinaires fondée sur l'apprentissage issu des expériences sur les animaux. Alors que les animaux ont un parcours tout différent. L'animal n'a pas de malaise dans son rapport à lui-même et au monde. Sauf, avec un regard critique, à vouloir assimiler l'homme et le rat, car cela relève d'une certaine intuition.Il est vrai que tout comme l'homme, le rat prospère, s'entretient, de la pollution. Cette ressemblance s'observe, quand tôt le matin, des personnes, socialement bien lancée, ont la passion de fouiller les poubelles. De même, dans la pratique analytique, la névrose obsessionnelle et son goût pour les détritus, essentiel à son économie libidinale.
Il y a donc bien une intuition qui cherche à s'instruire avec les expériences sur le rat. Sauf que cette expérience se fonde sur une pratique de la récompense. Quand l'animal réussit, il obtient son bout de fromage auquel ses acquits, ses diplômes, lui donnent droit. Si au passage on obtient l'acquisition du comptage, jusqu'à quatre, cinq, voire six coups, soit le nombre nécessaire pour obtenir la récompense, et bien, dans sa vie, à cet animal, ça ne lui donne pas accès au chiffre et au "un", il n'inscrit pas sur une surface le nombre de coup.
Il y a une question qui semble comique : ce contraste, cette différence ne serait-elle aucunement d'ordre sexuel ? Pourtant, du point de vue du rat, tous ces gens qui ne pensent qu'à bouffer ! Du fromage, toujours du fromage. C'est du sexuel refoulé !
Cette carence n'est pas seulement liée au domaine de l'expérimentation qui, s'il s'ouvrait sur cette différence entre l'homme et l'animal, ça ferait un choc ! Il s'y rappellerait que si au animaux la satisfaction biologique est assurée, pour l'homme la satisfaction est toujours espérée, attendue, mais ratée. Nos grandes expérimentations, de notre cage, nous laissent désirer et désirant en vain, avec tous ces paliers brillant de la technologie, supposés traiter ces jouissances, qui tentent de palier à ces insuffisances.
Petite remarque sur la vision 3D dont ont nous ressert le couvert. Elle n'est pas naturelle car notre vision est à 2D et le plus est à trouver dans les coulisses du spectacle. La 3D est une modalité qui nous est étrangère.
En ce qui concerne l'apprentissage et l'acquisition de connaissance, l'enfant,à la différence de l'animal, ne trouve pas en lui de quoi guider son comportement. L'enfant est prématuré, dépendant de soins et cela laissera de manière permanente la trace d'une soumission.
Arrêtons-nous sur cette première acquisition, la sienne, celle du langage, acquisition essentiel à son développement et à sa vie. Il est classique désormais de dire que la mutité de la mère, fusse-t-elle nourricière, a comme conséquence l'autisme. L'acquisition du langage est le temps inaugural, premier, déterminant des acquisitions dans la suite.
Théo avait quatre ou cinq ans quand je l'ai connu. Enfin, connu par l'intermédiaire d'une supervision. Il ne s'exprimait qu'en chantant des chansons de Françis Cabrel ou de Georges Brassens. Les phrases étaient parfaites, poétiques, mais hors contexte et par coeur. Cet enfant avait été élevé dans son parc avec comme seule compagnie un lecteur de cassette. Pour son acquisition du langage, les cassettes ont remplacé les gens, elles étaient sa seule compagnie verbale de la journée.
Conséquences ? Dans ses dessins, il figurait le visage humain comme un rectangle percé de deux trous ! Autre conséquence, l'acquisition de ce langage poétique, brillant, ne lui donnait pas sa place, ne lui donnait pas d'être présent dans l'occasion, ne lui donnait pas l'acquisition du langage. Il ne pouvait que s'y poétiser à longueur de journée et cela, avec l'acceptation d'évidence de toute la famille. Actuellement, ce jeune homme a vingt-cinq ans et est toujours en institution. Il vaut mieux se servir de son anthologie pour lui répondre mais il reste le héros de ses textes.
On peut rappeler l'enfant sauvage, élevé par des animaux, sans langage humain, s'exprimant par des cris, marchant à quatre pattes, malgré les efforts désespérés de son pédagogue dont les efforts n'ont eu d'autres effets que de le faire mourir. Pourquoi ?
Ceci est important : Cet apprentissage du langage par l'enfant, axe essentiel de notre propre espèce, est un savoir indépendant d toutes connaissances et de tout progrès que l'enfant peut avoir. Cette situation d'être "pris dans un savoir", à l'insu du sujet, cette situation reste celle de l'adulte. Nous parlons dans l'ignorance de la grammaire que nous employons et jusqu'à son existence même.
Dans les Antilles, le Créole a permis un langage constitué mais jusqu'il y a peu, il n'y avait ni grammaire ni orthographe. Récemment, des amoureux du Créole, fin lettrés, érudits, en ont établis une pour la mettre à l'abri de sombre perspective. Quels sont les effets d'une langue active, socialement partagée, qui aboli la grammaire et l'orthographe ? Ce type de langue introduit entre locuteur une situation paritaire qui signifie l'appartenance égalitaire à un même ensemble. C'est une langue sans refoulement où parfois fait surprise une plainte du fait que le sexe puisse y être abordé sans pudeur. Il s'agit d'une langue où existe la différence du sexe mais pas sur le mode de l'hétérosexualité. Les deux sexes ont en commun d'être dans un rapport unique au référent phallique, présentifié dans ces deux formes égales. Ce qui n'empêche que, en ce qui concerne les enfants, la primauté va au sexe féminin.
L'action de ces lettrés, universitaires, de grande culture, pour construire une grammaire et une orthographe, a procédé de manière classique à considérer le bon Créole comme on dit "le bon Français", c'est à dire qu'il s'agit de culture, c'est à dire qu'il s'agit pour le lexical et le grammatologique de signaler la disparité entre celui qui est du côté du manche et celui qui, faute de langue, commet une faute morale.
Surprise ! Cette langue d'avant la syntaxe, que l'enfant acquiert en toute innocence, le fait du savoir de cette langue est celui d'un registre où il n'y a pas de maître, pas de substance, pas d'être, pas de rapport entre les mots et les choses : le mot est la chose même. Il s'agit d'une musique, propre à la langue, qui se donne à entendre alors que le sens est écarté, qui fait valoir une sorte d'abandon, qui invite l'auditeur à un abandon non quelconque, l'abandon à une présence bienveillante et accueillante, par cette musique, de la mort.
La musique, en particulier celle-là, implique un renoncement subjectif, un laisser-aller à cette invitation, à la bienveillance de la mort. C'est peut-être choquant mais ce n'est pas exceptionnel. C'est pas bien ce que je dis ? Des recherches récentes ont montré comme déterminant pour l'autisme, non le silence ou les propos mais la musique interne des propos. Des profils ! C'est étrange.
L'attrait de la mort, induit par cette musique, nous permet d'approcher que le savoir de cette langue, sans la connaissance, vient introduire un référent, l'ancêtre mort, d'autant plus impressionnant, ensorcelant, que les circonstances historiques ne peuvent se produire sans aucun ancêtre.
Le Créole a des origines africaines, françaises, espagnoles, etc. Or chacune, séparément, renvoi à un ancêtre, certes mythique mais explicite. L'exposition à ce type d'effet oppose un Aimé Césaire avec son culte de l'ancêtre qui dit "c'est comme ça, prends-en de la graine" ! à d'autre pour qui l'hypothétique créolité s'origine du Pacifique ou de l'océan indien. Voir Chamisean ou Bernadet contre Toumonde, etc.
Il n'est pas sans justesse de considérer le Créole comme polyglotte. Toutes les langues ne le sont pas, et justement, certaines langues sont homogènes mais on ne sait pas d'où elles sortent.
Notons dans cet acquisition du langage par l'enfant, cette référence incontournable à l'ancêtre mort vis à vis duquel la langue introduit la distance respectueuse, variable, mais pas de limites intangibles, variables dont les possibilités de collusion et donc de sacrifice implique, par exemple, que le défaut de ce sacrifice a comme effet un rapport spécifique au corps marqué par l'hypocondrie. "On ne sort pour ce père là que ce que ça aurait à être".
D'où, aussi, la recherche d'un rituel et pour cela, revoyons Lacan et Joyce. "Depuis Joyce, la langue anglaise n'existe plus" veut dire que le polyglotte, cette déconstruction en oeuvre où le français, l'allemand contre de leur évidence l'impérialisme mono-glotte de l'anglais, quitte, du fait de cette forclusion du Nom Du Père, à ce qu'il s'expose à la folie. Ce dont il se serait guéris (selon Lacan) avec cette référence à "un" nom, le sien, dont il obtient du public la reconnaissance.
A la différence de l'enfant "cassette", et de ses intelligences (poésies, dessins, etc), un enfant apprend non le dire mais l'échange, il y trouve sa place, son statut, son rapport avec le référent fondateur dans les modalités, guerre, mutisme, rejet, de la mère. D'où l'identification première, pas encore sexuée quoique peut-être déjà.
Ce mode d'acquisition sans le savoir va laisser une nostalgie. Pourquoi tous les apprentissage ne se feraient par sur ce type, sans même savoir que je m'instruis.
On dirait l'Emile, calqué sur la nature bienveillante, enseignante, repris de ce mode de relation de l'enfant à la mère. L'impact sur l'organisation de l'enseignement est encore actuel. Actuellement encore, la pédagogie s'écartèle entre l'idée d'un éveil de ce qui est déjà là, comme à l'opposé de l'emmagasinement, et ce qui s'y oppose vraiment : ce n'est pas Paul, c'est ce qu'il est permit de lui enseigner. C'est pédagogique et aussi politique, ce qui n'est pas indifférent.
Pourquoi réticence à l'apprentissage des connaissances quand le savoir est en possession ? Pourquoi apprendre alors qu'on possède le savoir ? C'est que l'acquisition de connaissance est délocalisation, la mémoire, ici, peut ne pas être engramme, la mémoire, tout ça ne vaut rien, le savoir insu suffit.
Autre témoin : que la mère nourricière soit d'une autre langue que la mère biologique, il en reste une nostalgie, un conflit avec la culture dominante, "maîtresse". D'où d'éventuelle difficulté d'apprentissage dans les "quartiers sensibles" où l'ignorance que l'on maintient rend difficile la résolution de ce divorce. "J'en veut pas de ton savoir car mon savoir à moi me suffit".
A l'inverse,c'est terrifiant, symétrique, quand l'apprentissage se fait par la connaissance, qui n'est pas le savoir nôtre et dans cette confrontation, la connaissance s'oppose à la connaissance nôtre.
Quand le langage se substitue au savoir, il y a perte d'identité et on ne s'en protège que par la musique originel. L'accent. C'est que qui est identique à toutes les langues pour distinguer ceux qui parlent mais qui n'en sont pas, des autres.
Le savoir insu du sujet, serait-ce l'inconscient ? L'inconscient ne serait pas structuré comme un langage mais serait un langage ? Cela est vrai pour Jung qui s'opposait la-dessus à Freud. Cette langue, en fait, doit être refoulée La langue de ses origines à soi, il est interdit de faire état sans risque décisif.
Parfois, dans certaines familles, il est interdit de parler créole à la maison. Le français s'impose au registre de la reconnaissance sociale. La faire valoir, cette langue, serait la levée du refoulement ? Dans certains cas, c'est possible. Il faut noter que le refoulement de la langue implique le refoulement de la sexualité liée à cette langue.
Mais quand le couple est au lit, en quelle langue échange-t-il ? Les enfants, à l'occasion, comprennent de quelle langue il s'agit.
La base est de séparer "savoir" et "connaissance".

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